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« Il faut remettre des services publics et du droit commun dans les quartiers »

Les Tours nuages de la cité Pablo Picasso à Nanterre, d'où Nahel M., tué à bout portant le 27 juin par un policier /  © Jlsfly (Creative commons - Flickr)
Les tours Nuages de la cité Pablo-Picasso à Nanterre, dont Nahel M., tué à bout portant le 27 juin par un policier, était originaire / © Jlsfly (Creative commons – Flickr)

Depuis la mort du jeune Nahel M. à Nanterre le 27 juin, les opinions se multiplient dans les médias et sur les réseaux sociaux. Enlarge your Paris s'est entretenu avec la journaliste Nora Hamadi, productrice de « Sous les radars » sur France Culture et fine connaisseuse des enjeux liés aux quartiers populaires.

Dans son recensement des personnes tuées par balle par les forces de l’ordre, le magazine Basta note qu’on dénombrait 10 décès en 2010. Il y en a eu 39 en 2022. À quoi doit-on imputer cette augmentation ? À la loi de 2017 sur la sécurité publique assouplissant l’usage des armes à feu pour les forces de l’ordre ?

Nora Hamadi : Effectivement, on peut supposer que ce changement législatif pris dans un cadre post-attentats a permis cette hausse. Car on ne peut pas penser la fonction du maintien de l’ordre et de la protection des populations en silo. Ce que l’on permet pour lutter contre le terrorisme a forcément des conséquences sur la gestion de l’ordre au quotidien. C’est comme la vidéosurveillance utilisée dans le cadre des JO : comment imaginer qu’elle ne sera pas aussi utilisée dans le cadre de la gestion de la population en général ? Cette loi de 2017 a fait sauter des plafonds ; il est difficile ensuite de revenir en arrière. Par ailleurs, on assiste aussi depuis plusieurs années à un durcissement de la gestion de l’espace public. Prenons l’exemple du covid : on est partis de l’idée qu’il faudrait discipliner et même mater les quartiers populaires puisqu’on considère que, intrinsèquement, ses habitants seraient incapables de respecter les consignes. Il flotte dans l’air cette doctrine de l’ensauvagement. En fait, rien ne change dans la gestion policière de ces populations. On est clairement dans des représentations héritées de notre passé colonial et qu’il faut déconstruire.

En 2003, Nicolas Sarkozy alors ministre de l’Intérieur supprime la Police urbaine de proximité (PUP). Cette suppression n’a-t-elle pas aussi contribué à une dégradation des rapports entre police et habitants des quartiers populaires ?

En fait, il y a deux mouvements concordants. Effectivement, la fin de la PUP, mais aussi un long et lent délitement des associations et des services jeunesse dans les quartiers. Les institutions ont choisi de fermer les robinets. Or, à mon époque, dans les années 80-90, il y avait de vrais espaces d’éducation populaire. La colère de la jeunesse des quartiers est aussi une colère héritée. Celle d’avoir vu parents et grands-parents se faire humilier. Sans oublier ce petit bruit médiatique qui parle d’eux comme des « racailles », des « sauvages ». Ce discours de haine dont les jeunes font l’objet – ils me le disent dans les ateliers où je les rencontre – les blesse profondément.

Justement, quelle responsabilité pour les médias dans le traitement des révoltes comme celles qui traversent actuellement les quartiers depuis la mort de Nahel à Nanterre ?

Il y a un enjeu d’équilibre. Car cette parole des jeunes, qui l’entend ? Ils ont désormais leurs propres médias, comme le Bondy Blog ou Booska-P. Car la défiance est telle qu’ils ne comptent plus sur les médias mainstream pour faire porter leur voix. Cet équilibre, c’est aussi ne pas mettre dans les mêmes espaces les pillages et la colère. La colère s’exprime par les moyens qu’elle a de s’exprimer. Ces jeunes sont éloignés des espaces de parole mais aussi de pouvoir. Il y a une forme de désespoir à détruire ce qui est en bas de chez soi. Parce que leur verbe et leurs paroles sont déniés. C’est dur de verbaliser ces moments d’humiliation. Et puis, que se serait-il passé s’ils avaient été polis ? On le voit bien : qu’il s’agisse des Gilets jaunes, du mouvement pour le climat ou des combats féministes, le fait que la violence paie a été légitimé. C’est à partir du moment où les Gilets jaunes ont usé de la violence, par exemple sur les Champs-Élysées, qu’Emmanuel Macron a sorti 17 milliards d’euros.

Pourquoi la classe politique n’arrive-t-elle pas à prendre en charge la question des quartiers ?

Il y a quasiment 40 ans se tenait la marche contre le racisme. Effectivement, on peut se demander ce qui s’est passé depuis… Il faut arrêter de parler de désert politique dans les banlieues. Le problème, c’est que le personnel politique parle à ses semblables : des CSP + urbains, blancs. Il y a un vrai problème de représentativité. Cela fait partie de l’histoire structurelle de la France : pour qu’il y ait une noblesse, il faut qu’il y ait un tiers état. Or, on voit bien qu’avec les Gilets jaunes, le combat des retraites et les banlieues aujourd’hui, les périphéries du pouvoir se réveillent.

D’après vous, peut-on encore restaurer le lien entre la police et les habitants des quartiers populaires, et plus particulièrement les jeunes ?

Nora Hamadi : La police est comme toutes les autres institutions, que ce soit la justice ou l’hôpital : elle crée de la violence pour ceux qui y travaillent et pour ceux qu’elle traite. Il y a un problème de formation des policiers. Mais il y a aussi un enjeu politique : à quoi sert la police ? À protéger l’État ou à protéger les gens ? Il y a quand même débat sur cette question du maintien de l’ordre « à la française ». À un moment, il faut remettre de la PUP, mais aussi des adultes auprès des jeunes. Il faut se demander comment rétablir l’écoute et le dialogue dans tout cela. En fait, c’est tout le contrat social qui est à revoir. Il faut remettre des services publics et du droit commun dans les quartiers. Pas juste des policiers. Il faut des hôpitaux, des médecins. Bref, donner les moyens aux habitants de vivre dignement.

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