Société
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Les vertus du voisinage 2.0 vues depuis la rue Pascal à Cachan

La rue Pascal à Cachan /  © Virginie Jannière pour Enlarge your Paris
La rue Pascal à Cachan / © Virginie Jannière pour Enlarge your Paris

Si l'on attribue bien des maux aux réseaux sociaux, comme de cultiver le narcissisme, ils sont aussi à l'inverse vecteurs de solidarité. Ce qu'expérimente la journaliste d'Enlarge your Paris Virginie Jannière depuis qu'elle a rejoint le groupe WhatsApp de sa rue cette année. Elle raconte.

Il y a cinq ans, je déménageais rue Pascal à Cachan (Val-de-Marne). Il m’aura fallu cinq longues années pour découvrir ce qui allait changer mon regard sur ce lieu. Cinq ans de discussions avec mes voisins les plus proches, sur la vie de ma ville et sur la vie tout court, cinq ans de rapides « bonjour/bonsoir » avec les riverains les plus lointains, cinq ans de passages à vélo, en voiture, à pied depuis le bas de la rue jusqu’au pont du RER, cinq ans de sensation diffuse de vivre étrangement bien dans ce quartier, cinq avant de vivre le premier jour de ma vie (numérique) de quartier.

Au printemps dernier, je passais devant quelques tables et tréteaux à quelques enjambées de chez moi. Au milieu des familles occupées à partager du taboulé, un quadragénaire en verve me demande si j’habite la rue et me propose de les rejoindre. Me voyant m’empêtrer dans de piteuses excuses, il me propose alors d’intégrer le groupe WhatsApp « Voisins rue Pascal » pour être mise au courant de la prochaine fiesta. J’acceptais, je dois l’avouer, juste parce que je n’osais pas refuser.

Qu’avais-je commis, me demandais-je en rentrant chez moi. J’ai toujours fui les fêtes de voisins, estimant ces regroupements un peu superficiels et souvent ennuyeux. Aurais-je intégré encore un de ces groupes WhatsApp qui alourdit un peu plus la charge mentale ? Allaient-ils me demander sans cesse de participer aux réunions de quartier, aux réflexions sur les sens de circulation ou se plaindre en chœur de la construction d’un immeuble à proximité ? C’était tout ignorer de la nature profonde de ce groupe. Ici, pas de « tu n’as pas répondu à mon message », ni de « on a besoin de bras sympas pour nous aider à déménager », avec ensuite ma mauvaise conscience habituelle de ne pas répondre.

Des petits riens qui font tout

Dans le groupe de la rue Pascal, il ne se passe rien ou presque. Et c’est bien là le plus agréable. On souhaite la bienvenue aux nouveaux arrivants, on demande, inquiet, si on est les seuls à ne plus être connecté à Internet ce matin, si le facteur est déjà passé, si quelqu’un veut bien prêter son Kärcher ou si une yaourtière est disponible « pour tester avant d’acheter ». Brillent aussi régulièrement quelques bonnes actions désintéressées lors de situations hautement dramatiques. Je me souviens de la mobilisation de Sonia, Patrick et Adam face à la panique de la lycéenne à court de cartouche d’encre dans son imprimante, la veille de son oral de français.

Des étudiants proposent régulièrement leurs services pour du baby-sitting – avec l’appui de leurs fiers parents – et les personnes âgées se sentent rassurées lorsqu’elles apprennent, grâce au groupe, que la mystérieuse odeur de brûlé vient bien de l’extérieur et non de leur chaudière. Parfois, des jardiniers du dimanche offrent quelques plants de tomates, et une bonne âme n’hésite pas à partager une adresse de friperie solidaire. Rue Pascal, il ne se passe donc rien, ou presque, et c’est bien là l’important, mais pas uniquement.

Quality street

L’originalité de ce groupe de quartier ? Il se tient joyeusement à distance des groupes type « Tu sais que tu viens de… » qui fleurissent sur les réseaux sociaux, entre défouloirs contre les services publics et fourre-tout pour petites annonces plus ou moins fumeuses. Le groupe « Voisins rue Pascal » m’a permis de comprendre l’origine de cette joie diffuse lorsque je sors chaque jour dans mon quartier. Je sais désormais – et cela peut paraître bien naïf – que ce quartier m’est agréable car il regorge de personnes heureuses de s’y côtoyer, de se soutenir sans se sentir pour autant épiées.

Enfin, rendons à César ce qui appartient à Pascal : pour une fois, le numérique semble se mettre au service des rapports humains et non des vitrines personnelles propres aux réseaux sociaux. Lorsque Cécile – que je n’ai jamais rencontrée – rentre de voyage après de longs mois loin de tout, elle n’y partagera pas ses photos ou ses souvenirs mais lira nos messages de bienvenue depuis l’aéroport de Roissy, pendant que Gabrielle imprime ses fiches chez Sonia et qu’Olivier répare (encore) son toit grâce aux outils de Kamel. En cette période où il faut savoir à tout prix trouver le bonheur en soi-même, la rue Pascal semble bien prouver le contraire. « Le cœur a ses réseaux que la raison n’ignore plus », aurait écrit un Blaise Pascal 2.0.

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