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Parti de zéro, le zéro déchet fait son trou

Déchets sur le trottoir à Paris / © Jeanne Menjoulet (Flickr - Creative commons)
Déchets sur le trottoir à Paris / © Jeanne Menjoulet (Flickr – Creative commons)

A la fin du XIXe siècle, le préfet Eugène Poubelle imposait à Paris la généralisation de récipients pour collecter les ordures, les poubelles. Un peu plus d'un siècle plus tard, de nouvelles initiatives voient le jour pour parvenir cette fois au zéro déchet.

C’est un fait, les actions se multiplient pour lutter contre la prolifération des déchets. L’Union européenne a entériné l’interdiction du plastique à usage unique pour juillet 2021. En France, nous avons dit adieu aux pailles en plastique en janvier dernier. Pour autant, comme le rappelait en avril 2019 Marc Chevery, directeur Économie circulaire et Déchets au sein de l’Agence de la transition écologique (Ademe), les plastiques ne sont valorisés aujourd’hui qu’à hauteur de 15%.

Il reste donc du travail en matière de gestion des déchets, en particulier en Île-de-France. Selon l’Observatoire régional des déchets (Ordif), deux tiers des déchets recyclables dans la région ne sont pas triés par les habitants. Alors qu’un Français trie en moyenne 70 kg de déchets par an, le Grand-Parisien se limite à 45 kg. Quant aux ordures résiduelles – c’est-à-dire tout ce qui n’est pas recyclable ou compostable -, leur volume est reparti à la  hausse depuis 2016 en région parisienne avec environ 7 millions de tonnes, contre moins de 6 millions en 2015.

Plusieurs facteurs expliquent ce phénomène selon Blandine Barrault, chef de projet Traitement à l’Ordif : la décision de la Chine de ne plus importer de déchets plastiques en 2018, l’augmentation de la population francilienne (pour un tonnage de déchets par habitant stable) et la reprise économique. Refusant d’en faire une fatalité, de nombreux acteurs de l’économie sociale et solidaire se sont lancés dans la structuration d’une nouvelle filière, celle du zéro déchet.

Parmi les secteurs les plus concernés, on trouve bien sûr l’alimentaire dans lequel intervient l’association Moissons Solidaires, qui collecte et redistribue les fruits et légumes invendus de quatre marchés parisiens depuis 2013. En 2019, elle a également installé le dispositif Glean sur le marché de Vitry (Val-de-Marne). « L’Agence métropolitaine des déchets ménagers organise régulièrement un concours qui prime les meilleurs projets permettant la réduction des déchets. C’est dans ce cadre que le projet Glean, un mobilier urbain qui sert à la fois de support pour redistribuer les fruits et légumes invendus et de banc public, a été repéré », explique Anna Salwerowicz, la fondatrice et présidente de Moissons Solidaires.

Valoriser les bio-déchets plutôt que jeter

L’association accompagne également deux marchés à Bobigny (Seine-Saint-Denis) ainsi que la ville de Drancy (Seine-Saint-Denis) sur le sujet des invendus alimentaires. « D’autres projets sont à l’étude pour accompagner des marchés à Vincennes (Val-de-Marne) et à Versailles (Yvelines) en 2021, précise Anna Salwerowicz. Ces actions permettent de lutter contre le gaspillage alimentaire et de réduire les biodéchets. »

Une démarche dans laquelle s’inscrit Ramen tes drêches, fondée à Paris en 2018 par Sabrina Michée. Derrière ce drôle de nom se cache un ingénieux système visant à recycler les drêches, les déchets céréaliers générés par les brasseurs de bière. « Je suis partie du constat qu’il y a de plus en plus de micro-brasseries. Les drêches représentent aujourd’hui un coût pour les brasseurs alors qu’elles ont un vrai potentiel nutritif. » La solution développée par Ramen tes drêches consiste donc à utiliser ces déchets céréaliers pour en faire des nouilles proposées en ramens instantanés (plat japonais constitué de pâtes dans un bouillon, Ndlr). Aidée par AgroParisTech, Sabrina Michée est parvenue à concevoir un produit sain commercialisé dans les réseaux Biocoop et La Vie Claire, certains cavistes spécialistes de la bière et des épiceries fines écoresponsables. Ses nouilles sont même au menu d’un restaurant du réseau Écotable dans le Grand Paris. 

A terme, l’entrepreneure compte développer les ventes de sa farine de drêches, travailler avec des établissements et services d’aide par le travail (Esat) ainsi que des cantines scolaires. Sans oublier d’élargir son réseau de brasseurs partenaires. Des essais ont d’ailleurs été menés avec la micro-brasserie Mappiness, fondée à Saint-Maur-des-Fossés (Val-de-Marne) par Marguerite Nguyen et Pierre Schneider. « Les entreprises comme Ramen tes drêches recyclent nos malts infusés pour en faire des nouilles mais aussi des biscuits apéritifs, explique ce dernier. De notre côté, nous récupérons des pains invendus de chez Biocoop pour en faire de la bière. »

Les nouilles de chez Ramen tes drêches / © Ramen tes drêches
Les nouilles de chez Ramen tes drêches / © Ramen tes drêches

De restaurateur à « créateur de compost de haute qualité »

Et lorsque les biodéchets ne peuvent pas être recyclés, il existe là aussi des solutions. Excédé par le gâchis alimentaire dans son restaurant, Stéphan Martinez décide d’engager un tournant lorsqu’en 2006 il prend conscience de tout ce qu’il jette à la poubelle et qui finit enfoui ou incinéré. « J’ai découvert le lombricompostage, déjà bien installé au Canada. C’est comme ça que tout a commencé, avec des vers de terre installés dans mon sous-sol. » Une manière de faire digérer les déchets organiques dans un composteur adapté plutôt que de les passer à la benne. De là naît Moulinot, entreprise sociale et solidaire et « créateur de compost de haute qualité à partir de déchets alimentaires.« 

Depuis, Stéphan Martinez a notamment participé à la COP 21 à Paris en 2015 (conférence sur les changements climatiques, Ndlr), sensibilisé de nombreux acteurs de la restauration et il travaille désormais avec des entreprises de la restauration collective comme Sodexo. L’entreprise s’est aussi dotée d’une plateforme de compostage en 2017 ainsi qu’une plateforme de méthanisation. Le gaz ainsi produit est ensuite injecté dans les réseaux de gaz de la région, ou transformé en électricité, en chaleur ou en carburant. Le compost Moulinot alimente également les agriculteurs qui peuvent ainsi enrichir leurs sols.

Cette logique du compostage est celle adoptée aussi par les Alchimistes. Fondés par Fabien-Kenzo Sato, Alexandre Guilluy et Cyrielle Callot en 2016, ils se sont donnés pour mission de réduire les kilomètres parcourus par nos déchets en créant des unités micro-industrielles de compostage en Île-de-France et dans l’Hexagone. « On vend notamment notre compost dans une centaine de points de vente, dont Carrefour et Monoprix. Il est très riche en matière organique et contribue à la fertilité des sols », souligne Alexandre Guilluy. Si les Alchimistes ciblent avant tout les professionnels, les particuliers peuvent contribuer à l’effort collectif grâce aux bornes d’apport volontaire implantés dans les épiceries vrac et les enseignes Biocoop.

Marcia de Carvalho, fondatrice de la marque Chaussettes orphelines / © Chaussettes orphelines
Marcia de Carvalho, fondatrice de la marque Chaussettes orphelines / © Chaussettes orphelines

Des initiatives plébiscitées par le public

Mais le secteur alimentaire n’est pas le seul à tendre vers le zéro déchet en Île-de-France. Dans la culture, RecycLivre, dont l’entrepôt est basé à Villabé (Essonne), récupère gratuitement les livres partout en France pour leur offrir une seonde vie via sa librairie en ligne. Du côté de l’industrie textile, qui génère 10% des émissions de CO2 et 20% des eaux usées mondiales, des créateurs de mode grand-parisiens s’approprient les textiles usagés et les chutes de tissus pour leurs collections. C’est le cas entre autres de Marcia de Carvalho, fondatrice des Chaussettes orphelines, dont l’un des ateliers est installé dans le quartier de la Goutte d’Or (18e). Avec nos vieilles chaussettes trouées ou orphelines, elle fabrique de nouvelles paires de chaussettes neuves, mais aussi des bonnets, des sacs et des housses.

Des initiatives qui trouvent de plus en plus d’écho auprès du grand public mais aussi chez les collectivités comme le souligne Léa Vasa, déléguée du 10e arrondissement à la propreté, à la stratégie zéro déchet et à l’économie circulaire. « Avant, les déchets étaient considérés comme des nuisances à gérer et renvoyaient à des problèmes de propreté. Avec la tendance du zéro déchet, les habitants sont très motivés, prêts à construire des solutions locales. Il n’y a qu’à voir le succès fou des ressourceries ou du compost individuel ! »

Parmi les initiatives mises en place par la mairie du 10e arrondissement, la rue de Paradis a été transformée en rue zéro déchet en 2018. « Très souvent, nous avons affaire d’une part à une très forte demande de la part des habitants, et d’autre part à des solutions qui peinent à trouver leur public. On a donc voulu montrer par ce biais ce qui se fait déjà. En s’appuyant sur ce premier test, nous sommes en train de structurer le concept pour le dupliquer dans d’autres arrondissements. » Dans la ville du préfet Eugène Poubelle, qui a donné son nom à nos poubelles, le zéro déchet a de l’avenir.

Infos pratiques : Semaine européenne de la réduction des déchets du 21 au 29 novembre. Plus d’infos sur serd.ademe.fr

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