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« Un embouteillage de voitures autonomes sera toujours un embouteillage »

Chaque jour, SNCF Transilien, le réseau des trains en Île-de-France, transporte 3,2 millions de voyageurs. Son directeur, Alain Krakovitch, a publié récemment « Métropolitrain », où il livre un plaidoyer en faveur du ferroviaire dans les grandes métropoles mondiales. Nous l'avons rencontré Gare de Lyon.


Embouteillage au Louvre en juin 1970 / @ Osbornb (Creative commons - Flickr)
Embouteillage au Louvre en juin 1970 / @ Osbornb (Creative commons – Flickr)

Avec la rentrée, c’est la fin des désormais traditionnels travaux d’été. Comment se porte le réseau ferré francilien ?

Alain Krakovitch : L’été, c’est vrai, est devenu la saison des travaux sur le réseau francilien, ce qui génère des ralentissements et des retards, parfois des suppressions de trains.. Mais en réalité, des travaux, il y en a de plus en plus toute l’année. Aujourd’hui, on fait cinq fois plus de travaux qu’il y a cinq ans. Pourquoi ? Parce que pendant des décennies on n’a pas assez entretenu le réseau. La collectivité a longtemps privilégié la voiture par rapport au ferroviaire, et dans le domaine du ferroviaire, on a mis l’accent sur le TGV davantage que sur les transports du quotidien. Alors nous allons faire en dix ans ce que nous n’avons pas fait en trente ans.

Combien de temps ces chantiers vont-ils durer?

Avec cette intensité de travaux, sans doute au moins jusqu’en 2025. Nous rénovons le réseau existant mais il y a aussi en Île-de-France un programme de création de lignes sans équivalent depuis la Seconde Guerre mondiale. Il inclut les quatre lignes du Grand Paris Express ainsi que l’extension de la ligne 14, le Charles-de-Gaulle Express, le prolongement du RER E « Eole » jusqu’à Mantes-la-Jolie, les lignes de tram-train… Sans parler des trains neufs dont certains en remplacement de rames qui roulent parfois depuis 40 ans. Le niveau d’investissement se situe aux alentours de 50 milliards d’euros au total. C’est énorme !

Eole, qui doit être finalisé en 2024, est un chantier au très, très long cours ! Pourquoi est-ce aussi long de construire une ligne ?

Les premières réflexions sur Eole datent en effet de la fin des années 1980. L’ouverture de la première partie de la ligne, entre Paris et la banlieue Est, s’est faite entre 1999 et 2003. La seconde partie, à l’Ouest, entre Paris et Mantes-la-Jolie, sera inaugurée en 2024. On est sur un calendrier de 35 ans avec il est vrai une longue pause au début des années 2000. Une pause qui s’est produite durant les fameux trente ans de sous-investissement et qui paradoxalement nous permet aujourd’hui de concevoir une ligne à la pointe, avec un train autonome qui roulera à 120km/h dans Paris, toutes les 108 secondes et un système d’exploitation qui sera étendu au reste du réseau.

Les transports en commun en Île-de-France, cela représente combien de voyageurs ?

Le mass transit francilien – métro, train et tramway – nous place parmi les 10 plus gros réseaux du monde en termes de personnes transportées. Si on ne parle que du train régional, l’Île-de-France a le deuxième réseau au monde derrière la métropole de Tokyo. Chaque jour, nous transportons 3,2 millions de personnes dans plus de 6.000 trains. Le tunnel ferroviaire de la Gare du Nord est le plus fréquenté au monde, avec plus de 60 trains par heure. Et la fréquentation sur notre réseau augmente de 3% par an.

3% de croissance, n’est-ce pas inquiétant ? Le réseau ne risque-t-il pas la saturation ?

C’est pour cela qu’il faut optimiser nos moyens de transports à l’échelle des métropoles, et privilégier ceux qui sont les plus efficaces. Je propose deux indicateurs pour faire nos choix : les émissions de CO2 et la part de la superficie qu’occupent les transports, car autoroutes, routes, parkings et voies ferrées saturent les villes. Le ministre des Transports de Singapour, que je suis allé rencontrer, veut limiter à 14% de la superficie de son territoire la place accordée aux transports, tous types confondus. C’est radical ! A l’inverse, à Los Angeles, plus de 50% du territoire est occupé par les transports, avec une écrasante domination de la voiture. Or, une ligne de RER transporte l’équivalent de deux fois quatorze voies d’autoroute… Pour le dire autrement, un train de 400 mètres peut transporter autant de monde que 2.300 voitures, soit 10 km de véhicules.

@ Renaud CHODKOWSKI (Creative commons - Flickr)
La Gare du Nord à Paris / @ Renaud CHODKOWSKI (Creative commons – Flickr)

Le match voiture Vs train est sans appel selon vous…

C’est ce que je dis dans mon livre Métropolitrain (Ed. Débats Publics Editions). Le train est plus écologique, plus rapide, plus économique et plus efficace que la voiture. Dans les années 1980, Margaret Thatcher proposait de goudronner les voies de chemin de fer pour y faire circuler des voitures et des camions. Aujourd’hui, en caricaturant, on devrait plutôt envisager de poser des rails sur certaines voies des autoroutes franciliennes, ou en viaduc au-dessus de la route. Cela désengorgerait la mégapole. Ce n’est pas qu’une boutade. Dans le fond je pense que cela pourrait fonctionner et que ce sera nécessaire compte tenu du problème écologique majeur que représente la voiture.

Quand on pense aux smart cities, aux nouveaux modes de transport, on a l’image de trottinettes, de voitures connectées, de drones de livraison, de Sea Bubbles, de taxis-hélicoptères… Jamais le train ne vient à l’esprit. 

En 2017, quand je suis rentré d’un séjour d’étude en Asie, où le train est considéré comme hyper performant, j’ai été frappé de n’entendre parler ici que des moyens de transport que vous venez d’évoquer, et qui sont individuels et assez élitistes. L’imaginaire de la smart city porte l’idée d’une individualisation des transports qui n’est pas du tout adaptée aux enjeux de nos métropoles denses, polluées et congestionnées. C’est pour réagir à ce décalage que j’ai décidé d’écrire Métropolitrain. Parce qu’un embouteillage de voitures autonomes sera toujours un embouteillage ! On pense même que les embouteillages augmenteront avec les voitures autonomes, car des véhicules circuleront à vide. Et puis un véhicule d’une tonne pour transporter une personne, ce n’est vraiment pas une solution d’avenir. 

Si la voiture est contestée dans la zone dense, elle est indispensable en grande couronne francilienne…

Bien sûr. Je rêve d’une combinaison de grands axes ferroviaires et de véhicules autonomes, voitures ou bus pour le « dernier kilomètre ». On y viendra sûrement un jour.

Infos pratiques : Métropolitrain, d’Alain Krakovitch (Ed. Débats Publics Editions / 18€)

A  lire : Du métro parisien au Grand Paris Express, un voyage au centre de la Terre