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« Il faut rouvrir les rivières du Grand Paris »

La Bièvre au niveau de Jouy-en-Josas / © Steve Stillman pour Enlarge your Paris
La Bièvre au niveau de Jouy-en-Josas / © Steve Stillman pour Enlarge your Paris

Au XXe siècle, de nombreuses rivières du Grand Paris ont été enfouies en raison de l'urbanisation. Co-fondateur d'Espaces, association d’insertion par l’écologie, et vice-président d’Emmaüs France, Yann Fradin plaide pour la reconquête et la réouverture des rivières urbaines. Sujet qu'il évoquera dimanche 4 juillet lors d'une balade organisée par Enlarge your Paris, la Métropole du Grand Paris et l'Office national des forêts, "De Meudon à Versailles par les bois" le long des étangs et des rigoles.

On peut aller de Meudon à Versailles à pied ou à vélo par une trame verte forestière de 15 km peu connue des Grand-Parisiens. Quelle est l’histoire de ces forêts ?  

Yann Fradin : Les massifs de Meudon (Hauts-de-Seine) et de Versailles (Yvelines) sont d’anciennes chasses royales, ce qui les a longtemps protégées. La proximité du château de Versailles et des belles propriétés de l’Ouest parisien y ont aussi limité l’urbanisation qu’a connue la banlieue parisienne à partir du XIXe siècle. Au début du XXe siècle, le plateau de Meudon, Clamart et Vélizy était encore une zone de pépiniéristes et de maraîchers. C’est avec les années 1960 qu’a vraiment commencé l’urbanisation avec par exemple la création de Meudon-la-Forêt pour loger les pieds-noirs rapatriés d’Algérie et les ouvriers des usines Renault de Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine). Routes, centres commerciaux, étalement urbain ont suivi. Mais la forêt est restée, et offre une belle coulée verte qui relie les Hauts-de-Seine et les Yvelines, quasiment depuis les berges de la Seine.

Cette trame verte est aussi une trame bleue, tant il y a d’étangs dans les bois. D’où vient toute cette eau ?

Les forêts domaniales de Meudon et Versailles se trouvent à cheval entre les bassins de la Seine et de l’amont de la Bièvre, et sont le départ de nombreux ruisseaux, rivières, sources et rigoles qui descendent à travers les vallées : la Seine est 35 mètres au-dessus du niveau de la mer, alors que le plateau forestier au-dessus de Meudon culmine à 175 mètres. La forêt et ses nombreux lacs constituent donc une espèce de château d’eau, un réseau des réservoirs de petites rivières aux noms oubliés : les rus des Nouettes et de Marivel, de Morval, d’Arthelon… On ne les voit plus car elles sont toutes enterrées et souvent canalisées dans des égouts, mais elles coulent toujours dans le sol, sous les routes et sous les maisons, pour rejoindre, en toute discrétion, la Seine. J’aimerais que l’on se souvienne qu’entre chaque île de la Seine, se trouve l’arrivée d’une « rivière perdue » des Hauts-de-Seine. Le ru de Marivel se jette dans la Seine entre l’île de Monsieur et l’île Seguin. Et entre l’île Seguin et l’île Saint Germain débouche le ru d’Arthelon, qui prend sa source en forêt et chemine à travers la vallée de Meudon.

A partir de quand a-t-on perdu la trace de toutes ces rivières ?

Au fil des siècles, on a construit des moulins le long de cours d’eau, puis des blanchisseries et des tanneries, et toute cette activité a fini par créer d’importantes nuisances sanitaires et olfactives. Du coup, à partir du 19e siècle, dans le cadre des politiques hygiénistes, on a enseveli les rivières, qu’on a ensuite fait passer dans des collecteurs d’égout. Et on a construit des routes, des parkings et des logements au-dessus puis dans leurs lits. C’est ainsi que les rivières ont disparu du paysage, mais pas seulement : l’eau qui coule en ville n’a pas de statut, pas d’existence juridique. L’administration parle d’« eaux claires parasites permanentes » ou « ECCP ». A la campagne, quand de l’eau s’écoule d’une source, d’une fontaine, on trouve cela très bien et on appelle cela une rivière. Dans le Grand Paris, à part les grandes rivières telles que la Marne et la Seine, les rivières urbaines qui coulent depuis des siècles sont des parasites. Cette situation est absurde.

A voir : « Le retour des rivières« , entretien vidéo avec Yann Fradin dans le cadre de l’exposition « La Beauté d’une ville » au Pavillon de l’Arsenal à Paris

Vous militez activement pour leur réouverture, notamment celle du ru du Marivel, une rivière aujourd’hui complètement enterrée qui prend sa source à Versailles et rejoint la Seine au niveau du pont de Sèvres, après avoir traversé Viroflay, Chaville et Sèvres. A quoi cela sert de rouvrir une rivière en ville ?

A cause du réchauffement climatique, il faut rendre aux rivières urbaines un statut, créer des îlots de fraîcheur mais aussi renforcer la nature en ville. Il faut rouvrir les rivières du Grand Paris, c’est un travail de mémoire et d’urbanisme, d’écologie, de génie civil et de poésie paysagère. Et qui touche de plus en plus les habitants. C’est ainsi que depuis 2008, nous organisons tous les deux ans une balade urbaine populaire dans l’ancien lit du ru du Marivel, pour sensibiliser les habitants à l’intérêt écologique de sa réouverture. Cette démarche prendra beaucoup de temps, mais il coule déjà à nouveau à l’air libre devant la mairie et le collège de Sèvres ! Il faut porter cette démarche, qui commence d’ailleurs à trouver un écho positif chez les élus de la Métropole. L’exemple de la Bièvre voisine (qui fait l’objet d’un programme de réouverture, Ndlr) nous inspire et nous encourage.

Votre association, Espaces, est également engagée dans l’entretien des étangs de la forêt de Meudon…

L’étang de Villebon est un vestige du réseau d’étangs et rigoles réalisé à la fin du XVIIe siècle pour alimenter les bassins et les jets des jardins du domaine de Meudon (devenu pour partie après la Révolution, un observatoire d’astronomie, NDLR). La seule utilité de cet étang était d’alimenter le jet d’eau du bassin du Grand Ovale qui s’élevait à plus de 24 mètres, un exploit et une attraction à cette époque. L’étang de Meudon, lui, a été créé dans les années 1960 pour servir de bassin de rétention des eaux de pluie de la ville nouvelle de Meudon-la-Forêt. Chaque année aux alentours du mois de février-mars, les bénévoles de notre association suivent la migration nuptiale des crapauds dans les deux étangs. On a ici avec celle de l’étang d’Ursine une des plus grandes migrations urbaines de crapauds d’Europe, lors des périodes de naissance et de reproduction ! Au-delà du comptage et de la protection des animaux et de l’entretien des étangs, nous militons pour la fermeture des routes en forêt qui progresse très bien au fil des années ! Il faut faire baisser la pression humaine sur la faune et la flore. La fréquentation des forêts périurbaines depuis le déconfinement, en montre clairement l’urgence.

Infos pratiques : Balade « De Meudon à Versailles par les bois » dimanche 4 juillet organisée par Enlarge your Paris en partenariat avec l’Office national des forêts dans le cadre des Rencontres de l’arbre. Inscription gratuite sur eventbrite.fr

Etang en forêt de Meudon / © Vianney Delourme pour Enlarge your Paris
Etang en forêt de Meudon / © Vianney Delourme pour Enlarge your Paris

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