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Ici, en bordure de la forêt de Rambouillet, Ravel vit toujours

La maison de Maurice Ravel à Montfort-l’Amaury. Photo John Laurenson

Le Belvédère, maison-musée Maurice Ravel à Montfort l’Amaury (Yvelines), l’un des plus beaux et plus curieux musées d’Île de France, fournit à ses visiteurs un aperçu fascinant de ce grand nom de la musique française. Correspondant de la BBC installé outre-périphérique, John Laurenson est allé à sa découverte pour Enlarge your Paris. Jusqu’aux Jeux olympiques, le journaliste John Laurenson partage avec nous son regard sur la banlieue à travers la série « Le Grand Paris est une fête » en hommage à « Paris est une fête » d’Ernest Hemingway.

Pénétrez dans cette maison et vous le sentirez tout de suite : ceci n’est pas un musée. Pas un musée normal en tout cas. Déjà, c’est la conservatrice, Anne Million, qui fait entrer. Les visites, uniquement guidées et pour un maximum de six personnes, se font sur rendez-vous. Mais surtout, passé la porte, vous êtes transporté un siècle en arrière. Rien, ou si peu, n’a été touché depuis la mort de Ravel. On se surprend en train de chuchoter comme si son corps reposait dans la pièce d’à côté.

Maurice Ravel était, avec Claude Debussy, l’un des grands compositeurs français du siècle dernier. Tout le monde ou presque connaît le Boléro, cette œuvre orchestrale irrésistible d’un seul et long crescendo avec son rythme comme frappé sur le sol par des pieds de danseurs de flamenco et son air comme les arabesques de leurs mains. C’est à Montfort-l’Amaury (Yvelines) que Ravel l’a composé. D’autres connaîtront ses pièces pour piano si mélancoliques ou si intenses comme la Pavane pour une infante défunte ou Gaspard de la nuit : œuvres que vous n’écouterez plus de la même façon après avoir visité cette maison qui ressemble tellement, par tant de façons surprenantes, à son compositeur.

« La maison a deux visages. L’extérieur est un peu sombre, un peu raide, mais l’autre côté, côté jardin, c’est un balcon ouvert sur la forêt, sur un paysage infini. Ravel lui-même était d’extérieur un peu raide, un peu mystérieux, mais quand on pénètre dans cette maison et qu’on ouvre les fenêtres sur la campagne, on découvre, je crois, l’esprit de Maurice Ravel », imagine Anne Million, dont le nom de jeune fille est Anne Fontaine, comme la réalisatrice du film Boléro sorti en mars et dont une grande partie a été tournée au Belvédère.

Ravel, « enlargeur » avant l’heure

Ravel a grandi à Paris. Il a vu la tour Eiffel sortir de terre. Longtemps, il est resté, avec ses parents et son frère, dans la maison familiale. Quand la guerre a éclaté il s’est porté volontaire et a servi comme camionneur dans un régiment d’artillerie, acheminant des munitions aux troupes. Le Tombeau de Couperin, l’une de ses compositions pour piano les plus jouées, est une suite de pièces dont chacune est dédiée à un ami mort au front.

« Enlarge your Paris ? C’est ce qu’a fait Ravel ! », s’amuse Anne Million. Peu après sa démobilisation, il voulait la paix et fuir les distractions parisiennes pour se concentrer sur son travail. Il souhaitait une maison à moins de 40 kilomètres de Paris. Il tombe sur la jolie petite ville de Montfort-l’Amaury et, à 46 ans, quitte la demeure de ses parents. Il n’a jamais possédé d’autre maison que le Belvédère, et y a mis son âme. Au Belvédère, on voit Ravel partout, dans tout.

On le retrouve ainsi dans l’attention très précise qu’il a mise dans le choix et l’agencement de ses meubles et dans la décoration que, sortant pinceaux et couleurs, il faisait souvent lui-même. Il peint sur ses murs, ses chaises, et même sur la cheminée de son salon. C’est un homme petit de taille et gracieux ; il aime danser sur le jazz qu’il a aussi laissé influencer sa musique. Jazz est d’ailleurs le nom qu’il a donné à son fox-terrier. On l’imagine bien se faufiler dans cette demeure tout en petites pièces et en couloirs et escaliers étroits.

Le compositeur n’a vécu aucune histoire amoureuse documentée. Un vieux garçon à la sexualité refoulée ? Vraisemblablement pas non plus puisque, me glisse Anne Million, on sait qu’à Paris il allait voir les filles. Mais c’est un homme seul qui vit dans une foule d’objets parfois un peu étranges qu’il trouve beaux ou amusants : des tasses à café trouées, un Chinois qui tire la langue, un petit oiseau en cage mécanique qu’il remonte et pose sur son piano pour qu’il chante pendant qu’il joue.

Un promeneur solitaire (et nocturne)

Anne Million a laissé échapper qu’elle jouait du piano ; quand nous rentrons dans la salle de composition, avec son bel Érard en palissandre et sa fenêtre qui offre une vue splendide sur la vaste forêt de Rambouillet, je lui demande si elle ne pourrait pas me jouer quelque chose. Elle va chercher une partition, revient, se pose, prend une inspiration et entame le mouvement lent du Concerto en sol que Ravel a écrit ici. C’est un moment sublime : cette pièce (que je ne connaissais pas), son jeu, le son très rond, très chaleureux qui remplit ce petit salon. « Ce morceau, dit Anne, me fait penser à Ravel qui était insomniaque et qui adorait marcher dans la forêt de Rambouillet, même la nuit. » Le rythme, en effet, c’est celui des pas de la marche. L’air est une mélodie d’errance ; un peu comme dans un morceau de jazz, on ne sait pas où l’on va.

Et la musique ne fait que commencer. Le jour de ma visite, c’est l’anniversaire de Ravel. Le 7 mars. Événement qu’on célèbre depuis un certain temps ici par un concert sur le balcon. Deux musiciens, un violoniste et un guitariste, s’installent. Une audience se rassemble dans le petit jardin en bas où l’artiste a fait planter des arbres nains. À l’époque, il faisait venir ici des amis dont les compositeurs anglais et russe Vaughan Williams et Prokofiev. Il leur offrait à dîner les légumes de son potager. Pour une fête qu’il a donnée ici en 1928, il dit aux invités : « Venez ! Je fournis les cocktails et les petits pois. »

Notre assemblée aujourd’hui est peut-être moins illustre – on fait ce qu’on peut – mais certains ont Ravel dans leurs souvenirs de famille ; ainsi, une Parisienne avec des attaches à Montfort-l’Amaury, venue pour le concert du balcon, nous montre une photo du compositeur prise au Belvédère par l’un de ses parents. Quant à Anne Million, elle a grandi dans un des villages alentour et sa grand-mère apportait des œufs et son fromage blanc au musicien.

Sur le balcon où Ravel et Prokofiev ont joué aux échecs, les musiciens s’accordent. La ville va, cette année, résonner encore plus de sonorités ravéliennes. Sont lancées, par exemple, « Les Saisons de Ravel », une série de concerts et de rencontres autour de la composition. Le 27 avril, il y aura une rencontre avec le compositeur Philippe Hersant suivie d’un concert du Trio Atanassov. Pour les Journées du patrimoine en septembre, il y aura de nouveau un concert au balcon, et en octobre, pendant un week-end ou deux, des récitals dans toute la ville.

En cette journée d’anniversaire froide et ensoleillée, le duo se met à jouer le prélude du Tombeau de Couperin. Un air frais et vital comme une envolée d’oiseaux. Ici, au bord de la forêt de Rambouillet où Ravel a vécu, Ravel vit.

La maison de Maurice Ravel à Montfort-l’Amaury. Photo John Laurenson
La maison de Maurice Ravel à Montfort-L'Amaury. Photo John Laurenson
Une bibliothèque cachée… Maison de Maurice Ravel à Montfort-l’Amaury. Photo John Laurenson
La maison de Maurice Ravel à Montfort-L'Amaury. Photo John Laurenson
La maison de Maurice Ravel à Montfort-l’Amaury. Photo John Laurenson
La maison de Maurice Ravel à Montfort-l’Amaury. Photo John Laurenson
La maison de Maurice Ravel. DR
Le buste de Maurice Ravel au cimetière de Montfort-l’Amaury Photo John Laurenson

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