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Le tourisme de proximité, l’art de s’évader près de chez soi

Le canal de l'Ourcq au niveau du parc forestier de la Poudrerie à Sevran / © Jérômine Derigny pour Enlarge your Paris
Le canal de l’Ourcq au niveau du parc forestier de la Poudrerie à Sevran lors d’une randonnée urbaine organisée par Enlarge your Paris / © Jérômine Derigny pour Enlarge your Paris

Interrogés par le Comité régional du tourisme Paris Île de France en 2013, 51% des Franciliens disaient méconnaître les lieux touristiques de la région. Entre-temps, le "staycation", ou tourisme de proximité, est devenu tendance et pourrait se renforcer si le déconfinement devait s'effectuer par régions comme le préconise l'Académie de médecine.

En 2008, au moment de la crise des subprimes aux États-Unis, partir en vacances près de chez soi (ou plutôt, rester chez soi pendant ses congés) était mal vu. Subi. C’est ce que rappelle Jean-Christophe Dissart, professeur des universités à Grenoble dans un article paru dans la revue Espaces. Pourtant, en 2020, le « staycation » (ou tourisme de proximité) est devenu tendance. « Certaines personnes vont à l’hôtel pour aller au spa, à la piscine dans leur propre quartier », note Guy Raffour, fondateur du cabinet Raffour Interactif, spécialisé dans le tourisme et le e-tourisme.

Et la tendance trouve en France un terreau propice à son développement : 80% des Français partent en vacances dans l’Hexagone, que ce soit pour un week-end ou des congés de plus longue durée. En Île-de-France, « la clientèle francilienne est l’une de nos premières clientèles en nombre de visiteurs depuis des années, c’est la clientèle historique », assure Christophe Decloux, directeur général du Comité régional du tourisme (CRT) Paris-Île-de-France.

À l’heure où de nombreux Franciliens s’imaginent la première escapade qu’ils feront après le confinement, l’Île-de-France a une importante carte à jouer. Car ses habitants méconnaissent grandement leur territoire. Une étude menée en 2013 par le CRT Paris-Île-de-France montre en effet que 53% des Franciliens estiment mal connaître les lieux touristiques et de loisirs de leur région. « La Seine-et-Marne fait la moitié de la surface de l’Île-de-France et certains Franciliens l’ignorent encore ! », souligne Christophe Decloux.

L’Île-de-France serait donc un immense terrain de jeux où tout ou presque est à découvrir. « En région parisienne, il existe une offre très complète accessible toute l’année, pour toute la famille, y compris les dimanches et hors saison », note Guy Raffour. Le territoire recèle en prime un riche patrimoine. « Le CRT promeut régulièrement le chemin des impressionnistes, que ce soit à Auvers-sur-Oise ou à Saint-Germain-en-Laye, mais aussi les villes impériales, les parcs naturels… », énumère le directeur général du CRT Paris-Île-de-France. La diversité de ses paysages, voilà la richesse de la première région de France.

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L'église d'Auvers-sur-Oise, qui a inspiré l'un des chefs-d'oeuvre de Van Gogh / © R_a_p_h_a_e_l (Creative commons - Flickr)
L’église d’Auvers-sur-Oise, qui a inspiré l’un des chefs-d’oeuvre de Van Gogh / © R_a_p_h_a_e_l (Creative commons – Flickr)

Les transports en commun, la clé du staycation en Île-de-France

Autre atout majeur selon Guy Raffour, « la profusion de moyens de transports et le développement du Grand Paris sont favorables au tourisme de proximité en Île-de-France ». Le Grand Paris Express prévoit en effet la construction de quatre nouvelles lignes de métro pour favoriser les déplacement en banlieue. L’accessibilité en transports en commun est d’ailleurs l’un des critères primordiaux pour Staycation. Cette start-up propose des packages à prix réduits pour passer 24 heures à l’hôtel en région parisienne. « Nous sommes très attentifs au fait de choisir des adresses accessibles en transports en commun pour proposer 24 heures d’évasion près de Paris en recourant le moins possible à la voiture », explique Mathieu Dugast, l’un des trois co-fondateurs.

Les transports en commun contribuent à « réduire les distances et à rapprocher les territoires » insiste Guy Raffour. Huttopia, spécialiste tricolore du camping durable depuis 1999, a ainsi posé ses valises à Rambouillet et à Versailles (Yvelines) avec pour mot d’ordre de permettre aux Grand-Parisiens de « s’évader pas trop loin de chez soi, aller respirer en pleine nature, se détendre et profiter de plaisirs simples en famille en famille ou entre amis. » Le développement des mobilités douces concourt aussi à celui du tourisme de proximité en Ile-de-France. La région Île-de-France s’est ainsi dotée d’un Plan Vélo et soutient la création d’itinéraires cyclables comme la véloroute Paris – Le Havre.

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La pièce d'eau des Suisses à Versailles / © Jérômine Derigny pour Enlarge your Paris
La pièce d’eau des Suisses à Versailles / © Jérômine Derigny pour Enlarge your Paris

La montée en puissance du consommer local


La région francilienne possède donc de solides atouts pour convaincre ses propres habitants de devenir touristes le temps d’une journée, d’un week-end ou d’une semaine de congés. Une tendance observée depuis plusieurs années par Vincent Gollain, directeur du département économie de l’Institut Paris Région. « Il y a une dynamique de long terme, c’est certain, d’autant plus avec l’enjeu écologique qui remodèle aujourd’hui la mobilité. » Les crises comme celles liées au changement climatique, au coronavirus ou encore au surtourisme pousse lentement les Franciliens à reconsidérer leur environnement quotidien comme un espace propice à leurs loisirs et à la découverte de nouveautés. Il s’agit donc de les guider pour qu’ils s’approprient mieux l’ensemble du territoire. « Le tourisme de demain sera celui de l’anticipation et de la régulation des flux de visiteurs », analyse Christophe Decloux, directeur général du CRT. « Jusqu’à présent, on s’est concentrés sur l’expérience. Maintenant, on regarde comment faire circuler les Franciliens entre les différents départements de la région, abonde Mathieu Dugast, co-fondateur de Staycation. On doit avoir un impact là où les gens vont. »

Une envie de découverte qui va de pair avec celle du consommer local, qui se développe depuis plusieurs années. « Le tourisme de proximité, c’est finalement le circuit court du tourisme », résume Vincent Gollain. Avec l’intérêt pour le terroir local, la bière au miel du Vexin (sacrée meilleure bière au miel du monde en 2014), le brie de Meaux (protégé par le label AOC) ou encore le Noyau de Poissy feront peut-être partie un jour des souvenirs que l’on rapporte. « Nos hôtels partenaires sont un maillon incontournable du quartier, de la ville, où ils sont installés. Nous travaillons à créer des offres pour découvrir la vie autour », explique Mathieu Dugast. Un besoin exprimé par les utilisateurs de la plateforme Staycation. « Ils veulent de plus en plus pouvoir prendre les transports en commun pour sortir de Paris, faire des activités en plein air et découvrir des lieux à moins de deux heures de chez eux. » Une tendance déjà mise au jour en 2013 dans l’enquête du CRT. L’office de tourisme de la cité médiévale de Provins y indiquait alors s’inscrire « dans les loisirs des Franciliens qui vivent en milieu urbain, en tant que destination dépaysante, pas loin de Paris ». Avec succès. 60% des visiteurs de Provins sont Franciliens.

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Escalade en forêt de Fontainebleau / © Steve Stillman
Séance d’escalade en forêt de Fontainebleau / © Steve Stillman pour Enlarge your Paris

Des Franciliens courtisés cet été par les professionnels du tourisme

L’été 2020 aura donc des allures de laboratoire pour l’Île-de-France, avec l’espoir de convertir davantage d’habitants en touristes de leur propre région. Objectif visé notamment par les campings Huttopia. « Notre clientèle vient principalement se ressourcer le temps d’un week-end, d’un break à proximité de son domicile pour se reconnecter avec ses proches », note une porte-parole de l’entreprise. Car ce sera là la carte à jouer cet été. Les Franciliens vont probablement revoir leurs plans de vacances pour partir plus près de chez eux, que ce soit par prudence quant au virus ou à cause d’une fermeture prolongée des frontières. « Tout le monde dans le tourisme se dit que la proximité va sauver le tourisme français, constate Vincent Gollain. Il va y avoir un repli sur soi, par défaut ou par protection. Il y a là un enjeu pour les professionnels du tourisme. Il faut arriver à capter certains de ces Franciliens en leur promettant du dépaysement près de chez eux. »

Ces Franciliens, Staycation les a déjà comme clients, et comptent bien les retrouver dès la fin du confinement. « Nos clients sont à 50% des Parisiens intra-muros et à 50% des habitants de la région. D’un côté comme de l’autre, 25% d’entre eux font le choix d’hôtels partenaires situés hors de Paris. Nous sommes convaincus qu’après avoir été mis sous cloche pendant plusieurs semaines, les Franciliens voudront découvrir des choses à portée de RER », prédit Mathieu Dugast. Nous aurons un vrai rôle à jouer auprès des hôteliers au moment du déconfinement. On va pouvoir leur apporter des clients, les Franciliens, très rapidement. » Dans le plan de relance sur lequel travaille déjà le CRT Paris-Île-de-France, les Franciliens seront également en bonne place. « Ce seront nos premières cibles dès le déconfinement, avec une communication prioritairement tournée vers les familles », confirme Christophe Decloux.

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Musée d'archéologie nationale / © MAN
Le musée d’Archéologie nationale à Saint-Germain-en-Laye / © MAN

Des destinations de proximité à raconter

La période du confinement semble dessiner une formidable opportunité pour le tourisme de proximité en Île-de-France. Mais, si la tendance se confirme année après année, des efforts conséquents restent à fournir pour convertir durablement les Franciliens en « locatouristes ». Les professionnels du tourisme devront notamment travailler leurs produits comme des destinations, explique Vincent Gollain. « Pour inciter au déplacement, il faut créer une destination, c’est-à-dire donner envie de voir ou faire plusieurs choses dans un même lieu. Il faut aussi créer une expérience autour de cette destination, guider les visiteurs dès la gare ou la station de métro qu’ils empruntent. Aujourd’hui, les Franciliens ne veulent pas nécessairement reprendre le même RER qu’ils ont pris toute la semaine. »

L’Île-de-France va devoir en outre combler son déficit en termes d’image touristique, en dehors de Paris et des destinations phares comme Disneyland Paris et Versailles. « La région parisienne est encore perçue comme la région-capitale et peu sous l’angle du dépaysement. Il faut faire de l’Île-de-France une destination de vacances, il faut réenchanter les campagnes, les bourgs et les villages franciliens. Cela passe notamment par une déconstruction de l’image des vacances qui est celle des vacances dans des destinations lointaines, à la mer ou à la montagne », analyse Vincent Gollain, de l’Institut Paris Région. Membre du réseau européen Tourist Research Center et co-auteur du livre Tourisme : Stop ou encore ?, Philippe Callot ne dit pas autre chose. « Au XXe siècle, nous avons voyagé trop loin et trop vite, mais de façon superficielle ; nous avons écumé la surface de la terre en quête de ce qui était à des milliers de kilomètres de chez nous, parce que c’était justement éloigné ou exotique. Dans cent ans, nous devrons apprendre à voyager plus en profondeur et de façon plus ciblée, plus lentement et moins loin de chez nous. » Une prophétie qui pourrait se réaliser sans attendre le XXIIe siècle.

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