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Pour une meilleure régulation des déplacements en ville, les algorithmes ont un rôle à jouer

Nils Hamerlinck (Creative commons - Flickr)
Le métro à Paris / © Nils Hamerlinck (Creative commons – Flickr)

Ancien directeur de la mission de préfiguration du Grand paris Express aux côtés de Christian Blanc et auteur du livre "Les secrets du Grand Paris", Pascal Auzannet plaide pour la création d'une plateforme numérique baptisée ALMOURS qui permettrait de mettre en concurrence les différents modes de déplacements et d'orienter les choix en fonction de critères tarifaires et environnementaux.

Pascal Auzannet, consultant et auteur de Les secrets du Grand Paris

Une nouvelle ambition est en train d’émerger à Paris, en Île-de-France et dans les grandes agglomérations françaises : la gestion de l’espace urbain. L’espace urbain est un bien rare et coûteux dans les centres-villes denses. Pour s’en convaincre, il suffit de rappeler les niveaux des péages urbains affichés lorsqu’un investisseur privé est en charge de l’exploitation d’un tronçon de voirie. L’idée n’est pas ici d’inviter à une généralisation des péages urbains. Ni de faire payer l’usage des trottoirs. Mais de mettre en exergue le coût économique de l’espace urbain et d’en optimiser l’usage selon les modes.

En milieu urbain, la capacité maximale de trafic d’une avenue ou d’une rue varie selon les caractéristiques de son environnement : stationnement, vie riveraine importante ou non, largeur de la voie (de l’ordre de 3 mètres dans les villes). Ainsi, pour une voie à fonction circulatoire prépondérante, la capacité maximum se situe entre 1.000 et 1.500 véhicules par heure. Et en situation de vie riveraine importante, les niveaux sont bien plus faibles, entre 400 et 600. En tenant compte des taux d’occupation – de l’ordre de 1,3 personne par véhicule en moyenne, et plutôt 1,1 en milieu urbain – on en déduit la capacité de la voirie exprimée en passagers.

On peut ainsi se poser la question de la largeur de la voirie nécessaire pour absorber un trafic équivalent au métro. Par exemple, la ligne 14 à Paris, qui constitue la colonne vertébrale du Grand Paris, a une capacité maximum de 40.000 voyageurs par heure et par sens. Dans ces conditions, pour transporter ce niveau de trafic, il faudrait une voirie ayant une largeur de 100 à 150 m ! Avec le bruit et la pollution en plus.  Le tramway a une capacité 8 fois supérieure à celle d’une voie de circulation routière. Dans de moindres proportions, l’avantage du bus est également démontré avec un rapport de 1 à 2.

« Des choix politiques d’importance sont attendus et très souhaitables en vue d’une régulation publique des flux de déplacements »

Et pour les mobilités émergentes ? La comparaison entre la voiture et le vélo est également à l’avantage de ce dernier, le débit maximum par mètre de largeur de voirie étant 4 à 5 fois supérieur à la voiture (idem pour la trottinette). Et ceci pour des vitesses de déplacement similaires en milieu urbain. Voire plus élevées. Cet éclairage vaut également pour la marche à pied (débit 8 fois supérieur), par ailleurs excellente pour la santé, tout comme l’usage du vélo.

Si l’on rajoute le poids du stationnement, ce dernier étant prédominant, l’avantage des transports collectifs et des modes doux comparés à l’automobile s’en trouve fortement renforcé. L’enjeu porte évidemment sur la zone dense, c’est-à-dire Paris et les 68 gares du Grand Paris Express. Dans ces conditions, des choix politiques d’importance sont attendus et très souhaitables en vue d’une régulation publique des flux de déplacements. C’est un élément de l’acte II du Grand Paris.

Comment et avec quels objectifs ? La révolution du numérique offre un potentiel considérable avec les nouvelles plateformes de type MaaS (Mobility as a service). C’est aussi – et surtout – l’opportunité avec un outil performant et adapté de préconiser un déplacement multimodal : voiture + métro, puis vélo… La régulation par la tarification est alors basée sur des algorithmes qui prennent en considération les coûts privés, les coûts publics et les temps passés dans les déplacements. Dans ces conditions, la tarification peut être incitative, adaptative et différenciée. Concrètement, avec un forfait mensuel ou annuel permettant d’utiliser la panoplie sélectionnée par l’autorité organisatrice, l’utilisateur pourra bénéficier de réductions lorsqu’il privilégie ses déplacements en dehors des heures de pointe, les modes de transport économes en consommation d’espace urbain et à faibles impacts environnementaux. Avec aussi la possibilité de maximiser la marche à pied, l’objectif identifié étant bien de travailler à une ville plus conviviale et apaisée.

« Outre la météo et le risque d’accident en l’absence de voie dédiée, on sait que le prix est un frein à l’usage des modes émergents »

Dans le même esprit, le vélo pourra être privilégié aux heures de pointe si une piste cyclable longe une ligne de métro ou de tramway saturée (la crise sanitaire du Covid-19 a fortement mis en exergue cette option). L’idée est clairement de donner à la collectivité publique en charge des transports la possibilité d’orienter la demande vers les modes les plus pertinents du point de vue de l’optimum collectif. Donc avec des algorithmes d’intérêt général.

La prise en considération de ce critère pour les déplacements de courtes distances – majoritaires en milieu urbain dense puisqu’en Île-de-France les trajets de moins de 3 km constituent 65 % de l’ensemble des déplacements (moyenne : 4,4 km) – tendra naturellement à favoriser l’usage du vélo et la micro-mobilité.

Outre la météo et le risque d’accident en l’absence de voie dédiée, on sait que le prix est un frein à l’usage des modes émergents. D’où l’idée d’une mutualisation des financements pour tous les modes de transport. Pourquoi l’usager des transports collectifs supporte 27 % du prix de revient de son déplacement et celui d’un mode en free floating 100 % ? D’autant plus que l’automobiliste ne paie pas l’usage de la voirie dont la valeur économique est particulièrement élevée dans le centre urbain, de l’ordre de 60 % du coût total d’un déplacement. Seul le secteur public peut s’inscrire dans une telle démarche. Pas tout à fait le modèle économique des GAFA.

Dans ces conditions, il est souhaitable que les acteurs qui détiennent entre leurs mains les leviers de la régulation de l’espace urbain – voirie, stationnement, vélos, trottinettes – s’impliquent dans cette démarche qui pourrait prendre la forme d’une plateforme numérique, que j’ai dénommée ALMOURS, pour ALgorithmes MObilités URbaineS. Elle permettrait à ses utilisateurs de voyager avec tous les modes de transports, sans oublier le covoiturage qui favorise aussi la réduction du coût de l’espace consommé par l’automobiliste.

Il appartient aux autorités organisatrices de la mobilité de se mobiliser sur cet enjeu. Il y a d’ailleurs peut-être une opportunité pour la Métropole du Grand Paris de jouer un rôle dans l’organisation des mobilités de surface. Parce que les communes qui la composent ont déjà la compétence de la gestion de l’espace urbain. Tout ceci devra se faire en bonne intelligence avec l’autorité organisatrice régionale Île-de-France Mobilités, avec pour ambition l’essor d’un Grand Paris de toutes les mobilités.

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