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Le Potager du Roi à Versailles, un éco-campus pour penser le XXIe siècle

Le Potager du Roi à Versailles / © Jérômine Dérigny pour Enlarge your Paris
Le Potager du Roi à Versailles / © Jérômine Dérigny pour Enlarge your Paris

Conçu pour fournir la table de Louis XIV en fruits et légumes, le Potager du Roi à Versailles est depuis ses débuts un lieu d'expérimentation et de diffusion des connaissances. Vincent Piveteau, directeur de l'Ecole nationale supérieure de paysage de Versailles, évoque l'histoire et l'avenir du site qui fait actuellement l'objet d'un appel aux dons en vue de travaux de restauration. Samedi 3 et dimanche 4 octobre, le Potager fêtera le 10e anniversaire de l’inscription du repas gastronomique français au patrimoine immatériel de l’humanité.

Quelle est l’histoire du Potager du Roi ?

Vincent Piveteau : Le Potager du Roi fut créé par Jean-Baptiste de La Quintinie au moment de la construction du château de Versailles, à la demande de Louis XIV, pour nourrir non pas la cour mais la famille royale. La Quintinie était un avocat qui s’était soudainement passionné pour l’horticulture après un voyage en Italie, où il visita de nombreux jardins et fut enthousiasmé par la science de certains jardiniers. C’est pour cette raison que dès l’origine, le Potager du Roi fut aussi bien un jardin de production de fruits et légumes qu’un lieu d’expérimentation et de diffusion des connaissances. Il s’agissait alors au moins autant de nourrir le Roi que de le glorifier par les prouesses de ses jardiniers.

Le prestige du Roi Soleil passait-il par ce que l’on servait à sa table ?

Tout à fait ! La maîtrise d’un certain nombre de techniques permettait de produire à Versailles des ananas, dont raffolait Louis XV, ou des fraises hors saison pour le bon plaisir de Louis XIV. Et ces techniques hors normes ne faisaient pas que la gloire des princes. Elles intéressaient beaucoup les savants de l’époque. C’est pour cette raison qu’à la Révolution française, le Potager ne sera pas vendu à la découpe, comme tant d’autres domaines princiers ou d’église, mais conservé dans l’escarcelle de la République naissante pour en faire un lieu de formation. En 1848, on installe l’Institut national agronomique à Versailles et le Potager du Roi en devient le site d’expérimentation, dans un contexte où la République naissante s’intéressait beaucoup à la modernisation du monde paysan. Les députés ont même espéré que la vente des fruits et des légumes du Potager permettrait de financer une partie du budget du site. Ils furent vite déçus mais le Potager était désormais lieu de formation, d’expérimentation et de production. Et il l’est resté depuis.  

Le Potager a-t-il connu les mêmes évolutions que le monde agricole ?

Dans un premier temps on produit pour le Roi et sa famille, puis le Potager du roi va traverser la première révolution productiviste agricole, à la fin du XIXe siècle, avant de connaitre l’arrivée des produits phytosanitaires. Le Potager est devenu dès la fin du XIXe siècle, et pendant quasiment tout le XXe siècle, le site expérimental d’une agriculture chimique. Aujourd’hui, nous vivons un autre tournant, celui de l’adaptation de l’agriculture à la transition écologique, qui se dessine progressivement depuis la fin des années 1990 et le début des années 2000 avec l’émergence de l’agroécologie.

Au Potager du Roi à Versailles avec en fond la cathédrale Saint-Louis / © Jérômine Derigny
La Transhumance du Grand Paris en 2019 au Potager du Roi / © Jérômine Derigny pour Enlarge your Paris

En quoi consiste l’agroécologie ?

Il s’agit de renoncer aux produits chimiques et de s’appuyer sur les dynamiques naturelles de l’écosystème pour réguler la compétition entre les espèces que l’on désire voir pousser, et celles que l’on considère en général comme des nuisibles. Il faut apprendre à jouer sur les complémentarités et les associations entre les plantes ainsi que sur les successions de cultures pour ne pas épuiser les sols. Jardiner en agroécologie interdit de dire, comme au temps de l’agriculture chimique : « je veux cette variété et je tue toutes les autres ». Le fait qu’on soit un établissement d’enseignement public rendait cette évolution possible et nous incitait à le faire, pour la santé du public qui se rend au jardin – ouvert aux visites depuis les années 1990 – et pour celle des étudiants qui y travaillent.

Le Potager du Roi est le site de l’Ecole nationale supérieure de Paysage de Versailles, sous tutelle du ministère de l’Agriculture. Quel est le lien entre l’école et le Potager, comment est-ce que l’un et l’autre se nourrissent ?

Chaque année, nos étudiants et stagiaires passent quatorze mille heures dans le potager, où ils ont tous une parcelle ! Pour ces futurs paysagistes, le jardinage permet d’aborder la question de la fertilité du sol, de la gestion durable des ressources naturelles, mais aussi la compréhension et le fonctionnement des écosystèmes. Les étudiants sont aussi associés à la programmation artistique que nous développons depuis qu’il a été décidé d’ouvrir le jardin au public. Avec notre politique culturelle, qui inclue du théâtre et de la danse, des performances et des résidences d’artistes, nous essayons de faire comprendre aux visiteurs qu’il s’agit non seulement d’un jardin patrimonial mais aussi d’un lieu d’enseignement, de production et d’expérimentation. Et puis nous avons aussi été un des lieux d’accueil de la première Biennale d’architecture et de Paysage d’Île-de-France en 2019.

En quoi va consister le vaste programme de rénovation que vous venez de lancer ?

Le Potager est confronté depuis un certain nombre de décennies a un problème de dégradation de son patrimoine, à commencer par les quatre kilomètres de murs du jardin, qui subissent l’usure du temps. Or, ces murs servent à restituer aux arbres fruitiers la chaleur du soleil et à les protéger du vent ; ils sont essentiels. Nous commençons cette année des travaux de rénovation, après un très gros travail d’études préalables portant sur l’état des murs et des voutes, les réseaux d’assainissement du jardin et les techniques de production d’enduits à l’ancienne. L’Etat, via le ministère de l’Agriculture et la Compagnie des architectes en chef des Monuments historiques, est engagé avec nous dans ce programme de restauration qui débute cette année et durera encore de nombreuses années.  

 Quel rôle peut jouer le Potager du Roi aujourd’hui ?

Le jardin, en lien avec l’Ecole nationale supérieure de paysage de Versailles, est un lieu de recherche sur le paysage, sur l’agriculture urbaine et sur la transition écologique. On le sait, les enjeux environnementaux sont énormes et nous souhaitons apporter notre part à ce défi en faisant de ce lieu un éco-campus pour le XXIe siècle. Les travaux, outre la préservation de ce site patrimonial unique, permettront de mieux accueillir le public et de partager avec lui nos travaux et notre vision à travers une programmation combinant art et culture. Le Potager du Roi est un élément de patrimoine et le patrimoine, c’est ce qui sert à inventer l’avenir.

Infos pratiques : Pour faire un don en vue de la restauration du Potager du Roi, rendez-vous sur monpotagerduroi.fr. « A table », à l’occasion du 10e anniversaire de l’inscription du repas gastronomique français au patrimoine immatériel de l’humanité, samedi 3 et dimanche 4 octobre au Potager du Roi, 10 rue du Maréchal-Joffre, Versailles (78). Tarif : 5€ (plein tarif), gratuit pour les moins de 26 ans. Accès : Gare de Versailles Château – Rive gauche. Plus d’infos sur potager-du-roi.fr

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