Culture
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Johnny Montreuil chante la banlieue et fait vivre l’esprit « narvalo »

Totem montreuillois, institution musicale aux allures rockabilly, Johnny Montreuil vit dans une caravane sur les hauteurs de sa ville. Et compose des chansons punks qui racontent sa banlieue… Avant disparition ?

D’abord, il y a sa rue, qu’il chante sur son dernier disque, « Zanzibar  », tout juste sorti du four. Rue Saint-Antoine à Montreuil (Seine-Saint-Denis), artère « rurale » et cabossée, bordée des caravanes des gitans, ambiance anarchique, « zone ultra-poétique, où se croisaient en liberté chiens, poules, lapins, fils électriques et autres trucs chelous… », décrit-il. Et puis, il y a le n° 60, où il a planté son royaume. Nichée au cœur des parcelles bucoliques des Murs à pêches, patrimoine montreuillois dont la végétation et les fleurs explosent en ce printemps, voici sa caravane. Devant son campement, le cow-boy le plus célèbre de l’Est parisien, tatouage à l’épaule « Un dimanche au bord de l’eau », étend ses jeans au soleil, après lessive. « Franchement, j’suis pas pénard, là ? L’été, je dors dehors, l’hiver, je me chauffe avec mon petit poêle à bois », jubile Johnny Montreuil. Il faut dire que le rockeur, propriétaire d’un « cheptel de cinq caravanes », est monté en gamme avec son véhicule deux pièces tout confort, cosy, tout de bois et de couleurs.

En 2011, Benoît Dantec dans le civil (chut ! c’est un secret !) a installé ici sa première « carlo » (caravane) après une rupture amoureuse et le squat d’un vieux sémaphore. « J’avais ce goût de l’aventure, cette excitation des marges, tout en restant un honnête citoyen », résume-t-il. Et voici le gadjo à partager l’existence et le terrain vague des gitans, des Roms, sans jamais faire semblant d’en être un.

La vie de ce totem montreuillois, de cette institution musicale, santiags bien ancrées dans le paysage, commence pourtant en 1978 dans une banlieue aux antipodes géographiques : Clamart (Hauts-de-Seine), cité de la plaine. Un « territoire ultra-métissé pas franchement dynamique, où s’emmêlent les business de shit, les histoires de zonzon, de baston… ». Dans ce contexte « légèrement agressif », ce fils d’un ouvrier de chez Thomson et d’une femme au foyer très investie dans la vie associative, repousse les murs de béton par la pratique du rugby, des escapades à Paris et des colos estivales, dont un tour mythique de la Crète à mobylette, avec des enfants placés, une bande de marlous prompts aux conneries, à la castagne et aux beuveries.

La banlieue, selon Johnny : un idéal de « banlieue rouge » où le vivre-ensemble règne en maître, où les blousons noirs tiennent le haut du pavé.

Et puis, il y a la musique. Le punk dans lequel il plonge avec presque dix ans de retard. Et les figures tutélaires qui guident ses doigts sur la guitare, puis la contrebasse : Georges Brassens, François Hadji-Lazaro, Manu Chao et bientôt, son idole Johnny Cash (« une tartine dans ma tronche », récapitule-t-il). « Les gars du quartier, biberonnés au hip-hop teubé, me traitaient de boloss avec mon son old school », se marre-t-il.

Un détour par Rennes pour jouer en Fédérale 1 de rugby, un diplôme d’éducateur spécialisé, des voyages par amour au Québec et en Irlande, et le voici avec sa « chérie », la mère de son premier enfant, à fixer son port d’attache à Montreuil, dont il adore l’ébullition culturelle et les rades de naufragés à chaque carrefour, où la musique jaillit du fond des tripes. Des colocations, des appartements, une séparation… Et enfin la roulotte ! Liberté ?

Ici, il forge son personnage, Johnny Montreuil, avec sa gueule d’atmosphère, sans même savoir que « son nom d’apache, son blaze » était celui d’un vrai loubard du coin, dont les « vieux se rappellent encore les frasques » : « un marlou dopé à la baston, un loser souvent ivre, qui avait du succès auprès des nanas ». Et puis paraît son premier disque en 2015, « Narvalo City Rockerz », qui signe son style : une chanson de banlieue punkoïde, une poésie née du bitume, d’essence folk-country, tendre et vitaminée, où fleurissent les mots d’argot comme l’incontournable « narvalo », parole de gitans montreuillois pour désigner « un gars un peu bancal ». La banlieue, selon Johnny ? Un idéal de « banlieue rouge » où le vivre-ensemble règne en maître, où les blousons noirs tiennent le haut du pavé.

Avec l’âge, cet intermittent du spectacle, passé sur les écrans du 7art, notamment dans le film Django (2017), a troqué ses énormes rouflaquettes pour d’élégantes moustaches et arrondi le bout de ses santiags. Autour de lui, Montreuil se gentrifie. S’assagit. « Est-ce le monde qui change ? Ou moi ? Ou les deux ? », se demande-t-il. Sur la banlieue d’aujourd’hui, sur le Grand Paris, il se révèle peu disert. Il en reconnaît les avantages – l’essor des transports. Il en redoute les dérives – l’aseptisation ? Son monde change. Peut-être, après tout, doit-il céder à l’appel du large, comme le suggère son dernier disque… Zanzibar ? La Bretagne ? L’idée chemine.

En attendant, ce matin, muni des clés de toutes les parcelles des Murs à pêches, il rend visite à la mare aux crapauds. Et va saluer son voisin-copain sénégalais, Alune, et sa ferme, avec ses lapins, son paon et son troupeau de chèvres. Soit la vie de Johnny dans les hauteurs de Montreuil. Belle comme une chanson.

Anne-Laure Lemancel pour le Journal du Grand Paris