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« L’agriculture urbaine rend de nombreux services à la ville »

Le toit cultivé d'AgroParisTech dans le 5e arrondissement / © davidhaddad.com
Le toit cultivé d’AgroParisTech dans le 5e arrondissement / © davidhaddad.com

Si elle n'a pas vocation à assurer l'autosubsistance des villes, l'agriculture urbaine remplit d'autres fonctions à la fois environnementales, sociales et pédagogiques comme nous l'explique Baptiste Grard, écologue actuellement en post-doctorat à AgroParisTech et l’INRA et qui bichonne le potager expérimental installé sur le toit d'AgroParisTech à Paris (5e).

Pourquoi l’agriculture a-t-elle aussi sa place en ville ? 

Baptiste Grard : Au-delà de sa fonction productive, l’agriculture urbaine rend bien d’autres services à la ville. Si elle n’a pas vocation à assurer à elle-seule la subsistance alimentaire des citadins, ses fonctions environnementales, sociales et pédagogiques la rende essentielle à la construction de la ville de demain. C’est l’exemple de l’association Veni Verdi, qui travaille sur les toits (et en plein sol) avec des écoles parisiennes, ou de Culticime, qui cultive le toit d’un centre commercial à Aubervilliers tout en étant vecteur d’insertion professionnelle. Depuis un an, je co-coordonne un projet de recherche intitulé SEMOIRS qui analyse les services écosystémiques (bénéfices que l’homme peut retirer du bon fonctionnement de l’écosystème, Ndlr) rendus par 7 micro-fermes urbaines à Paris et en petite couronne. 

Qu’a montré le toit cultivé d’AgroParisTech ?

Le toit d’AgroParisTech fut l’un des premiers toits cultivés de Paris, lancé avec l’aide de Topager en 2012. Perché à 25 mètres de hauteur, c’est devenu un terrain de jeu d’un peu plus de 800 m2 pour toutes sortes d’expérimentation, comme le montre bien la BD en ligne et le TEDx que nous avons publiée avec l’illustrateur Mathieu Ughetti. Les projets d’agriculture sur les toits rendent plusieurs sortes de services écosystémiques à la ville : les toitures végétalisées peuvent retenir jusqu’à 84% des eaux de pluie, valoriser les résidus urbains, rafraîchir l’air de la ville pendant les périodes de fortes chaleurs, favoriser la consommation locale et servir de réservoirs de biodiversité. La conception et les matériaux de ces projets doivent être pensés en amont. En ce qui nous concerne, le substrat que nous utilisons pour nos bacs de culture se compose uniquement de résidus urbains comme le marc de café, la brique et la tuile concassées ou encore les composts issus des déchets de cuisine et des espaces verts. Nous allons même bientôt recourir à l’urine pour fertiliser !

L’agriculture a-t-elle vraiment un avenir sur les toits ?

En ville, l’espace est rare et cher. Et pourtant on exploite encore très peu nos toitures, qui peuvent représenter jusqu’à 30% de la surface horizontale. Je reste persuadé que plus les gens auront l’opportunité de cultiver la terre eux-mêmes, plus ils seront aptes à changer leur mode de vie. Manger ses propres légumes pousse à lâcher plus facilement sa voiture et à s’interroger sur sa consommation et l’origine de ses aliments. C’est un cercle vertueux. Et oui, on peut produire sainement et efficacement en ville ! Depuis six ans que nous cultivons nos bacs sur le toit d’AgroParisTech, nous avons observé un rendement proche de certains maraîchers en plein sol. Nos relevés montrent que les teneurs en contaminants restent largement inférieures aux normes, même si la contamination des produits issus de l’agriculture urbaine reste un vrai sujet notamment dans le cas d’un sol urbain pouvant être pollué.

Que manque-t-il pour permettre à l’agriculture urbaine de se développer ?

Aujourd’hui, le mouvement autour de l’agriculture urbaine se structure. En 2016, on a assisté à la création l’Association française d’agriculture urbaine professionnelle, qui regroupe 223 sites de production en France. Néanmoins, pour passer à une échelle plus large, je reste persuadé que nous avons besoin que les pouvoirs publics se saisissent de manière plus forte et complète du sujet. En favorisant par exemple les conditions d’implantation de projet d’agriculture urbaine et plus généralement de nature en ville. Nous avons aussi besoin d’un regard critique des autorités sur ces projets ainsi que d’une véritable exigence sur les fonctions qu’ils sont censés rendre. Il ne faut pas végétaliser tous azimuts, mais nous interroger sur ce que nous attendons de ces projets. Comment les conçoit-on ? Pour quel impact environnemental ? Quelles fonctions rendent-ils et celles-ci répondent-elles aux besoins des urbains ? Si nous ne faisons pas cela, nous courons le risque de voir la dynamique s’essouffler et de nuire au développement pertinent et à large échelle d’espaces de nature en ville. L’agriculture urbaine est une opportunité pour rendre nos villes plus durable et vivables. A nous de nous en saisir !

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