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Quand Paris a la fièvre… Petite histoire des épidémies dans la capitale

Station de métro à Paris en hommage à Louis Pasteur, à l'origine d'une vraie révolution dans le système de santé / © Greenski (Wikimedia commons)
Station de métro à Paris en hommage à Louis Pasteur, à l’origine d’une vraie révolution dans le système de santé / © Greenski (Wikimedia commons)

Au cours des siècles, des épidémies de peste, de variole, de choléra ou encore de tuberculose ont durement affecté les Parisiens et les Franciliens. L'historien Laurent-Henri Vignaud revient sur cette histoire des maladies, de la médecine et de l'hygiène, du XIVe siècle à aujourd'hui.

Quelles sont les principales épidémies qui ont marqué l’histoire de Paris et de sa banlieue ?

Laurent-Henri Vignaud : La plus marquante, c’est bien sûr la peste, et notamment la « peste noire » du XIVe siècle, une épidémie qui a durement frappé toute l’Europe et l’Asie. Paris a été marquée par ce phénomène qui a tué entre 1/3 et 2/3 des habitants d’Europe, singulièrement dans les grandes villes, c’est-à-dire dans les lieux de grande concentration humaine. Plus on est en nombreux, plus on est exposés. Il y aura régulièrement des résurgences de cette maladie jusqu’au début du XXe siècle, jusqu’à ce que l’on identifie le bacille de la peste, transmis par des puces de rats, et que l’on comprenne comment les éradiquer. Durant tout le XVIIIe siècle, c’est la variole qui fait des ravages dans les grandes capitales européennes. Mais la grande affaire à Paris, à partir de 1832, ce sont les épidémies de choléra, une maladie transmise en buvant de l’eau souillée par les excréments. Au début du XIXe siècle, les autorités parisiennes, désorientées par ses ravages, faisaient tirer au canon à blanc en direction des quartiers les plus frappés, pour disperser l’air, dont on pensait qu’il portait le mal.

Paris a toujours manqué  d’eau saine. Au Moyen-âge, on buvait l’eau puisée par les bougnats dans la Seine, en amont de l’île Saint Louis. Napoléon Ier, pour se faire aimer des Parisiens, fit apporter de l’eau potable en creusant les canaux du Nord-Est parisien…

La lutte contre l’eau souillée fut à Paris un combat de longue haleine. Plus globalement, avant Pasteur, on pensait que le mal passait par l’air, et que l’odeur – le miasme – était porteur de la maladie. C’est pour cela que dans les dernières années du règne de Louis XVI a lieu le fameux déménagement du gigantesque cimetière des Saints-Innocents aux Halles. Pour des raisons, pensait-on, de santé, on a transporté la charogne en périphérie de la ville. Et c’est ainsi que les cimetières parisiens sont aménagés en banlieue. Un peu plus tard, au XIXe siècle, et pour les mêmes raisons, on décide de purger Paris des excréments de ses habitants. Un phénomène notamment porté dans les années 1860 par la vision haussmannienne de la ville. On crée le tout-à-l’égout et les boues  des parisiens sont épandues dans les champs de la lointaine banlieue pour les fertiliser. Boues de Paris que l’on a continué de répandre sur la plaine agricole de Pierrelaye (Val-d’Oise) jusqu’aux dernières années du XXe siècle ! On ne peut pas dire que la ville moderne pue plus – ni moins – que la ville médiévale, mais la tolérance à la mauvaise odeur,notamment celle des cadavres animaux ou humains, a diminué car celle-ci devient, à partir du siècle des Lumières, synonyme de maladie contagieuse.

Le cimetière des Saints Innocents à Paris déménagé en périphérie au XVIIIe siècle / © Gravure de Theodor Josef Hubert Hoffbauer
Le cimetière des Saints Innocents à Paris déménagé en périphérie au XVIIIe siècle / © Gravure de Theodor Josef Hubert Hoffbauer

A la fin du XIXe siècle on ouvre les premiers hôpitaux modernes grâce à la révolution pasteurienne qui naît à Paris…

Avant la révolution pasteurienne, les hôpitaux d’Ancien Régime puis ceux de l’assistance publique sont souvent perçus comme des mouroirs. Au XVIIe siècle, Saint-Vincent- de-Paul, qui ouvre un hôpital dans le Clos Saint-Lazare – là où se trouvent aujourd’hui les gares de l’Est et du Nord – voulait autant apporter des soins aux corps que préparer les malades à retrouver leur Créateur. Accoucher à l’hospice était tellement dangereux que seules y allaient les prostituées et les filles-mères.Les autres préféraient accoucher à la maison. A l’hôpital, on avait bien plus de chance de mourir d’un choc septique provoqué par la mauvaise hygiène générale que de l’accouchement lui-même ! Avec Pasteur et son fameux Institut du XVe arrondissement tout change. On a découvert les microbes, inventé l’hygiène moderne (la pasteurisation), généralisé l’usage des antiseptiques, appris à stériliser les instruments chirurgicaux, etc. On comprend mieux ce qui se passe quand on tombe malade, et l’hôpital n’est plus un lieu d’accueil où l’on faisait ce que l’on pouvait en attendant la mort, et devient un lieu de guérison.

Le XIXe siècle est aussi celui de la naissance de l’idéologie hygiéniste, c’est-à-dire l’idée que l’hygiène, le sport, l’alimentation, des logements aérés, sont les meilleurs remparts contre la maladie…

La pensée hygiéniste naît en effet au XIXe siècle, lorsque l’afflux d’ouvriers dans les faubourgs et les banlieues des grandes villes, et singulièrement à Paris, provoque des situations sanitaires catastrophiques. Les ouvriers de banlieue ont une vie bien plus dure, une situation sanitaire bien plus dégradée que celles des artisans des faubourgs. Alors, à la fin du XIXe siècle, on crée les bains-douches et des dispensaires dans les arrondissements périphériques ou en banlieue. Des fondations privées ouvrent des hôpitaux pour les indigents . On fait aussi la promotion de la « bonne vie », sans alcool et au plein air, comme dans les jardins ouvriers. On crée parcs et jardins publics pour prendre l’air – sous entendu le bon air non vicié. Et bientôt se démocratise le très aristocratique sport, avec la généralisation de la gymnastique et la construction de stades un peu partout en périphérie de Paris. Cette idée, d’abord portée à la fin du XIXe par des prêtres et des patrons philanthropes, sera reprise par les syndicats et les mouvements ouvriers. La banlieue rouge en fera vivre le principe jusqu’au milieu du XXe siècle, avec notamment les grands équipements sportifs communaux. C’est une pensée sociale, avant d’être une pensée médicale.

Avec la médecine moderne, et la compréhension du rôle des microbes, la maladie contagieuse devient plus  sociale…

La peste a frappé une dernière fois la région parisienne dans les années 1920, à Aubervilliers, où elle a fait une trentaine de victimes dans cette ville de banlieue industrielle très pauvre, avec un habitat ouvrier insalubre et des zonards. On regarde alors ces populations de banlieusards atteints par ce mal moyenâgeux avec un peu de condescendance, comme on le fait à la même époque envers les peuples colonisés victimes eux aussi de maux épidémiques terribles. A la fin de la Première Guerre mondiale, la grippe espagnole, qui est une vraie pandémie – elle a fait au moins 50 millions de morts dans le monde -, frappe partout, dans toutes les classes sociales. En revanche, à Paris, la mortalité est plus forte dans les quartiers chics de l’ouest que dans le Paris populaire : l’explication c’est le très grand nombre de chambres de bonnes, les domestiques de la bourgeoisie parisienne y ont des conditions de vie très sommaires et vivent en grande promiscuité. Mais bien sûr, ce n’est pas ainsi que les choses sont vécues, à l’époque. Du moins, parmi les élites. Héritage de la pensée hygiéniste, on pense que ceux qui tombent malades sont un peu responsables de ce qui leur arrive, qu’ils doivent mener une mauvaise vie. Le jugement de classe est très fort. On apprend à ne pas cracher par terre pour éviter de diffuser le germe de la tuberculose et on regarde de travers ceux qui le font. 

Le coronavirus est en revanche une maladie globale, symbole de l’âge des métropoles mondialisées…

Le coronavirus, c’est le retour de l’épidémie médiévale, c’est-à-dire de l’idée que la concentration humaine, le contact humain, sont porteurs de risque. C’est très difficile à accepter pour des urbains, pour les habitants d’une métropole qui est caractérisée par la trépidation, par les flux, par une vie culturelle et nocturne intenses ! Les habitants des villes ont du mal à renoncer à ce qui fait leur qualité de vie, à ce qui fait aussi l’avantage de la vie urbaine. Le coronavirus, c’est pour eux un choc culturel, c’est la négation de ce qu’ils sont. Les terrasses parisiennes, qui étaient encore bondées jusqu’à samedi, sont le signe de cette habitude et d’une certaine insouciance.

Infos pratiques : Toutes les informations sur l’épidémie de coronavirus sont à retrouver sur gouvernement.fr

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