Quelle est votre définition du boui-boui ?
Anaïs Lerma : Étymologiquement, le boui-boui est un redoublement du mot boui qui désigne l’enclos des oies et des canards. C’est dire si le boui-boui est un mot péjoratif associé à une forme de médiocrité… Alors que c’est tout le contraire ! Je dirais déjà que le dénominateur commun entre tous les bouis-bouis, c’est le prix. On y mange bien et pour pas cher. Par rapport au guide que j’ai auto-édité en 2019, j’ai gardé la barre de 15 € que je m’étais fixée pour déjeuner. Dans un boui-boui, toutes les classes sociales sont représentées. Avec les fast-foods, c’est le seul endroit où l’on voit ça. L’autre dimension emblématique, c’est la proximité. D’abord parce que ce sont souvent des petits endroits où on est au coude-à-coude avec son voisin. Ensuite parce que, souvent, on a un lien avec le gérant. Le boui-boui est en général situé près de chez soi, il est toujours ouvert, c’est presque un monument local. C’est aussi un lieu où on se sent à la fois chez soi et dépaysé. On n’est pas gêné d’y venir seul, de n’y commander qu’un plat. Enfin, quand vous lisez les avis sur le Net concernant ce type de lieu, ils commencent en général par « Ça ne paie pas de mine mais… ». Le boui-boui est le lieu où on hésiterait à rentrer mais qui se révèle une bonne surprise.
Depuis 2019 et la parution de votre premier guide des bouis-bouis, avez-vous noté une évolution ? La crise du covid a-t-elle mis à mal ces lieux ?
Il est clair que tout le monde a augmenté ses prix. Les bouis-bouis aussi, mais pas à la même vitesse que les autres établissements. Il y a une volonté stratégique, émotionnelle voire quasiment politique de garder les prix bas. Par rapport à mon premier guide, peu d’établissements ont fermé car ce sont souvent des gens qui travaillent seuls et n’avaient donc pas de salaire outre que le leur à dégager. Finalement, cette immuabilité, c’est aussi ce qui est rassurant avec ces restos : ils semblent comme conservés dans le formol. Peu de choses y changent, le menu est simple, tout le monde le comprend. Je précise cela car j’ai lu récemment dans l’essai Mangez les riches (éd. Nourriturfu) de Nora Bouazzouni que certains menus, en employant des termes pas connus de tous (la bonite, etc.) favorisent l’entre-soi. Ce n’est évidemment pas le cas dans un boui-boui. Sa simplicité le rend accessible à tous.
Actuellement, les bouillons, qui proposent aussi une nourriture à petit prix, reviennent en force. Y voyez-vous une menace pour le boui-boui ?
Je trouve cette recrudescence des bouillons positive. Si cela peut permettre à chacun de sortir manger dehors une fois de temps en temps, c’est très bien. Mais, comme je le disais, un boui-boui, c’est une adresse de quartier, on veut qu’il soit près de chez soi. Or le nombre de bouillons dans le Grand Paris n’est pas assez important pour que ce soit le cas. Par ailleurs, dans ces nouveaux bouillons, ce n’est pas du tout la même ambiance : on est dans quelque chose d’un peu branché. Ce n’est pas l’ambition du boui-boui qui, lui, a surtout pour vocation de nourrir généreusement et pour pas cher.
Infos pratiques : Bouis-Bouis : bien manger à Paris pour moins de 15 €, par Anaïs Lerma. Éd. Hachette. 13,95 euros. En librairie à partir du 18 septembre
La sélection d’Anaïs Lerma
7Oumani chez Issam à Pantin
« 0km Tunis » peut-on lire sur la devanture et c’est vrai qu’on y est presque dès lors que l’on franchit le pas de la porte. Les piments pendent au plafond par dizaines, l’huile frétille, les grands bocaux de citrons confits attendent sagement leur sort en saumure sur le comptoir, les armoiries de la Tunisie habillent les murs. Une ardoise affiche le menu même si personne ne semble y prêter un regard. Chacun des habitués sait exactement ce pour quoi il est venu. Et la grande majorité se tourne vers le lablabi, un des plats phares de la cuisine tunisienne composé de pois chiches, d’un bouillon fin aromatisé à l’ail et au cumin, généralement servi sur des morceaux de pain rassis. On nous met au travail : on va couper en petits morceaux une demi-baguette dans une assiette creuse avant de redonner l’assiette au chef. Quelques minutes plus tard, on la récupère pleine, avec un œuf mollet sur le dessus. Nous sommes invités à bien mélanger le tout. Le pain se gorge du bouillon créant une pâte veloutée divinement parfumée. C’est surprenant, mais follement réconfortant. Le keftaji – légumes frits (poivrons, courgettes et tomates) mélangés avec des œufs – servi avec une assiette de frites maison, en format chips, est tout aussi réussi. Les portions sont extrêmement généreuses, laissant peu d’opportunités à une brick de prendre sa place, mais elle est tout aussi recommandable, bien croustillante et très bien garnie. Tous les plats sont aussi proposés en format sandwich.
Infos pratiques : 7Oumani chez Issam, 65, avenue Édouard Vaillant, Pantin (93). Ouvert tous les jours de 10 h à 23 h. Accès : métro Aubervilliers–Pantin–Quatre Chemins (ligne 7). Plus d’infos sur Facebook
L’Avanos à Ivry
Alors, oui, il faut avoir l’audace de s’aventurer sur cette dalle à quelques mètres de la mairie d’Ivry. Mais vous ne serez assurément pas déçu du voyage. Immersion en Anatolie, un coup d’œil au plafond et aux montgolfières de Cappadoce permettra de vous en assurer. On a tous un souvenir en demi-teinte du kebab de notre jeunesse, souvent plus roboratif que gastronomique. L’Avanos va peut-être vous réconcilier avec ce qui s’appelle en réalité un döner, le plus célèbre des sandwichs turcs que vous pourrez aussi déguster à l’assiette. Tout est artisanal, du pain à la broche. Le thé est offert.
Infos pratiques : L’Avanos, 19, promenée Marat, Ivry-sur-Seine (94). Ouvert tous les jours sauf le dimanche de 10 h 30 à 23 h. Accès : métro Mairie d’Ivry (ligne 7)
Le Drapeau de la Fidélité dans le 15e
Ouvert en 1984, le Drapeau de la Fidélité raconte l’âme des bouis-bouis comme aucun autre. Dès potron-minet, une fois leur service terminé, les éboueurs viennent y prendre leur café. Monsieur Quan incarne tellement ce lieu que les habitués l’ont rebaptisé Chez Quan. Une institution qui brasse étudiants, cols blancs et ouvriers, et régale ce joyeux monde de plats vietnamiens pour moins de 10 €. De généreux bún, du bœuf lôc lac, du porc au caramel ou encore du poulet au curry. Ajoutez un verre de côtes-du-rhône ou une bière et vous n’atteindrez toujours pas la barre des 15 €. Si Monsieur Quan a cédé l’affaire à son fils, il veille au grain et on le trouve ici chaque jour au milieu des livres, de bibelots chinés durant 40 ans, de photomatons des habitués et de dessins d’étudiants en art. Un cabinet de curiosités où l’on peut revenir cent fois y découvrir toujours un nouveau bibelot et dans le même temps s’y sentir comme à la maison.
Infos pratiques : Le Drapeau de la Fidélité, 21, rue Copreaux, Paris (15e). Ouvert de midi à 15 h et de 18 h à 22 h tous les jours sauf le dimanche. Accès : métro Volontaires (ligne 12). Plus d’infos sur Facebook
La Marmite d’Afrique dans le 19e
Association fondée en 2008, la Marmite d’Afrique offre une restauration de qualité à des prix solidaires, mettant en avant les spécialités culinaires d’Afrique subsaharienne. S’adressant initialement aux résidents de foyers de travailleurs migrants qui bénéficient encore d’un prix préférentiel, elle est aujourd’hui un lieu de rencontres culturelles diversifiées mixant tous les publics. La grande salle s’apparente à une cantine et l’on va d’ailleurs se servir comme dans un self. Mafé, tieb, yassa, saga saga : vous êtes assurément au bon endroit pour suivre un cours de rattrapage des spécialités d’Afrique de l’Ouest. Généreux, sans fioritures, savoureux, cuisiné chaque matin sur place avec des produits frais… Certainement l’un des meilleurs rapports qualité/prix de la capitale !
Infos pratiques : La Marmite d’Afrique, 116, rue de Crimée, Paris (19e). Ouvert du lundi au samedi de 11 h 30 à 19 h. Accès : métro Laumière ou Ourcq (ligne 5). Plus d’infos sur lamarmitedafrique.org
Au Petit Bar dans le 1er
Comme un ovni entre les joailliers de la place Vendôme et les palaces de la rue de Rivoli, c’est un bistro figé dans le temps. Rideau en dentelle blanche, éphéméride sur la porte, distributeur de cacahuètes sur le comptoir en formica à côté du téléphone à cadran, journaux La Lozère nouvelle et L’Équipe en libre-service sur la banquette, et de vieilles carafes Ricard sur les tables. La porte du fond de la salle est ouverte sur la cuisine et les vieilles marmites, celles dans lesquelles on fait certainement le meilleur petit salé aux lentilles du jour, comme tous les lundis. Ici, le semainier rythme invariablement la semaine depuis presque 60 ans. Mardi, rôti de veau ; mercredi, rosbif et frites maison ; jeudi, saucisse d’Auvergne et purée maison ; vendredi, gigot d’agneau et haricots coco. Hubert et Michel, tablier bleu, chemise blanche et serviette rouge sur l’épaule, servent avec entrain les habitués qui jouent du coude au comptoir. Hubert et Michel sont frères et ils ont un peu grandi ici, dans ce petit bar que leurs parents ont ouvert en 1966. Les plats, à l’évidence servis dans de vieilles assiettes dépareillées, ont la saveur des plats ménagers et familiaux. Un bistrot qui raconte Paris comme aucun autre.
Infos pratiques : Au Petit Bar, 7, rue du Mont-Thabor, Paris (1er). Ouvert de 7 h à 21 h 30 tous les jours sauf le dimanche. Accès : métro Tuileries (ligne 1) ou Concorde (lignes 1, 8 et 12)
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12 septembre 2024 - Paris