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L’instagrameuse Mère Lachaise redonne vie aux mortes illustres oubliées

Camille Paix, alias Mère Lachaise, dans le cimetière du Père Lachaise / © Virginie Jannière pour
Camille Paix, alias Mère Lachaise, dans le cimetière du Père Lachaise / © Virginie Jannière pour Enlarge your Paris

En créant le compte Instagram Mère Lachaise et en publiant "Mère Lachaise, 100 portraits pour déterrer le matrimoine funéraire", Camille Paix a choisi d'entretenir la mémoire des femmes illustres oubliées. La journaliste d'Enlarge your Paris Virginie Jannière s'est promenée avec elle dans les allées du cimetière du Père-Lachaise à Paris à la découverte de ces tranches de vie remarquables.

À l’occasion de ses 10 ans, Enlarge your Paris publie jusqu’à la fin de l’année une série « Portraits de Grand-Parisiens » qui sont une source d’inspiration et la raison d’être de notre média local.

Nous sommes début octobre. La pluie vient de tomber dru pour la première fois sur Paris en cet automne trop printanier. « Un ciel bien plombé, c’est le temps idéal pour se rendre au Père-Lachaise », plaisante d’entrée Camille Paix, alias Mère Lachaise sur Instagram où elle est suivie par plus de 15 000 abonnés. Son credo : faire découvrir les femmes (plus ou moins) oubliées du Père-Lachaise. Si la journaliste a arrêté ses visites publiques – excepté à l’occasion d’une étonnante Toussaint féministe en 2022 –, elle a publié Mère Lachaise. 100 portraits pour déterrer le matrimoine funéraire aux éditions Cambourakis en 2022, un recueil de portraits de femmes souvent « badass » et toutes enterrées dans le célèbre cimetière du 20e arrondissement. Même si le livre est accompagné d’un plan détachable, je vais avoir le privilège de me recueillir devant les dernières demeures de ces femmes en compagnie de celle qui leur rend si bien hommage.

Avant même d’arriver à notre première étape, un couple de retraités nous demande son chemin. « La tombe d’Édith Piaf ? Rien de plus simple ! » leur répond Camille Paix. Au passage, elle en profite pour indiquer celles de Chopin, Rossini et Bécaud, laissant le couple ébahi devant une telle connaissance encyclopédique.

L’autre Colette

Pour débuter notre visite, nous voilà devant la tombe de Colette. « Il y a plus oubliée comme personnalité », me dis-je aussitôt. C’était mal connaître Camille Paix qui me montre la gravure discrète sous le pseudo de Colette : « Colette de Jouvenel 1913-1981 ». J’apprends ainsi que la fille de l’écrivaine a donc été étrangement prénommée du pseudonyme littéraire de son illustre mère mais qu’elle fut aussi journaliste, résistante, féministe et femme de cinéma. « Elle a fait tellement de choses, en restant finalement dans l’ombre de sa mère », constate Camille Paix.

Nous nous avançons alors dans la partie ancienne du cimetière, au milieu des herbes folles. Je remarque un joli chat noir qui marche dans nos pas, semblant boire les paroles de Camille Paix. Nous nous arrêtons devant une très discrète tombe entièrement couverte de mousse, celle de Suzanne Lacascade, pionnière oubliée du courant littéraire de la négritude et autrice d’un unique roman, Claire-Solange, âme africaine, paru en 1924 et réédité en 2019 par son arrière-petite-nièce, Emmanuelle Gall. À l’écoute de la vie passionnante de Suzanne Lacascade, je m’avance un peu vers la tombe (et le chat noir). « Attention à la crotte de renard », m’avertit Camille Paix. Ici, la biodiversité est à son aise.

Puis Camille Paix m’emmène sur la tombe de Rosa Bonheur. Si aujourd’hui sa mémoire est de nouveau cultivée au château de By à Thomery (Seine-et-Marne), et qu’elle a fait l’objet récemment d’une rétrospective au musée d’Orsay (7e), cette peintre, qui fut une star en son temps, est passée par une période d’oubli. « C’est un phénomène courant. Beaucoup de femmes ont été connues à leur époque et ont ensuite été rayées de l’Histoire », déplore ma guide à propos de l’artiste enterrée avec ses deux compagnes dont la peintre et écrivaine Anna Klumpke. « Il doit y avoir de l’ambiance dans la tombe », me dis-je alors que ma guide me mène vers une minuscule sépulture à la plaque démesurée.

La tombe de Gerda Tar, photo-reporter qi a couvert la guerre d'Espagne / © Virginie Jannière pour Enlarge your Paris
La tombe de Gerda Tar, photo-reporter qi a couvert la guerre d’Espagne / © Virginie Jannière pour Enlarge your Paris

Rendre vivantes les figures oubliées

Certains ont-ils voulu réparer la mémoire oubliée de celle qui repose ici ? « Gerda Taro, 1910-1937, reporter photographe à « Ce soir », tuée le 25 juillet 1937 sur le front de Brunete en Espagne dans l’exercice de sa profession », peut-on lire. Morte à 26 ans écrasée par un char alors qu’elle couvrait le conflit armé aux côtés des troupes républicaines en Espagne, la jeune femme devint une icône antifasciste, et eut son heure de gloire post-mortem puisque son éloge funèbre fut prononcé par Aragon en personne et que sa tombe fut dessinée par Alberto Giacometti. Son travail, lui, fut totalement effacé. La faute en partie à Robert Capa, son compagnon, qui aurait considéré « comme siens les clichés de Gerda », selon Camille Paix. 

Mais d’où vient cet son amour pour les cimetières ? « À mon arrivée à Paris en 2016, je me suis installée non loin du Père-Lachaise. Alors que rendre visite à nos morts n’a jamais fait partie des traditions familiales, je me suis rendu compte que je gardais à distance la question de la mort, comme si elle me faisait peur. En réalité, j’ai découvert que j’étais fascinée par l’au-delà, et qu’on peut se sentir bien dans un cimetière », me confie Camille.

Alors que j’écoute la vie de la résistante Marie-Madeleine Fourcade, je découvre grâce à Camille Paix « à quel point un cimetière possède une immense importance culturelle et mémorielle ». La jeune journaliste cultive par exemple la mémoire de l’écrivaine Hubertine Auclert, enterrée ici à l’ombre de la statue écrasante de Balzac, et rend plus vivantes que jamais la militante Nelly Roussel et la mathématicienne Sophie Germain.

A l’heure actuelle, elle planche sur un second tome de Mère Lachaise et parcourt les cimetières de France à la recherche de ces femmes effacées de l’Histoire. « Se pencher sur la mort d’une personne, chercher dans les registres anciens, découvrir une tombe, son état et les hommages laissés là, c’est aussi découvrir une existence. C’est hyper joyeux en réalité », s’enthousiasme Camille Paix. Et ce nom de famille prédestiné ? « Figurez-vous qu’on me l’a fait remarquer il y a peu ! Je n’avais jamais fait le rapprochement avec le fait de reposer en paix », lâche-t-elle avec un sourire immortel.

Infos pratiques : Mère Lachaise, 100 portraits pour déterrer le matrimoine funéraire, de Camille Paix, éditions Cambourakis, 19 €. Plus d’infos sur le compte Instagram @Merelachaise. Cimetière du Père-Lachaise, 30, boulevard de Ménilmontant, Paris (20e). Ouvert tous les jours. Accès : métro Philippe Auguste (ligne 2).  Plus d’infos sur pere-lachaise.com

Le cimetière du Père Lachaise / © Virginie Jannière pour Enlarge your Paris
Le cimetière du Père Lachaise / © Virginie Jannière pour Enlarge your Paris

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