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Yuka, l’appli qui venait des Yvelines

L'application mobile Yuka permet de connaître la valeur nutritionnelle des produits de la grande distribution / © Yuka
L’application mobile Yuka permet de connaître la valeur nutritionnelle des produits de la grande distribution / © Yuka

Téléchargée par plus de 15 millions d'utilisateurs à travers le monde, l'appli Yuka permet de scanner les produits alimentaires pour en connaître l'impact sur la santé. Une idée portée par une Grand-Parisienne originaire des Yvelines, Julie Chapon, et ses deux associés, Benoît et François Martin. Journaliste pour Enlarge your Paris, Solenn Cordroc'h s'est entretenue avec elle.

Pouvez-vous retracer l’histoire de Yuka dans les grandes lignes pour celles et ceux qui ne vous connaissent pas encore ?

Julie Chapon : Yuka a démarré en 2016. Tout est parti du constat de Benoît, l’un de mes deux associés, qui cherchait à offrir à ses enfants avec des produits plus sains. Il a commencé à essayer de décrypter les étiquettes des produits mais s’est vite rendu compte que ce n’était pas clair du tout. De là, il a pensé à un outil qui permettrait d’analyser de manière très simple et automatique la composition d’un produit et son impact sur la santé. Il en a parlé à son frère François, qui m’a également fait part de leur projet. Il se trouve que j’étais justement en quête de sens dans ma vie professionnelle, après avoir travaillé cinq ans dans une entreprise de conseil en transformation digitale des entreprises. Tous les trois, nous nous sommes inscrits, en février 2016, au concours Foodhackathon à la Gaîté Lyrique. Au départ, l’idée de Yuka était sensiblement la même que celle d’aujourd’hui. Il y avait juste une surcouche supplémentaire qui passait par l’acquisition d’un objet connecté en forme de carotte à aimanter sur le frigo. Cet objet devait servir à scanner les produits  une fois rentré de ses courses pour découvrir leurs propriétés nutritionnelles sur une application. Il a fallu du temps pour comprendre que cette solution n’était pas adéquate pour notre projet. Nous avons gagné le concours et avons développé l’application durant l’année 2016. En janvier 2017, Yuka se lançait sur le marché français. En juin 2018, nous avons étendu le service à l’analyse des produits cosmétiques et d’hygiène. En 2019, Yuka s’est ouvert à l’international avec la Belgique, la Suisse, le Luxembourg, le Royaume-Uni, l’Espagne, les Etats-Unis et le Canada. En 2020, nous allons nous allons concentrer sur l’Europe.

Sur quelles données se basent les évaluations de Yuka ?

Nous avons utilisé la base de données collaborative Open Food Facts la première année, puis nous avons créé notre propre base pour pouvoir mettre en place des systèmes de contrôle. Cette base de données est alimentée par deux sources, les industriels d’une part qui nous fournissent la liste des ingrédients de leurs produits et les utilisateurs d’autre part qui peuvent contribuer en scannant un produit non reconnu. Pour ce faire, ils doivent prendre en photo le packaging du produit, la liste des ingrédients et le tableau nutritionnel. On ne leur demande en aucun cas une analyse du produit. Si les consommateurs renseignent volontairement des données erronées, cela fonctionne un peu comme  Wikipédia, ils sont bannis de l’application. Trois personnes à plein temps travaillent sur la fiabilité en vérifiant les informations des produits. A chaque scan, Yuka indique un code couleur (vert, orange, rouge), une mention (excellent, bon, médiocre ou mauvais) et une note sur 100. Pour déterminer cette notation, l’application s’appuie sur plusieurs critères : la qualité nutritive du produit, la présence d’additifs alimentaires et l’indication d’un label bio.

Quels sont les produits les plus scannés ?

Aujourd’hui, ce sont essentiellement des produis espagnols car Yuka fonctionne très bien en Espagne. Sur le marché français, on se rend compte qu’il nous reste encore beaucoup de travail au vu du top 3 des produits scannés : le Coca-Cola, le Nutella et les biscuits Prince de Lu.

Avez-vous pu mesurer les répercussions de Yuka ?

Grâce à la mesure d’impact que nous avons effectuée en 2019 avec un cabinet privé auprès de 230 000 personnes et 21 industriels, nous avons découvert que les produits notés en rouge étaient reposés à 92% par les utilisateurs de l’application, qui se tournent vers des produits plus sains. Nous ne sommes pas du tout étonnés par ce chiffre car c’est l’un des plus gros objectifs de Yuka. Par contre, nous avons été agréablement surpris et fiers de constater à quel point Yuka avait modifié le comportement des consommateurs. Nous savons désormais que 86% de nos utilisateurs achètent davantage de produits bruts et que 57% cuisinent plus qu’avant.

Julie Chapon entourée de ses deux co-fondateurs / © Valentine de Brauw
Julie Chapon entourée des deux autres co-fondateurs de Yuka, Benoît et François Martin/ © Valentine de Brauw

L’application est gratuite et revendique son indépendance à 100%. Quelles sont vos sources de financement et comment maintenez-vous votre indépendance ?

Nous avons trois sources de revenus. La première, qui représente environ 70% de notre chiffre d’affaires, est une version premium de l’application. Toutes les fonctionnalités principales sont gratuites, mais la version premium, à 15€ par an, permet d’accéder à trois fonctionnalités supplémentaires : pouvoir scanner même sans réseau, chercher un produit dans la barre de recherche sans avoir à le scanner et mettre en place des alertes personnalisables (gluten, lactose, huile de palme…) qui n’impactent pas la note. Notre seconde source de revenus, environ 20% de notre chiffre d’affaires, est un calendrier des fruits et légumes de saison que l’on peut commander sur notre blog. Il est entièrement éco-responsable, imprimé en France sur du papier recyclé et avec des encres végétales. Toute la logistique et l’impression sont gérées par des entreprises françaises employant des personnes en réinsertion. Enfin, notre troisième source de revenus, qui équivaut à 10% de notre chiffre d’affaires, est un programme de nutrition que l’on commercialise également sur notre blog. Il a pour objectif de faire connaître en 10 semaines les bonnes habitudes en matière de nutrition comme privilégier un petit-déjeuner protéiné ou un dîner végétarien. Les conseils sont ceux d’un nutritionniste. S’agissant de notre indépendance, nous ne recevons aucune source de financement de la part des marques. Pour le vérifier, Libération avait sorti une enquête qui comparait des produits de marques différentes aux ingrédients similaires afin de voir si des écarts existaient entre les notes. Aucun différence n’avait été constatée. 

Yuka ne s’intéresse pour l’instant qu’à la qualité nutritionnelle des produits. Avez-vous pour ambition de prendre en compte l’aspect éthique et environnemental à terme ?

On aimerait bien, mais c’est extrêmement compliqué. Autant pour la santé, on se base sur des informations qui sont obligatoires sur l’emballage, autant sur les dimensions sociétales et environnementales, aucune information n’est partagée. Les marques ne précisent pas par exemple quelle est l’empreinte carbone de leurs produits. Il faudrait également être sûre de connaître la provenance de tous les ingrédients, les conditions dans lesquelles le produit a été fabriqué et le coût du transport. Néammoins, nous avons d’ores et déjà commencé de travailler sur l’impact environnemental mais je ne peux pas encore annoncer précisément quand nous mettrons en place cette nouvelle fonctionnalité.

Yuka c’est aussi un blog d’information…

Il nous permet de sensibiliser au bien manger et de toucher plus d’un million de lecteurs uniques par mois. L’impact des articles est énorme car quand j’écris un papier, les lobbys me tombent dessus. J’estime que ce blog permet de sensibiliser au-delà du service rendu par l’application, qui comme tout système de notation a ses limites. L’alimentation ne peut pas se limiter à une note dans une application. On en est bien conscients, c’est une aide, mais notre objectif est d’aller toujours plus loin.

Infos pratiques : Plus d’infos sur yuka.io

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