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Cent ans d’art engagé au siège du parti communiste

© August Fischer (Creative commons - Flickr)
Le siège du parti communiste accueille l’expo « Libre comme l’art » jusqu’au 21 janvier / © August Fischer (Creative commons – Flickr)

Jusqu'au 21 janvier, le siège du parti communiste à Paris accueille l'exposition « Libres comme l'art » : 120 œuvres qui racontent une double histoire, celle de l'art au XXe siècle et celle du lien entre les artistes et le parti. Enlarge your Paris s'est entretenu avec l'une des deux commissaires de l'exposition, Yolande Rasle.

D’où viennent les œuvres que vous présentez ? Est-ce la première fois qu’on peut les voir réunies ?

Yolande Rasle : L’exposition « Libres comme l’art » présente environ 120 œuvres issues de diverses collections, notamment celle de la Fédération de Paris et du parti communiste (PCF), que nous avons réunies pour célébrer le centenaire du parti [retardée d’un an en raison du Covid, NDLR]. Dans cette exposition, nous avons souhaité faire dialoguer les événements politiques et sociaux avec les courants artistiques. Il fallait recontextualiser les trésors culturels appartenant au PCF, mais aussi les enrichir avec des œuvres empruntées qui donneraient une lecture plus juste du travail des artistes et des mouvements artistiques auxquels ils étaient rattachés.

L’exposition couvre un siècle de production picturale en France. Qu’y trouve-t-on comme artistes et comme grands courants artistiques ?

Nous avons découpé l’exposition en chapitres, ce qui n’a guère été facile car les étiquettes en art sont souvent floues. En dehors des pionniers de l’art moderne comme Duchamp, Léger, Picasso, Giacometti, Masson, Fautrier et Matta, nous présentons des œuvres qui relèvent des deux grands courants qui s’affrontent entre les années 1930 et 1950 et même au-delà : le réalisme et l’abstraction. Pour le premier, nous englobons aussi bien le réalisme social (Iché, Fougeron, Pignon, Gromaire, Taslitzky, Tal Coat) que la nouvelle figuration qui recouvre la jeune peinture (Buraglio, Olivier O. Olivier), la figuration narrative (Rancillac, Télémaque, Erro, Arroyo, Monory, Aillaud, Klasen), les nouveaux réalistes (César, Villeglé, Brusse), la coopérative des Malassis (Cueco, Latil, Parré, Zeimert, Fleury, Tisserand) et la figuration libre (Di Rosa). Le second courant concerne les abstractions géométriques (Herbin, Leppien, Dewasne, Claisse, Satoru) et lyriques (Messagier, Marfaing, Kijno, Bellegarde). Nous exposons aussi les photographies de Darzacq, Delorieux, Lejarre, Pignon-Ernest ainsi que les sculptures de Féraud et Viseux.

Les œuvres exposées étaient-elles des commandes du parti ou des cadeaux d’artistes militants ?

Il y a eu des commandes de la part du parti. Mais la majorité des œuvres ont été données par les artistes pour aider le parti à un moment clé de son histoire, ou pour la Fête de l’Humanité qui a autrefois présenté de grandes expositions. Les artistes devaient réaliser des lithographies qui étaient tirées en plusieurs exemplaires et vendues au profit du PCF. Il ne faut pas oublier non plus les éditions. Le dialogue entre artistes et écrivains a donné lieu à de magnifiques publications.

Pourquoi le PCF, sans doute plus que les autres partis en France, était-il aussi intéressé par l’art, du cinéma à la peinture ?

Le parti communiste a très vite compris l’importance de l’image, l’impact que celle-ci pouvait exercer sur les masses. Aussi, sa relation avec le cinéma ou la photographie a été très étroite. Il a su s’attacher les services des meilleurs photographes et des meilleurs illustrateurs pour ses publications. Pour le cinéma, il a commandé des documentaires ou des courts-métrages militants jusqu’au moment où il a pu les produire lui-même. Beaucoup ont été réalisés au moment du Front populaire. Ce sont majoritairement des films de propagande syndicale et politique, comme les deux films de Jean Renoir La vie est à nous et La Marseillaise. Quant à l’art, je pense que l’approche est un peu différente. À aucun moment le parti communiste n’a soutenu les artistes surréalistes ou abstraits. Je pense qu’Aragon et quelques autres grands intellectuels ont joué un rôle majeur pour amener l’art au parti.

Exposition "Libres comme l'art" au siège du PCF / © Eric Morin
Exposition « Libres comme l’art » au siège du PCF / © Éric Morin

Qu’est-ce que l’exposition raconte de l’histoire de l’art ? Le XXe siècle est-il celui de l’art engagé ?

Cette exposition montre que l’art n’est pas coupé de la réalité sociale et politique, que bon nombre des artistes exposés considéraient l’art comme un acte social qui devait conduire à un peu plus d’humanité, de justice. Peu importe que leur nom soit lié à l’art figuratif ou à l’art abstrait, ils se sentaient directement concernés par ce qui brutalisait le monde et ressentaient le besoin d’en témoigner soit en adhérant au parti communiste, soit en l’accompagnant dans ses luttes. Cette exposition fait aussi tristement écho à notre monde aujourd’hui. Le XXe siècle a été un siècle de barbarie, soit, mais celui qui s’annonce n’est pas mieux, il est même encore plus dangereux que le précédent car beaucoup plus sournois. L’Homme ne pense l’avenir qu’en termes de contrôle, fermeture, rejet, défense, sécurité, censure. À ce rythme, je ne donne pas cher de la peau du monde.

Les œuvres du XXIe siècle que vous exposez relèvent des techniques du street art, de la vidéo, de la photo… Y a-t-il encore une tradition de l’art engagé en ce début de siècle ?

Je ne crois pas que les artistes d’aujourd’hui soient moins engagés que leurs aînés ; ils le sont de façon plus individuelle. L’individualisme contre lequel s’insurgeait Aragon a pris le pas sur le collectif. Leur engagement ne passe plus par un parti politique. Les œuvres d’un Darzacq, d’un Jerk 45 et de bien d’autres le prouvent. Regardez autour de vous les œuvres qui dénoncent, avec plus ou moins de bonheur plastique, les problèmes climatiques, migratoires, écologiques, le mal-être animal, la torture, la famine, la guerre… Les artistes sont très nombreux à s’offusquer de ce qui ne va pas mais le fait qu’ils le fassent seuls a une moindre portée.

Cette exposition est organisée dans un lieu qui est lui aussi exceptionnel, et exceptionnellement ouvert au public…

Ce lieu exceptionnel, classé monument historique en 2007, est l’œuvre d’Oscar Niemeyer, un architecte brésilien, communiste fervent, qui se réfugie en France pour fuir la dictature de son pays. Il offre au PCF les plans de son nouveau siège. Les travaux se sont échelonnés de 1965 à 1980. Cette architecture tout en courbes est remarquable mais pour qui veut y exposer, c’est une autre histoire. Le critique d’art Renaud Faroux adore citer Niemeyer, qui se définissait comme un ennemi du capital mais aussi de l’angle droit. Éric Morin, le scénographe de l’exposition, a eu maintes fois l’occasion de le vérifier. Aujourd’hui, le lieu a un peu évolué dans sa fonction. Il est devenu un site d’expression artistique qui peut être loué pour des événements : tournages, défilés de mode, concerts…

Infos pratiques : exposition « Libres comme l’art » à l’Espace Niemeyer au siège du PCF, 2, place du Colonel-Fabien, Paris (19e). Jusqu’au 21 janvier. Ouvert du mercredi au samedi de 14 h à 18 h. Entrée libre. Accès : métro Colonel Fabien (ligne 2). Plus d’infos sur espace-niemeyer.fr

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