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« Comme le 93, le Sahara est un espace qui génère beaucoup de fantasmes »

"Desert Rose", d'Ismail Zaidy, à voir dans le cadre de l'exposition "Hôtel Sahara" aux Magasins généraux à Pantin jusqu'en octobre / © Ismail Zaidy & Hanin Tarek
« Desert Rose », d’Ismail Zaidy, à voir dans le cadre de l’exposition « Hôtel Sahara » aux Magasins généraux à Pantin jusqu’en octobre / © Ismail Zaidy & Hanin Tarek

Donner la parole aux jeunes artistes africains pour déconstruire les clichés sur l'Afrique. Tel est l'enjeu de l'exposition "Hôtel Sahara" aux Magasins généraux à Pantin à voir jusqu'en octobre et dont nous parlent ses deux commissaires, Anna Labouze et Keimis Hennis.

Comment est née cette nouvelle saison culturelle des Magasins généraux consacrée au Sahara et à son imaginaire ?

Anna Labouze : L’idée vient de la saison Africa 2020 (un ensemble de projets visant à mieux faire connaître l’Afrique contemporaine aux Français, ndlr). En février 2020, dans le cadre de cet événement, dix artistes de pays traversés par le Sahara ont accepté de réaliser une résidence d’une semaine au sud-est du Maroc. Il s’agissait pour eux de proposer des oeuvres autour du Sahara, de ses représentations. Keimis et moi avons entendu parler de ce projet. Etant nous-mêmes originaires d’Algérie, cette question nous a interpelés. Ça a été le point de départ de l’exposition « Hôtel Sahara ». 

Keimis Hennis : On voulait comprendre comment cet espace de circulation, de contact entre différents peuples, est devenu un espace-frontière, coupant l’Afrique en deux et générant de nombreux fantasmes.

Pourquoi ce titre « Hôtel Sahara » ? 

Keimis Hennis : Le mot « hôtel » renvoie à la distance qu’il y a entre les réalités du Sahara et les fantasmes qu’il génère ; et aussi au rapport souvent distendu entre les artistes sélectionnés et cette région d’Afrique. Bien qu’originaires de pays traversés par le désert, ils l’ont souvent découvert comme touristes. Pour certains même ils ne le connaissaient pas. 

Comment les artistes ont-ils été choisis ?

Anna Labouze : Nous souhaitions mettre en valeur des artistes jeunes et émergents. Cette exposition, nous l’avons avant tout pensé pour la nouvelle génération, avec de la vidéo, de la danse, de la modulation 3D et même de la programmation informatique ! Ce que nous aimons aussi, c’est leur côté très collectif. Tewa Barnosa, une artiste engagée libyenne, a par exemple utilisé l’argent de ses études pour monter une fondation dédiée à la promotion de la culture libyenne, un an seulement après le début de la guerre civile.

Quels genres d’œuvres peut-on voir ? 

Anna Labouze : Les visiteurs pourront par exemple voir le travail de Sarah Sadik. Il porte sur la construction de l’identité de la jeune diaspora maghrébine en France. Pour « Hôtel Sahara », elle a suivi deux adolescents partis en vacances au pays, au Maroc, et qui les documentent sur Snapchat. Résultat : on voit que les diasporas elles-mêmes participent à la diffusion de fantasmes sur cette région d’Afrique.

Keimis Hennis : Je pense à Tewa Barnosa, qui explore la calligraphie et s’intéresse à l’importance de l’écriture. Elle a ainsi créé un panneau géant en néons, façon motel, où elle a écrit « Le Sahara n’est pas un hôtel » en utilisant le tifinagh, l’alphabet berbère. Autour de cette installation, cinq enceintes diffusent des enregistrements récupérés sur les réseaux sociaux, dans les médias ou encore d’un musicien lisant des textes qu’elle a écrits. Ils parlent du contexte sud-libyen, de la guerre, des exactions, des déplacements de population, d’extraction minière…

Que questionne cette exposition ?

Anna Labouze : Elle démontre que la nouvelle génération peut se saisir de son destin et en devenir actrice. Construire des histoires alternatives, au-delà de celles qui sont dans les livres, est possible. Souvent, celles qui existent aujourd’hui sur le Sahara sont racontées par des personnes qui n’en sont pas originaires. Avec cette exposition, on veut permettre à cette nouvelle génération de s’approprier les champs de la culture.

Keimis Hennis : Nous souhaitions montrer à cette jeune génération que l’art contemporain, le savoir, la philosophie sont aussi pour elle !  C’est d’autant plus important que les Magasins généraux sont situés à Pantin, dans le 93, dans un espace qui génère beaucoup de fantasmes, comme le Sahara. Les habitants de banlieue ne vous raconteront pas les mêmes histoires que celles de l’historiographie traditionnelle. A nous de donner les armes du savoir aux communautés minoritaires.

Infos pratiques : Exposition « Hôtel Sahara » aux Magasins généraux, 1 rue de l’ancien canal, Pantin (93). Du 12 juin au 2 octobre. Ouvert du mercredi au dimanche de 12h à 19h. Entrée libre. Accès : Métro Église de Pantin Ligne 5. Plus d’infos sur magasinsgeneraux.com

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