Culture
|

Quand une usine d’incinération des déchets donne naissance à un musée

L'usine d'incinération des déchets du Syctom à la frontière entre Paris et Ivry / © Stefan Shankland
L’usine d’incinération des déchets du Syctom à la frontière entre Paris et Ivry / © Stefan Shankland

En résidence sur le site d'une usine d'incinération des déchets et de valorisation énergétique à la lisière de Paris et d'Ivry, l'artiste Stefan Shankland a imaginé un Musée du Monde en Mutation afin de mettre en évidence l’intérêt artistique d'un territoire en plein changement.

Cette interview a été réalisée dans le cadre d’un partenariat avec le Musée du Monde en Mutation

Comment est né le projet du Musée du Monde en Mutation ?

Stefan Shankland : En 2012, le Syctom, l’agence métropolitaine des déchets ménagers, engageait le processus de modernisation de son usine d’Ivry – Paris 13e. Quand une zone industrielle se transforme peu à peu en zone habitée, comme c’est le cas autour de l’usine, se pose des questions d’usages, de pollution, de risques, d’image. A cette époque, les ingénieurs du Syctom se sont intéressés à un projet de chantier expérimental que je menais à Ivry, trans305.org. Il s’agissait d’intégrer une dimension artistique à un projet de transformation urbaine. Cela a résonné avec les enjeux liés à l’usine du Syctom et c’est ainsi que j’ai débuté une résidence au long cours sur le site de l’usine.

Pourquoi cet enjeu de la mutation ?

Parce qu’ici elle est partout ! C’est un Atlas des mutations, de l’échelle moléculaire à l’échelle métropolitaine. Mutations physiques, chimiques, thermiques, énergétiques, atmosphériques… Et puis l’usine se situe à la frontière de Paris et d’Ivry dans un territoire en chantier où se construisent les tours imaginées par Jean Nouvel, où passera le prolongement de la ligne 10 du métro et où l’architecte Marc Mimram a réorganisé l’échangeur du périphérique du quai d’Ivry. Bref, partout on peut observer des transformations en cours, ou imaginer celles à venir ! De là est née l’idée du musée, d’une collection de phénomènes de mutation.

Comment s’est constitué ce Musée ?

En 2015, j’ai fait une première édition associant des chercheurs, des urbanistes, des directeurs de musées, des ingénieurs,et des artistes, qui rendait compte de nos premières idées, nos intuitions pour ce Musée. Puis en 2019, nous avons contacté des plasticiens, des chorégraphes, des réalisateurs pour venir voir le site, en faire l’expérience, se projeter dans cette idée du Musée du Monde en Mutation et produire quelque chose à partir de leur ressenti. Avec ses étudiants de l’école des Beaux-Arts de Paris, Emmanuelle Huyhn a mené pendant un an un workshop qui a donné lieu à une performance et à une vidéo, « Les Brûleurs ». La plasticienne Ann Guillaume a proposé une fiction documentaire « La collectionneuse de fuites ». Quant aux graphistes de Super Terrain, ils travaillent sur une création autour du monument en mouvement : «  Momentum ». Nous avons également conduit un projet avec les étudiants de l’Ecole de communication visuelle de Nantes.

Vous considérez-vous comme la caution artistique du Syctom ?

Il ne s’agit pas pour moi d’être « pour » ou « contre » mais « au milieu de ». Les choses sont précisées dès le départ : je ne me substituerai pas à la communication officielle du Syctom ou des industriels, et ne serai pas non plus le bras armé de possibles opposants au projet. Je suis ici au travail pour contempler une situation unique et générique à la fois : quelque part entre une transformation industrielle et une exposition universelle des mutations . Il s’agit d’en faire expérience et de rattacher ce que je vois et ressens aux enjeux qui façonnent le XXIème siècle naissant.

Quel est votre regard en tant qu’artiste sur l’usine ?

Quand j’emmène des gens sur le site, il y a toujours un choc esthétique. Cette expérience met en route une machine à idées chez presque tous les artistes. Je suis pour ma part fasciné par les fumées qui sort des cheminées. En fonction de la température ambiante, de la lumière, du sens du vent, du paysage urbain depuis lequel je les contemple, les panaches de fumées sont toujours différents. Je suis à la fois émerveillé et perturbé par cet hybride : à la fois phénomène industriel et objet climatique, produit de nos déchets et esthétique, œuvre d’art éphémère et monument dans le paysage de la banlieue parisienne. Comment laisser des traces de cette expérience esthétique du monde en transformation ? Cette usine va prochainement disparaître, et avec elle un morceau d’histoire du XXe siècle de Paris et d’Ivry. C’est également ici que se voit l’émergence du XXIème et de ses enjeux. C’est pourquoi il y a besoin d’un musée ici. Un projet de recherche et de création au long cours, complexe et vivant, qui va continuer de muter avec la ville et avec son temps.

Lire aussi : Une ancienne station-service reconvertie en école du compostage à Pantin

Lire aussi : Parti de zéro, le zéro déchet fait son trou

Lire aussi : A Paris, la mode éco-responsable veut tirer son épingle du jeu

Lire aussi : Ophélie Ta Mère Nature, la green guérillera du Grand Paris