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Pourquoi réhabiliter des friches urbaines est moins coûteux qu’il n’y paraît

La friche du 6b à Saint-Denis organise une journée pour les coeurs brisés dimanche / © Le 6b
La friche du 6b, aménagée dans un ancien immeuble de bureau, est au cœur d’un nouveau quartier à Saint-Denis / © Le 6b

C'est dans les vieux pots qu'on fait les meilleures confitures. Un dicton qui pourrait s'appliquer à l'urbanisme avec la réhabilitation des friches, qui représentent environ 150 000 hectares en France. Un potentiel que met en évidence Bénéfriches, outil que nous expose Laurent Chateau, coordinateur friches à l'Ademe.

Face à la prise de conscience de l’importance de préserver nos sols, la reconversion des friches urbaines est devenue ces dernières années un enjeu central de la lutte contre l’artificialisation. Il faut dire que celle-ci a augmenté de 71 %, entre 1981 et 2019, pour une croissance démographique de seulement 19 %.

Dans le cadre de la loi climat et résilience, le gouvernement a fixé pour l’horizon 2050 un objectif de « zéro artificialisation nette » afin de mettre un terme à cette fuite en avant. L’enjeu est crucial, car il implique de cesser de considérer le sol comme un simple support de construction, afin de lui redonner sa valeur de ressource vivante non renouvelable qui remplit des fonctions essentielles, y compris pour la vie humaine.

Parmi les leviers censés aider à atteindre cet objectif, la réhabilitation de ces lieux désaffectés occupe une place centrale. En lieu et place d’une extension urbaine incontrôlée, il s’agit désormais d’opter pour une certaine « sobriété foncière » : avant d’urbaniser les surfaces agricoles, privilégions celles qui existent déjà au sein des villes. C’est-à-dire tous ces espaces anciennement consacrés à une activité qui les a éventuellement pollués, puis abandonnés pour différentes raisons : une entreprise qui a fait faillite et n’a pas de repreneur, une délocalisation, la fermeture d’une caserne ou d’un hôpital…

« Au premier abord, la reconversion paraît tomber sous le sens, mais c’est rarement l’option favorisée »

La France en compte une quantité difficile à chiffrer (de l’ordre de 150 000 ha de sites potentiellement en friches selon l’Ademe, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) et en constant renouvellement, sur l’ensemble du territoire même si certaines régions historiquement industrielles, comme le croissant Nord-Est, l’Auvergne-Rhône-Alpes ou l’Île-de-France, en abritent davantage que d’autres.

Au premier abord, la reconversion paraît tomber sous le sens, mais c’est rarement l’option favorisée par les acteurs en quête d’un site pour leur projet, car elle implique de coûteux travaux de remise en état du site. À y regarder de plus près, pourtant, la réhabilitation des friches peut apporter bien d’autres bénéfices, comme l’a mis en évidence l’Ademe.

Pour le comprendre, précisons d’abord ce que signifie la remise en état d’une friche : il peut s’agir, en cas de bâtiments présents sur le site en question, de déconstruction voire de désamiantage au préalable ; puis, de dépollution des sols.

Or ces opérations diffèrent selon l’usage auquel la collectivité ou l’acteur privé concerné souhaite destiner le lieu (logement, commerces, parcs, centrale photovoltaïque…). En France, on adopte en effet une logique d’évaluation des risques, c’est-à-dire que le degré de dépollution dépend des risques sanitaires associés à ce que l’on fera du lieu. Un site dévolu au logement, dans lequel le temps d’exposition d’enfants ou de personnes âgées est très important, impliquera une dépollution forcément plus poussée qu’un site transformé en simple espace vert. Certaines zones particulièrement chargées en polluants exigeront par ailleurs une décontamination systématique indépendamment de l’objectif poursuivi.

« En théorie, une entreprise très polluante qui quitte volontairement un lieu est censée se charger de la remise en état du site, mais ce n’est pas le cas d’activités moins contaminantes »

En quoi consistent alors ces méthodes si coûteuses – la dépense est très variable mais est estimée, en moyenne, à 360 000 euros par hectare, actualisation prévue à la rentrée 2022) – qui freinent parfois les projets de reconversion ? Notons en premier lieu que tous les sols peuvent être dépollués, ce qui ne signifie pas pour autant qu’ils retrouveront leur état initial. Il existe différentes techniques pour mener le processus, adaptées à la variété de polluants que l’on peut rencontrer : pour des polluants volatils comme le carburant (par exemple dans une ancienne station-service) ou les solvants (par exemple dans une ancienne blanchisserie ou industrie textile), il « suffira » de nettoyer le sol directement en place, sans excavation, en y injectant de l’air afin d’entraîner les polluants, puis de le filtrer pour les récupérer. Plusieurs variables peuvent entrer en jeu : si la pollution est trop accrochée, il sera par exemple nécessaire de chauffer le flux d’air.

D’autres techniques consistent à stimuler les bactéries présentes dans le sol, c’est-à-dire les organismes qui ont résisté ou se sont développées à la suite de la contamination. Les identifier puis les stimuler permettra de dégrader la pollution ; c’est une méthode qui fonctionne notamment avec les hydrocarbures (carburants ou huiles légères). Dans certains cas, l’excavation de la terre avant traitement sur place sera quand même nécessaire.

Le coût initial de telles opérations peut générer à court terme un déficit économique. En théorie, une entreprise très polluante qui quitte volontairement un lieu est censée se charger de la remise en état du site, mais ce n’est pas le cas d’activités moins contaminantes. Il existe des cas complexes, où la pollution s’accumule depuis des siècles, rendant difficile l’imputation à une seule société de tout le passif des lieux. Ou alors dans les cas de faillite.

«L’option de la réhabilitation aura souvent des retombées à moyen ou long terme : il est par exemple susceptible d’améliorer l’attractivité d’un lieu, de recréer des centralités au cœur des villes et donc d’en améliorer le cadre de vie »

À plus long terme toutefois, la remise en état d’une friche peut créer de nombreuses externalités positives, comme l’a mis en évidence l’Ademe à travers Bénéfriches : fruit d’un travail de longue haleine sur le sujet, cet outil vise à orienter les acteurs dans leurs choix d’aménagement, notamment face au dilemme entre renouvellement et extension urbaine en comptabilisant les avantages et les inconvénients de chaque option et d’en tirer un bilan.

Prenons l’aspect économique dans un premier temps. Si l’investissement initial est important, l’option de la réhabilitation aura souvent des retombées à moyen ou long terme : il est par exemple susceptible d’améliorer l’attractivité d’un lieu, de recréer des centralités au cœur des villes et donc d’en améliorer le cadre de vie. Les riverains d’une friche réhabilitée pourront ainsi voir dans bien des cas leurs logements revalorisés. Elle peut également générer des économies en infrastructures : en cas d’extension urbaine, connecter le nouveau quartier à la ville impliquera de recréer des routes, des trottoirs, de tirer des réseaux d’électricité et d’eau. Et de les entretenir pendant des dizaines d’années. Pour les usagers et les habitants, le coût des déplacements sera lui aussi minimisé.

Ainsi, à Sevran, en Île-de-France, où la ville a converti la friche industrielle Kodak en parc paysager à haute valeur écologique, le calculateur évalue les bénéfices nets socio-économiques à 23,6 millions d’euros, dont 90 % reviennent aux riverains qui voient leur qualité de vie mais également la valeur de leur bien immobilier augmenter.

« Les atouts de la réhabilitation ne se mesurent pas seulement à l’aune d’indicateurs économiques »

Un autre aspect est à considérer dans la décision : un projet qui exige par son usage moins de dépollution, donc un investissement moins important, n’est pas forcément intéressant à plus long terme, car il générera moins de recettes. Prenons le cas de l’espace vert, par rapport aux logements ou aux commerces. Les projets proposant des usages mixtes peuvent donc se révéler plus intéressants.

Les atouts de la réhabilitation ne se mesurent toutefois pas seulement à l’aune d’indicateurs économiques. Bénéfriches tient également compte des impacts en matière d’intérêt général. Préserver une surface agricole, c’est maintenir du carbone dans les sols ainsi que la capacité à en stocker à long terme. Recréer des espaces de nature en ville peut permettre de restaurer des fonctions écologiques du sol ou encore de reconstituer des corridors écologiques. Éviter des déplacements en voiture entraîne une réduction des émissions des gaz à effet de serre et donc une atténuation du changement climatique. Sans parler des bénéfices sur la santé qu’aura la présence d’espaces verts en centre-ville, par exemple.

Toujours dans le cas de la friche de Sevran, l’outil a également mis en évidence l’amélioration de la qualité de l’air, la création d’un îlot de fraîcheur et la préservation de la biodiversité… Tous ces effets paraissent relever du simple « bon sens », mais l’objectif poursuivi par Bénéfriches est de les mesurer, pour un projet donné, en se fondant sur des études qui font consensus. Et l’outil est applicable à tout projet de renouvellement urbain portant sur la densification ou la reconversion de friches.

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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