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Dans le 93, un lycée agricole en sursis enseigne l’amour du vivant depuis 1850

Le château de Vaujours où est installé le lycée du paysage et de l'environnement Fénelon / DR
Le château de Vaujours où est installé le lycée du paysage et de l’environnement Fénelon / DR

Alors même que l'on n'a jamais autant parlé d'agriculture urbaine et de retour du vivant en ville, l'un des six lieux d'enseignement de l'agriculture en Île-de-France est menacé de fermeture. Fabio Picciolo, paysagiste, jardinier et enseignant au lycée du paysage et de l'environnement Fénelon à Vaujours revient sur l'histoire et l'originalité de cet établissement qui forme des agriculteurs depuis 170 ans.

Votre école est en sursis, menacée par des problèmes budgétaires et par un projet immobilier…

Fabio Picciolo : Notre école a été créée en 1850 dans un des trois derniers châteaux du XVIIIe siècle de Seine-Saint-Denis, au cœur d’un magnifique parc de 17 hectares situé à Vaujours. C’est une partie méconnue du 93. Nous nous trouvons à la lisière du bois de Bernouille et de l’aqueduc de la Dhuys, à quelques centaines de mètres du vallon bucolique de Coubron et à un kilomètre de Clichy-sous-Bois. Nous sommes également au coeur d’un réseau unique de quinze parcs départementaux Natura 2000 qui constituent un ensemble unique en Europe de 1.157 hectares de nature en ville. On est loin de la représentation classique de la Seine-Saint-Denis ! Nos élèves, de la 3e au BTS, apprennent l’agronomie, l’écologie, la botanique, l’agriculture, le paysage, le machinisme… Officiellement nous sommes un lycée horticole, mais nous avons décidé de nous rebaptiser Lycée de l’environnement et du paysage, car c’est vers cela que nous orientons l’enseignement de la science agricole. 

Que représente cet enseignement en Île-de-France ?

Nous sommes un des six lieux d’enseignement agricole franciliens avec les lycées agricoles de Saint-Germain-en-Laye (Yvelines), de Brie-Comte Robert (Seine-et-Marne) et d’Igny (Essonne), le lycée horticole de Montreuil (Seine-Saint-Denis) et l’école d’horticulture du Breuil dans le bois de Vincennes (12e). Nous sommes par ailleurs dans une région où 48% de la surface est agricole, et où la moitié des agriculteurs doit prendre sa retraite d’ici à 10 ans. Pour nous il est très important de maintenir un centre agricole dans un département comme la Seine-Saint-Denis qui s’urbanise de manière rapide, alors qu’au même moment explose la demande sociale d’espaces verts, de nature et d’agriculture.

Quel est votre regard sur le regain d’intérêt des urbains pour l’agriculture ?

Ce phénomène dit clairement le besoin de revoir du vivant, animal comme végétal, en ville. Nous apprenons à nos élèves à chercher comment mettre de l’agriculture, du sauvage, dans les interstices de la ville, que ce soient des friches, des pieds d’arbres ou des champs encerclés par l’urbanisation. Nous sommes dans la logique du « tiers paysage »  théorisé par le jardinier poète Gilles Clément. Les agriculteurs peuvent devenir des jardiniers de la ville, y relancer le vivant. D’ailleurs, nos anciens élèves sont autant aménageurs, jardiniers et gestionnaires d’espaces verts, qu’agriculteurs.

Entre la forêt de Bondy et l’aqueduc de la Dhuis, le village de Coubron offre une vision bucolique de la Seine-Saint-Denis / © Jéromine Derigny pour Enlarge your Paris
Le vallon de Coubron en Seine-Saint-Denis à proximité du lycée du paysage et de l’environnement Fénelon / © Jéromine Derigny pour Enlarge your Paris

C’est assez éloigné de la vision classique du métier d’agriculteur….

En effet nous regardons plutôt du coté des agriculteurs expérimentaux, car ils sont à la pointe de la recherche, ils interrogent le métier et le font évoluer. Par exemple, nos élèves ont rencontré Agnès Sourisseau qui a créé un projet mêlant forêt et agriculture à 25 km à l’Est de Paris, sur un terrain délaissé de 35 ha entre des lignes de TGV, une route nationale et une ligne à haute tension. Ils ont également fréquenté Roger des Prés à la Ferme du Bonheur de Nanterre (Hauts-de-Seine) et Gilles Amar de la bergerie des Malassis à Bagnolet (Seine-Saint-Denis) ou encore Valentine de Ganay qui a fait évoluer l’exploitation agricole du château de Courances (Essonne) vers du biologique et de l’agroforesterie. Nos élèves ont participé à des séminaires dans des jardins remarquables comme celui du château de la Roche-Guyon (Val-d’Oise) ou celui du Moulin d’Andé en Normandie.

Vous êtes donc reconnus à l’échelle nationale, mais pas localement ?

On veut en effet nous fermer pour un projet local qui passe clairement à côté d’un regain d’intérêt pour l’agriculture, et qui est en pleine contradiction avec Laudato Si, l’encyclique écologique du Pape François ; que je cite à dessein, le lycée dépendant de l’évêché de Créteil, avec une tutelle du ministère de l’agriculture. Nous fermerions et ce alors que l’époque nous donne raison ? Ce serait un drôle de paradoxe. 

Infos pratiques : Lycée du paysage et de l’environnement Fénelon, 1 rue de Montauban, Vaujours (Seine-Saint-Denis). Plus d’infos sur fenelon.fr

Lire aussi : Tour d’horizon des initiatives d’agriculture urbaine dans le Grand Paris