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Une étonnante fondation d’art cachée dans d’anciens labos à Aubervilliers

Le Vitamin Bar, l'une des oeuvres de la Fondation Cherqui à Aubervilliers / © Joséphine Lebard pour Enlarge your Paris
Le Vitamin Bar, l’une des œuvres de la Fondation Cherqui à Aubervilliers / © Joséphine Lebard pour Enlarge your Paris

À Aubervilliers, dans les locaux d'anciens laboratoires pharmaceutiques, se cache une étonnante collection consacrée notamment à l'art lumino-cinétique. On la doit à Jean Cherqui, industriel et pionnier des médicaments génériques en France. Enlarge your Paris en a poussé les portes alors que des visites guidées sont proposées les mercredis et les week-ends sur réservation.

Quiconque arpente la banlieue le sait : une fois poussé, un portail insignifiant peut dévoiler des surprises insoupçonnées… et insoupçonnables. La Fondation Cherqui pourrait servir de démonstration à ce théorème. La façade du 61, rue Lécuyer à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis) n’a en effet rien de folichon. Même si la puissance en décibels de la sonnette laisse entendre (et même très distinctement) que celle-ci doit couvrir un vaste périmètre.

En l’occurrence, c’est une sacrée maison de famille dont Mathias Chetrit nous ouvre la porte. Enfin, maison de famille… Le lieu hébergeait auparavant les laboratoires de son grand-père, Jean Cherqui, pharmacien et industriel. L’homme fut l’un des pionniers des médicaments génériques en France. Désormais, l’endroit abrite une partie de sa collection qui ne compte pas moins de 5 000 œuvres d’art. « Mon grand-père a commencé à acheter dans les années 80. Mais ma grand-mère commençait à en avoir un peu ras-le-bol d’avoir des tableaux et des sculptures partout chez elle », sourit Mathias Chetrit. La collection rejoint donc les anciens labos. Depuis l’an dernier, elle est présentée au public sous la houlette de Mathias qui assure les visites. « Nous avons ouvert quand les musées étaient encore fermés et, tout de suite, on a senti un engouement. Les gens avaient envie d’art. Et puis ici, nous avons une approche moins sérieuse que dans une galerie ou un musée. Sans oublier la dimension étonnement », poursuit le jeune homme.

Bruits de sabres laser et bibliothèque qui marche

Car la collection Cherqui a une ligne éditoriale claire : « Ce qui passionne mon grand-père, c’est le mouvement », éclaire son petit-fils. D’où une large place dévolue à l’art lumino-cinétique, né au milieu des années 1950, qui compte des membres aussi illustres que Victor Vasarely ou Yaacov Agam. Ça tombe bien, on croise un Vasarely. Plus tard, on se perd dans la contemplation de Stota de aqua de Gyula Košice, une goutte d’eau géante qui se gorge à son tour de liquide. Avant de plonger dans Cosmos, une pièce de Hugo Demarco de 1969 : des petites balles pareilles à des atomes oscillent. « Inconsciemment, je pense que cette œuvre a parlé à mon grand-père parce que cela ressemblait à ce qu’il pouvait voir dans son microscope », analyse Mathias Chetrit. La science et le mouvement, toujours. Justement, nous voilà face à Mouvement naturel, une œuvre d’Agam de 1961, 45 petits ressorts qu’on peut faire vibrer. Il en naît une musique très « schboïngesque ». Plus tard, Mathias Chetrit actionne manuellement une drôle de bibliothèque qui se met soudain… à marcher ! La malice, cela pourrait être un autre point de rencontre entre bon nombre de pièces de la Fondation.

La Fondation Cherqui à Aubervilliers / © Joséphine Lebard pour Enlarge your Paris
© Joséphine Lebard pour Enlarge your Paris

S’attabler chez Kubrick

D’autant que, ici, plein d’œuvres peuvent être touchées et sollicitent la participation du visiteur. Autres ressorts, autres effets : une œuvre de 1967 de Romano Zanotti nécessite de tirer dessus. Ce qui produit un son proche des sabres laser, « des années avant Star Wars ! », s’enthousiasme Mathias Chetrit. À l’étage, on découvre une pièce remplie de ballons sur lesquels on est invité à faire un vol plané. À moins qu’on ne préfère s’asseoir à la table du Vitamin Bar, une étonnante table circulaire en Corian imaginée par James Irvine en 2003, qui plonge d’emblée le visiteur dans une ambiance très « kubrickienne ». Le bar est entouré des propres œuvres de Mathias Chetrit. Sous le nom de Falcone, il signe des miroirs incrustés de LED et de néons. Y plonger le regard donne le sentiment vertigineux de sombrer dans un univers infini. Lumières et jeux d’optiques : on ne lui demandera pas d’où viennent ses influences. On se fera plutôt confirmer les choses : « Petit, je passais mon temps avec mon grand-père. Depuis l’enfance, je suis fasciné par cet univers. »

La Fondation n’est en effet pas seulement un lieu de conservation et d’exposition mais aussi de création. Mathias Chetrit possède son atelier à l’étage. Au rez-de-chaussée, c’est l’artiste Giancarlo Caporicci qui développe ses sculptures et ses suspensions. Juste derrière une Ferrari relookée par Jose Costa, une Citroën Berlingo littéralement coupée en deux attend de connaître son sort. « Ce sont les modèles utilisés lors des Salons de l’auto, explique Mathias Chetrit. On a racheté celle-ci lors d’une vente. Nous ne savons pas encore exactement ce que nous allons en faire… Mon grand-père aime bien lancer des projets avec des artistes. »

On pourrait passer des heures à la Fondation Cherqui, à contempler les totems conçus par Ettore Sottsass – « mon grand-père en a acheté plusieurs lors d’une exposition à Chicago. Quand il s’intéresse à un artiste, il ne se contente pas d’une pièce » –, et à suivre des yeux les grosses billes de métal aller et venir dans une œuvre de Martha Boto. Ou à écouter Mathias Chetrit détailler les toiles de l’uruguayen Carmelo Arden-Quin, « le coup de cœur avec lequel mon grand-père a commencé sa collection », qui déboucha sur une passion très forte pour l’art d’Amérique latine. Mais voilà, il est temps de repartir. Et, nous aussi, on se sent habité par un certain mouvement : celui de revenir très vite.

Infos pratiques : Fondation Cherqui, 61, rue Lécuyer, Aubervilliers (93). Tarif : 13 €. Accès : métro Aubervilliers – Pantin – Quatre Chemins (ligne 7). Visites les mercredis et week-ends sur réservation via le site de la Fondation Cherqui ou Explore Paris

La Fondation Cherqui à Aubervilliers / © Joséphine Lebard pour Enlarge your Paris
© Joséphine Lebard pour Enlarge your Paris

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