Société
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Librairies : indépendantes, mais pas toutes seules

Quoi de plus naturel aujourd'hui que de commander ses livres sur Internet ? Face aux mastodontes que sont Amazon ou la Fnac, les libraires font preuve d'astuce pour offrir toujours plus de services. On vous en parle à l'occasion de la fête des libraires.

Tout un roman. Allez interviewer des libraires installés en banlieue et, alors que vous vous attendiez à des discours moroses sur les marges, le chiffre d’affaires et la crise, ils vous parleront… d’amour. Ils décriront une relation forte, pas toujours facile, vécue au quotidien avec leurs clients. « Nous sommes sans doute l’une des professions préférées des Français », estime Jacques-Etienne Ully, à la tête de deux librairies indépendantes, du réseau Folies d’encre en Seine-Saint-Denis, et à l’origine de l’association Librairies 93.

 

« Tous les maires veulent une librairie indépendante »

En deux ans, quatre librairies ont ouvert en Seine-Saint-Denis, un des départements d’Île-de-France les « moins équipés » avec le Val-d’Oise et la Seine-et-Marne selon une étude de 2012 du MOTif  (Observatoire du livre et de l’écrit). « Les villes du département sont en train de changer, tous les maires veulent une librairie indépendante, symbole de qualité dans leur centre-ville », décrit Jacques-Etienne Ully.

Municipalités, région, Centre national du livre et ADELC (association pour le développement de la librairie de création) fourbissent des aides essentielles « car le panier moyen est moins élevé en banlieue » selon Jacques Etienne Ully. Mais cela ne suffit pas toujours. La Traverse, une de ces petites nouvelles, créée il y a trois ans à la Courneuve a cependant déjà fait faillite et tourné la page, à la fin de l’année 2013.

 

Environ 500 librairies en banlieue

Question librairies indépendantes, Paris se taille la part du lion : 48 % des points de vente ont pignon sur rue intra-muros selon le MOTif . L’agglomération (hors Paris) compte un peu moins de 500 librairies, dont 41 en Seine-Saint-Denis, et sept seulement qui ont le label LIR, « Librairie indépendante de référence » (contre 78 dans la capitale).

Mais pas de sinistrose. Même si les chiffres ne sont pas très bons, sur toute la France, avec un chiffre d’affaires en baisse de 5 % de 2003 à 2010 selon le cabinet d’études Xerfi, les libraires de banlieue ne veulent pas être enfermés dans la complainte et la rumination. Millepages à Vincennes, fondée en 1980, s’est agrandie en 2009 passant de 50 m2 à 750 m2, répartis en deux adresses. « Nous tenons des commerces, il faut s’adapter sans se renier, nous sommes passés du client grand lecteur au client consommateur », estime le directeur Pascal Thuot. Face à Amazon, « nous ne faisons pas le poids question logistique, mais il y a des solutions locales ».

 

L’union fait la force

S’unir avec des libraires voisins : c’est ce qu’a fait Millepages avec des magasins parisiens, situés dans l’Est de la capitale, via le réseau Librest (six membres). « Nous avons des délais de livraison rapide, en vélo, et des navettes deux fois par jour entre nos boutiques. » Dans les Hauts-de-Seine, douze librairies se sont aussi fédérées, plus récemment, en octobre 2012 dans le réseau Librairies en Seine.

Tous ces libraires associés ont suivi le même parcours : des discussions informelles entre eux, car beaucoup « ne viennent pas du monde de la librairie », explique Laurent Bojgienman de La nouvelle librairie à Asnières. L’information, « c’est le pouvoir face aux forces négatives », s’amuse Jacques Etienne Ully. Tous publient de petits journaux en commun. « Notre gazette plait beaucoup » se réjouit Laurent Bojgienman, « on y annonce les dédicaces ».

Tous organisent des rencontres, des lectures de contes, des ateliers pour les enfants. Et tous ont mis en place des prix, dont les lecteurs sont les jurés. « Notre valeur ajoutée, c’est le conseil, le conseil, le conseil, scande Jacques-Etienne Ully. Dans le supermarché, les livres sont vendus comme des patates. Pas chez nous ! » Néanmoins, il s’agit d’être constamment force de proposition. « Il faut rester vigilant, continuer d’apporter du service, de l’écoute et une réaction rapide, résume Pascal Thuot de Vincennes, car rien n’est acquis. Comme en amour. »