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« Aujourd’hui, cliquer est presque plus important que voter »

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© Yohann Aberkane (Creative commons / Flickr)

A la tête de la librairie Le Genre urbain à Paris, Xavier Capodano rappelle, dans une interview à Enlarge your Paris, que le pouvoir est autant entre les mains des consommateurs que des pouvoirs publics pour garantir la pérennité des commerces de proximité.

En tant que libraire, comment vivez-vous cette crise sanitaire ?

Xavier Capodano : Les clients sont toujours là. Ce serait donc mentir que de dire « C’est la catastrophe ». On a essayé de limiter la casse, notamment avec le click & collect. Mais les petites entreprises comme nous ne sont clairement pas taillées pour ce type d’organisation. On essaie de s’adapter mais on se sent démunis. Cela nous impacte beaucoup en termes psychiques et physiques.

D’où votre tribune publiée le 4 décembre dans Libération pour défendre le rôle des petits commerces ?

C’est un message que je porte depuis longtemps. De mon point de vue, les commerces indépendants sont le dernier bastion de la liberté économique dans les villes. Et je ne tiens pas ces propos pour alimenter une quelconque théorie du complot ! Cela fait par exemple 50 ans que l’école produit de l’inégalité sociale, je ne soutiens pas pour autant que les ministres successifs l’organisent sciemment. Ce sont des mouvements sociaux puissants que nous alimentons tous. Je n’ai pas fondé une librairie contre quelqu’un ou quelque chose, mais pour les gens, pour un projet. Amazon, la Fnac, les centres culturels Leclerc existaient déjà quand j’ai commencé. Le commerce doit évidemment s’adapter. Mais ces grandes enseignes doivent participer à l’effort commun durant crise sanitaire.

Que préconisez-vous ?

La liberté des échanges dans une concurrence loyale et non faussée, ce n’est que de la théorie. Si on taxait de façon raisonnable les acteurs de la grande distribution, notamment ceux en ligne qui font de l’évasion fiscale, la France n’aurait pas besoin de s’endetter. Carrefour a enregistré +19% de chiffre d’affaires [sur ses magasins de proximité, NDLR] durant le premier confinement. Si on leur prend 1 %, ils s’en remettront. On a besoin de solidarité. Et de choix politiques courageux.

Le chiffre d’affaires d’Amazon a explosé durant le confinement. Dans le même temps, les appels au soutien du commerce de proximité se sont multipliés…

Pascal Madry, directeur de l’Institut pour la Ville et le Commerce, a dit ceci : les parts de marché gagnées par le commerce en ligne durant le premier confinement au détriment du commerce traditionnel sont irréversibles. Et cela montre les contradictions des consommateurs, moi y compris. Aujourd’hui, cliquer est presque plus important que voter, et c’est tout le drame de la situation. Cela en dit long sur l’efficacité voire l’utilité de nos acteurs politiques. Les gens ont conscience de ce qui se passe mais commandent tout de même sur Amazon. Je ne veux pas que Roselyne Bachelot pleurniche pour que les Français arrêtent de commander sur Amazon, mais qu’on change le cadre dans lequel on permet cette situation. Le véritable enjeu est politique et démocratique.

En riposte à Justeat, Deliveroo ou Uber Eats, beaucoup de collectivités ont mis en place des plateformes de livraison et de vente en ligne. Qu’en pensez-vous ?

Je n’en pense que du bien ! C’est ce que nous avons fait avec plusieurs libraires parisiens et franciliens en créant Librest. On vit avec notre temps. De manière générale, je trouve que toutes les initiatives locales qui s’appuient sur le numérique pour valoriser le commerce de proximité vont dans le bon sens. Ce sont les politiques globales qui sont choquantes. Le rapport de force est déséquilibré entre les gros et petits opérateurs. J’ai envie que les petits continuent de se prendre en main et aient la marge de manœuvre pour le faire. Mais on ne pourra lutter contre ces énormes plateformes qu’à condition que nous ayons un accompagnement proportionné. Or on nous impose la numérisation ou rien avec des aides économiques très limitées. Et durant ce deuxième confinement, on a vu des maires pleurer pour leurs petits commerces, les mêmes qui ont signé pour la création de zones commerciales bien plus violentes qu’Amazon il y a 10 ans. Nous, petits commerces, on est dans le réel. A mon petit niveau, je fabrique l’économie locale. Comme mon voisin bistrotier. C’est un modèle économique, même si on ne génère pas de rente à 15%. Se numériser, c’est bien, mais pas pour devenir un clone d’Amazon de 25e division. Il faut respecter les spécificités locales. 

Vous opposez la startup nation aux commerces de proximité. Comment construire un modèle qui allie les deux ?

Je pense qu’il faut arrêter de se réconcilier et créer un rapport de force. La démocratie repose sur le rapport de force. Ce n’est pas le monde des Bisounours. On se réconciliera peut-être quand il y aura des propositions qui vont dans notre sens. Mais on obtient rarement quelque chose dans la sympathie. Aujourd’hui, c’est parce qu’on est dans la bataille à notre petit niveau qu’on maintient la situation de nos commerces.

Infos pratiques : La tribune « La liberté du petite commerce ? Oui, mais laquelle ? » de Xavier Capodano, fondateur de la librairie Le Genre urbain à Paris (20e), est à lire sur liberation.fr

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