Société
|

« Et si le changement venait de nous ? »

Pendant le confinement, à 20h on applaudit le personnel soignant comme ici à Bagnolet / © Jérômine Derigny
Applaudissements à la fenêtre à 20h pour le personnel soignant à Bagnolet / © Jérômine Derigny

A quoi ressemblera le monde après le confinement ? Et surtout, qui le bâtira ? Pour, Stein van Oosteren, promoteur engagé du vélo dans le Grand Paris, il faut se méfier du "business as usual" qui risque d'étouffer notre imagination une fois la crise terminée.

Stein van Oosteren, président de FARàVélo

Dans certains ports, on voit désormais les dauphins revenir. En Chine, on profite d’un ciel bleu pour la première fois depuis des années. Paris est plus belle que jamais sans voitures. Sans le bruit des moteurs, on découvre la bande son originale de la ville : des voix, des chants d’oiseaux, le tzic-tzic d’une corde à sauter… Un avant-goût du monde que l’on retrouvera au bout du tunnel ?

. Paris est plus belle que jamais sans voitures. Sans le bruit des moteurs, on découvre la bande son originale de la ville : des voix, des chants d’oiseaux, le tzic-tzic d’une corde à sauter… Un avant-goût du monde que l’on retrouvera au bout du tunnel ?

Le grand vainqueur de la crise du coronavirus est l’imagination. Les réseaux sociaux regorgent d’idées sur le monde post-coronavirus. Pour ne pas les perdre, j’en ai consigné quelques-unes dans une chanson intitulée « Autrement » :

Plus de liens, plus de circuits courts, plus de temps ensemble
Plus de bicyclettes, plus de piétons, moins d’avions
Plus de légumes, plus de temps pour les préparer, plus de plaisir
Plus de lecture, plus de pauses et plus de flottement.

C’est bien toutes ces idées. Mais j’ai un cri du cœur à pousser. Il concerne la façon dont on présente toujours ces idées, en commençant par : « Il faudrait que… ». Mais qui s’en occupe, du changement ? Qui continuera à prendre la voiture pour aller dans un centre commercial artificiel pour acheter des produits vingt centimes moins cher, tout en s’étonnant que le commerce de proximité décline ? Qui mange de la viande tous les jours et participe donc à une source d’émissions de gaz à effet de serre supérieure à celle que constituent les Etats-Unis et la France réunis ? Nous sommes nombreux à le faire.

Je ne veux pas nous assommer, mais au contraire nous donner une terrible envie de faire autrement. En nous vaccinant d’abord contre l’idée que les politiques s’occuperont du changement pour nous. Des gouvernements risquent au contraire de profiter de la crise du coronavirus pour remettre en cause les mesures de lutte contre le changement climatique, au nom de la relance économique. La preuve : la République tchèque et la Pologne demandent déjà l’abandon du Pacte Vert européen.

« Si les Pays-Bas sont aujourd’hui un pays cyclable, ce n’est pas parce que le vélo est dans leur culture ! »

Et si le changement venait de nous ? Pour nous encourager, prenons l’exemple de mon pays d’origine. Si les Pays-Bas sont aujourd’hui un pays cyclable, ce n’est pas parce que le vélo est dans leur culture ! C’est parce que dans les années 70, les parents en ont eu marre que leurs enfants ne puissent pas se déplacer tout seuls à vélo en sécurité. Au lieu de se dire « on espère que ça changera », ils sont descendus dans la rue massivement pour proposer concrètement un réseau cyclable dessiné par eux-mêmes. La crise pétrolière de 1973 aidant, la proposition a été acceptée. Le résultat vous le connaissez, il est à deux heures de train d’ici.

Le changement commence toujours par une rencontre. Le premier mai 2018, mon association FARàVélo de Fontenay-aux-Roses (Hauts-de-Seine) a proposé à toutes les associations vélo de la banlieue sud de s’associer pour rendre le territoire cyclable. Cette rencontre était comme une fission nucléaire : elle a libéré tellement d’énergie, qu’il était évident qu’il fallait porter cette initiative de coopération à l’échelle de la région. Une année plus tard, et grâce à un travail de coordination exceptionnel de l’association MDB Île-de-France, est né le Collectif Vélo Île-de-France. Ce collectif citoyen est aujourd’hui une force de proposition incontournable pour les responsables politiques les plus hauts placés de notre région. Il a su capter et transformer l’imagination des Franciliens en une proposition très concrète : un réseau vélo régional qu’elle a appelé le « RER V ». Cette simple idée citoyenne est en train de devenir réalité : la présidente de l’Île-de-France a déjà promis de le co-financer. Quand les citoyens s’engagent, le monde change pour de vrai.

La carte du RER Vélo présentée le 11 janvier par le Collectif Vélo Île-de-France / © Collectif Vélo Île-de-France
La carte du RER Vélo présentée le 11 janvier par le Collectif Vélo Île-de-France / © Collectif Vélo Île-de-France

« Je n’ai pas peur du virus, mais de la force du business as usual qui risque de rendormir notre imagination »

Je n’ai pas peur du virus, mais de la force du business as usual qui risque de rendormir notre imagination dès notre sortie de crise. Nous voulons tous un monde plus durable, mais nous voulons aussi commander des vêtements en ligne et acheter des produits moins chers fabriqués Chine. En réalité, c’est de nous-mêmes dont j’ai peur.

Mais les initiatives positives pour un monde différent se propagent plus vite que le virus. Le télétravail, qui n’était « pas possible » dans de nombreuses entreprises, a été généralisé d’un coup sec. Les nombreux avantages se vérifieront avec le temps comme aux Pays-Bas : une productivité supérieure, moins de stress, moins d’arrêts maladie, plus de temps pour ses proches, une meilleure qualité de vie en somme.

Bientôt les employeurs français oseront tous encourager leurs employés à venir au travail à vélo moyennant le forfait mobilité durable. Pour éviter des déplacements inutiles, ils leur proposeront peut-être même de répartir leurs 35 heures sur quatre jours au lieu de cinq. Oui c’est possible : cette option m’a personnellement changé la vie. Sans elle, je n’aurais jamais pu m’engager dans la vie associative et donner un sens plus profond à ma vie. L’impact sur mon travail a été très positif aussi : je suis devenu beaucoup plus efficace, car j’étais obligé de boucler mon travail en quatre jours. Imaginez que toutes les entreprises franciliennes appliquent cette mesure : 20% de déplacements en moins, les embouteillages seront terminés !

Quid des commerçants de proximité qui ne peuvent pas télétravailler ? Eh bien, ils s’organisent eux aussi ! En une semaine, plusieurs commerçants de ma ville ont déjà mis en place un service de livraison. Ils parlent même de mutualiser ce service avec plusieurs commerçants. Pourquoi pas un vélo-cargo électrique piloté par un jeune de la ville ?

« Mon engagement associatif a transformé ma vie en peu de temps, en fusionnant les mots « agir » et « plaisir » »

Ne nous faisons pas d’illusion : le monde après « la pause » ne sera pas très différent du monde d’aujourd’hui. Une crise sanitaire temporaire ne suffit pas pour changer de paradigme. Mais les initiatives positives se poursuivront, impulsées par une autre crise qui nous traverse actuellement : la crise de sens. La pause amplifie les questions profondes que beaucoup d’entre nous se posent déjà. Voulons-nous travailler pour un e-commerce qui ne crée pas de liens mais un besoin de mobilité qui dégrade notre santé et notre qualité de vie ? Croyons-nous que nous pouvons être utile à la société autrement qu’en étant simple consommateur ? La réponse est « oui » pour de plus en plus de personnes. L’engagement associatif chez les moins de 49 ans est en hausse.

Je vous invite à pousser une porte pour fabriquer un changement ensemble. Les associations vous accueilleront les bras ouverts. Mon engagement associatif a transformé ma vie en peu de temps, en fusionnant les mots « agir » et « plaisir ». S’il y a une idée ou une cause qui vous tient à cœur, sachez qu’il est facile de soutenir une association en Île-de-France. Ce qui vous attend, c’est la société de demain ainsi que les nombreuses rencontres humaines qui la forgent, notamment celle avec vous-même.

Infos pratiques : L’actualité de l’association FARàVélo est à retrouver sur faravelo.com

A lire : Le coronavirus, une crise de notre modèle socio-économique