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Vers la renaissance d’un village abandonné au bout des pistes de Roissy

L'architecte Khader Berrekla est investi dans un projet de tiers-lieu autour de l'alimentation durable pour redynamiser le Vieux Pays à Goussainville / © Jérômine Derigny pour Enlarge your Paris
L’architecte Khader Berrekla est investi dans un projet de tiers-lieu autour de l’alimentation durable pour redynamiser le Vieux Pays à Goussainville / © Jérômine Derigny pour Enlarge your Paris

Le Grand Paris Express vise des répercussions au-delà des territoires directement desservis. C’est le cas pour le Vieux Pays de Goussainville dans le Val-d'Oise. Abandonné dans les années 1970 suite à l'ouverture de l'aéroport de Roissy - Charles de Gaulle, il porte un projet de tiers-lieu dédié à l’alimentation durable qui sera relié à la ligne 17 grâce à un bus à haut niveau de service. Rencontre avec l’architecte Khader Berrekla, directeur général adjoint aux aménagements urbains de Goussainville.

Cette interview s’inscrit dans une série de portraits de Grand-Parisiens et de Grand-Parisiennes réalisée en partenariat avec la Société du Grand Paris

Le Val-d’Oise donne l’impression d’avoir été mis un peu à l’écart de la dynamique du Grand Paris. Quelle est votre analyse ?

Khader Berrekla : L’an dernier a été annoncé le plan d’action pour le Val-d’Oise qui vise à rattraper un peu le retard du département dans le développement du Grand Paris. Ce plan d’action intègre notamment le projet de bus à haut niveau de service qui va relier Goussainville au Parc des expositions de Villepinte, un des arrêts de la future ligne 17 du Grand Paris Express. Cette nouvelle ligne de métro va permettre d’accéder enfin à l’ensemble de la région parisienne sans avoir à repasser par Paris. Pouvoir aller et venir en métro permettra plus largement d’attirer de nouvelles activités et, avec elles, de nouveaux habitants. Enfin, cette ligne donnera accès aux zones d’emplois déjà existantes ; une bonne nouvelle pour les jeunes du nord de la métropole qui cherchent du travail. Cela donne de l’espoir quant au devenir de ce territoire. Mais je reste persuadé qu’on peut encore aller plus loin !

Pourquoi le Vieux Pays de Goussainville a-t-il été abandonné dans les années 1970 ?

Jusqu’au milieu du XXe siècle, le Vieux Pays était un village rural en même temps que le cœur historique de Goussainville (Val-d’Oise). Son histoire va changer dès lors que l’aéroport Charles-de-Gaulle s’installe à Roissy (Val-d’Oise) dans les années 1970. Il se situe alors dans l’axe de l’une des pistes. Aéroports de Paris (ADP) décide de proposer aux habitants du Vieux Pays de racheter leurs maisons du fait que leur quartier allait devenir invivable. Un peu plus de la moitié des gens dans le périmètre visé par ADP ont accepté de partir. Aujourd’hui, il reste environ 300 habitants et l’école est toujours en activité. Plus de 70 bâtisses ont été rachetées et murées dans l’optique de les démolir. Seulement, ADP avait omis un détail : pour pouvoir démolir les maisons, l’architecte des bâtiments de France doit donner son accord car l’église du village est classée monument historique. Ce qu’il n’a jamais fait. Cette opération constitue un réel gâchis pour Goussainville car c’est son quartier le plus charmant. Aujourd’hui, 30 000 habitants habitent la ville nouvelle.

Pourquoi est-il interdit de réhabiliter ces maisons ?

Les activités d’artisanat, le commerce et l’hôtellerie sont autorisées. Mais la loi interdit d’augmenter le nombre d’habitants exposés aux nuisances. Globalement, les nuisances sonores sont plus supportables qu’il y a trente ans pour des raisons de progrès techniques. Mais selon les jours et le sens du vent, cela reste assez variable.

 

Maison abandonnée dans le Vieux Pays de Goussainville /  © Sylvia Fredriksson (Creative commons - Flickr)
Maison abandonnée dans le Vieux Pays de Goussainville / © Sylvia Fredriksson (Creative commons – Flickr)

Comment la réflexion sur l’avenir du Vieux Pays a-t-elle été engagée ?

En 2009, ADP a cédé ce patrimoine à la Ville de Goussainville pour un euro symbolique. Mais rien n’a bougé réellement jusqu’en 2020 et l’arrivée de la nouvelle équipe municipale. Il fallait d’abord dresser un état des lieux de ces bâtisses ainsi que de leur intérêt patrimonial et urbain. Un architecte du patrimoine s’est attelé à la tâche en 2020 et a chiffré l’ampleur de l’opération de réhabilitation. Résultat : plus de 25 millions d’euros seront nécessaires. La deuxième étape a consisté à mener une grande concertation avec les habitants pour définir un futur à ce quartier.

Qu’est-il ressorti de cette concertation ?

Très clairement est ressortie l’idée d’un quartier culturel qui pourrait accueillir des artistes dans certains espaces, un pôle artisanal, ainsi qu’un site consacré à la formation. Avec ce vivier de bâtiments à réhabiliter, nous avons également pour projet de créer un CFA (centre de formation d’apprentis) autour des métiers du patrimoine. Par ailleurs, Goussainville s’apprête à accueillir dans les années à venir un nouveau pôle autour de l’alimentation durable juste en face de Vieux Pays. La SEMMARIS, la société qui gère le marché international de Rungis, va aussi installer Agoralim, un deuxième site à côté de l’aéroport. L’objectif serait, pour nous, de constituer un pôle des restaurations : restauration du patrimoine d’un côté et gastronomie de l’autre.

De quel manière le projet Agoralim va-t-il contribuer à la redynamisation du Vieux Pays ?

C’est un projet qui se développe sur plusieurs sites du nord de l’Île-de-France, mais Goussainville devrait être au cœur du projet puisque c’est là que devrait être implanté le « carreau des producteurs », le lieu où s’effectuent les transactions entre les grossistes et les détaillants. Cela pourrait créer environ 1 500 emplois à Goussainville et la SEMMARIS investit à hauteur de 350 millions d’euros dans ce très gros projet, déjà bien engagé, qui va changer complètement l’image de tout le secteur. Nous aimerions que le vieux Goussainville se rapproche de ce projet au niveau du développement de l’alimentation durable. Pourquoi pas un restaurant d’application du CFA ?

Le bouquiniste du Vieux Pays / © Vianney Delourme pour Enlarge your Paris
Le bouquiniste du Vieux Pays / © Vianney Delourme pour Enlarge your Paris

En quoi consiste le projet de tiers-lieu qui doit voir le jour ?

Ce projet de tiers-lieu sera la première étape de la réhabilitation du Vieux Pays. On y accueillera les premières activités culturelles, un bar-restaurant événementiel et pourquoi pas de la formation au bien manger. Dans ce vieux Goussainville, il subsiste les très belles écuries de l’ancien château, auparavant propriété des seigneurs de Goussainville.  Nous avons lancé jusqu’au 15 juin un appel à projets d’urbanisme transitoire pour l’occupation de ce site. L’idée est de partir de là pour rayonner sur l’ensemble du village. C’est cela qui fait la particularité de ce projet ; il n’est pas à l’échelle d’un bâtiment mais d’un village entier.

Quand pensez-vous ouvrir le site au public ?

Nous espérons accueillir les gens dès la fin de l’année 2023. Mais les choses bougent déjà : la « Fête du Vieux Pays », abandonnée pendant longtemps, a d’ores et déjà été relancée l’an dernier. La Ville a amorcé la réhabilitation de deux premières bâtisses sur la place du village et nous travaillons déjà avec des porteurs de projets privés qui devraient implanter des activités économiques dans le Vieux Pays. Enfin, nous planchons avec le syndicat sur des aménagements hydrauliques afin de renaturer, remettre dans son lit naturel et aménager les bords de la rivière enterrée.

Comment faites-vous pour financer une réhabilitation de cette envergure ?

Il est certain que la Ville de Goussainville ne peut financièrement pas mener ce projet toute seule. Nous avons lancé un appel à projets pour le tiers-lieu et nous avons déjà noué des liens avec certains collectifs. Il existe une volonté commune que ce site puisse se développer. Il va falloir que l’on puisse s’appuyer sur des partenaires. Ce n’est pas un site facile mais nous essayons de nous faire aider autant que possible, notamment par la Fondation du patrimoine et les services de l’État.

L'église du Vieux Pays / © Vianney Delourme pour Enlarge your Paris
L’église du Vieux Pays / © Vianney Delourme pour Enlarge your Paris

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