Du 19ᵉ arrondissement aux scènes des JO, François Gautret a vu le hip-hop naître, grandir et s’imposer comme une culture à part entière. Breaker et commissaire d’expos majeures, il défend aujourd’hui une idée simple : et si, comme à New York, le hip-hop avait enfin son musée ? Un lieu vivant, interactif, où l’on transmet, archive et crée sans figer. Rencontre avec un passeur qui veut donner à cette culture une maison à son image.

Pourquoi vous être intéressé de prime abord à la culture hip-hop ?
François Gautret : J’ai grandi dans le 19ᵉ arrondissement, à Stalingrad, là où le hip-hop a vraiment explosé à Paris. Le hip-hop était partout : dans la rue, dans les halls, dans les battles improvisés… J’ai commencé la danse en tant que breaker à la MJC de Saint-Denis (93) appelée aujourd’hui la Ligne 13, où on était accompagnés par les pionniers de cet art. En 1996, parallèlement à mes études, j’ai fondé RStyle, devenue une structure pro en 1999. Mon but était de promouvoir la danse hip-hop et ses disciplines cousines dans le graff, le BMX, le DJing… Très vite, je me suis rendu compte qu’il n’y avait ni lieux ni médias pour en parler. Alors j’ai pris une caméra et j’ai commencé à filmer les spectacles, les répétitions, les battles pour avoir mes propres images. Sans le savoir, j’étais en train de constituer une archive précieuse et ces vidéos sont devenues des ressources qui ont alimenté des expositions où j’ai été commissaire, comme Hip-Hop 360 à la Philharmonie ou Spot 24 pendant les Jeux olympiques.
Pourquoi a-t-on beaucoup parlé du hip-hop aux Jeux olympiques ?
Le breaking, qui est un type de danse hip-hop, est devenu une discipline officielle aux JO de Paris. On m’a contacté pour être commissaire de l’espace Spot 24, au pied de la tour Eiffel. L’idée était de relier la culture urbaine à des disciplines comme le skate, le BMX, le basket 3×3, l’escalade ou le surf. On y a organisé des battles, des performances et une partie de la programmation du parc urbain de la Concorde. C’était une manière de faire dialoguer la culture et le sport dans l’esprit de l’Olympiade culturelle telle que l’avait pensée Pierre de Coubertin et la créativité du hip-hop.

Pourquoi vouloir faire un musée du Hip-hop aujourd’hui ? N’est-ce pas contradictoire avec le principe d’un art de rue ?
Pas du tout. Le but n’est pas d’enfermer le hip-hop dans une vitrine, mais de réinventer les codes du musée. Ce qu’on veut créer, c’est un lieu vivant, interactif, où l’on archive sans figer. Les JO ont permis de médiatiser cet art. Désormais, je veux en transmettre l’histoire, les figures, les pionniers, pour inscrire la création d’aujourd’hui dans un héritage. Les jeunes générations connaissent les stars actuelles, mais pas toujours les origines. Or, comme pour le classique ou le jazz, le fait de connaître les origines d’une culture permet d’en connaître les valeurs et de l’inscrire dans le temps. Avoir un musée permettrait de raconter une mémoire commune et de donner accès à toutes nos archives dans un dispositif interactif. Ce qui a été fait à New York là-dessus est fascinant. Leur musée est en collaboration avec Microsoft, ce qui leur permet de créer des expériences immersives avec l’IA. L’idée est d’associer nouvelles technologies, art et histoire, de créer un musée en mouvement, comme l’est le hip-hop.
Comment bien parler des arts vivants aujourd’hui ?
En gardant la parole des artistes vivante. Il faut archiver les témoignages, filmer les chorégraphes, inviter à des performances. Le musée doit être un lieu de rencontre, pas un mausolée. Les protagonistes doivent y être présents, on doit en faire un lieu de résidence et les jeunes doivent pouvoir s’y exprimer. On le voit : la Fondation Royaumont s’ouvre au street art, des institutions comme l’École normale supérieure s’y intéressent, on a des maires comme celui du 13e et celui de Saint Ouen (93) qui aident à diffuser cette culture : le hip-hop infuse partout. C’est une culture non codifiée, libre, qui permet à chacun de trouver sa place, qu’on soit danseur, rappeur, graffeur, ou même athlète. L’histoire de B-boy Junior, devenu champion du monde de break malgré son handicap dû à la polio, résume bien cet esprit : le hip-hop, c’est une échappatoire face aux codes.
Quels sont les lieux et les artistes à suivre pour enrichir (ou créér) sa culture hip-hop ?
À Paris, on a plusieurs lieux comme la Place, à Châtelet, un centre culturel hip-hop qui est surtout un lieu de création où se croisent des résidences, des répétitions et des spectacles. À la Villette, un nouveau lieu a ouvert appelé Freestyle Villette est un lieu de création en danse qui permet de diriger des projets qui seront ensuite joués à la Villette. Il a suscité pas mal de débats car il est dirigé par Bianca Li qui n’est pas une chorégraphe hip-hop, même si certains apprécient la fusion des expressions artistiques. Le 104 reste aussi un espace important avec une belle programmation de danse à ce sujet, mais aussi en étant un espace d’expression libre, qui permet à de nombreux breakers de s’entraîner. C’est vraiment la culture hip-hop qui a amené ces répétitions en liberté dans l’espace, qui font partie maintenant de l’ADN du lieu.
Et puis il y a les événements, comme Juste Debout qui fête ses 25 ans et qui réunit une battle de danse hip-hop sans passage au sol, ainsi que deux écoles de danse dans le 20e et le 17e. On retrouve aussi tous les ans la battle Fusion Concept au Cirque d’Hiver (11e), des battles organisés par de grandes marques comme Nike, ainsi que l’Urban Films Festival que j’ai cofondé en 2005 avec Hayette Fellah et qui présente à chaque rentrée des documentaires et des films sur les cultures urbaines. Enfin, on retrouve une jolie programmation dans des lieux émergents en banlieue, comme à la Cathédrale du Rail, un lieu consacré à l’expression artistique héritière de l’Aérosol, ou le Point Fort d’Aubervilliers qui programme souvent des concerts et des battles hip-hop.
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13 novembre 2025 - Paris