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Un roman raconte les folles nuits des friches du Grand Paris

Soirée à la Station - Gare des mines en septembre dernier dans le 18e à Paris, ancienne gare à charbon devenue friche / © Gaëlle Matata
Soirée à la Station – Gare des mines en septembre dernier dans le 18e à Paris, ancienne gare à charbon devenue friche / © Gaëlle Matata

Elles font désormais partie du paysage de la nuit grand-parisienne. Les friches, installées le plus souvent sur d'anciens sites industriels, sont au coeur du premier roman du journaliste Arnaud Idelon qui tire de ses soirées un récit quasi-documentaire alors que tous les lieux de fête demeurent fermés. Il se confie à Enlarge your Paris.

Vous venez de sortir votre premier roman, Nuits d’Achille, qui narre les soirées dans les friches du Grand Paris. Comment est née l’envie d’écrire sur le sujet ?

Arnaud Idelon : Tout est parti d’un confinement avant l’heure, quand on ne connaissait pas encore ce mot, avant l’épidémie de Covid-19. J’avais fait la fête durant trois jours et j’ai enchaîné le jour suivant par du rugby. Conséquence : rupture du tendon d’Achille, un an d’immobilisation à la clé ! Du coup, je me suis retrouvé coupé du monde de la nuit, pourtant très important pour moi. Mais le fait de ne plus être dans les transports, d’avoir moins de travail et aussi, il faut le dire, moins de gueules de bois, m’a donné envie de me reconnecter différemment avec la fête. C’est ainsi qu’est née l’histoire d’Achille, un fêtard enfermé dans une chambre à Belleville suite à un accident et qui voient défiler ses amis qui viennent lui raconter leurs nuits dont il va tirer un récit fantasmé.

Quel est pour vous le sens de la fête ?

La fête va dans le sens inverse de la productivité. On y dépense de l’argent, de l’énergie, des « points de vie » pour se fatiguer et non pour investir. La danse, c’est voler de l’énergie vitale au capitalisme. Mais la fête c’est aussi l’expérience de l’altérité. On part en soirée avec ses potes, on les perd, on rencontre d’autres gens, on finit parfois dans des appartements où l’on ne connaît personne et avec qui on improvise des bouts de nuit. 

En quoi Nuits d’Achille constitue aussi une métaphore de l’épidémie ?

J’ai terminé la première version de ce roman en mars 2019, puis une seconde en septembre de la même année. Au moment d’envoyer le manuscrit aux éditeurs début 2020, j’ai eu très peur au départ. Je me suis dit : « J’ai écrit un journal de confinement, tout le monde va faire ça ! » A la différence que dans Nuits d’Achille, les fêtes continuent et Achille les vit par procuration à travers le récit que lui en font ses amis. Ça a été un chemin semé d’embûches avec les éditeurs et j’ai un peu perdu patience. Ce qui m’a décidé à publier mon roman en l’auto-éditant, c’est qu’en un an il a pris une dimension quasi documentaire.

Quel rôle ont joué les friches comme le 6b à Saint-Denis ou la Station – Gare des mines dans le 18e dans le renouvellement de la vie nocturne grand-parisienne ?

Dans les friches, on est souvent en plein air. La programmation est gérée par des associations culturelles plutôt que par des sociétés commerciales. On y retrouve des esthétiques de niche : la new wave, le post punk… Ce sont aussi des lieux d’une grande liberté. Une femme peut avoir le torse nu sans qu’on la dévisage, sans qu’on passe outre son consentement. Il y a une plus grande souplesse à l’égard des corps, les mœurs, les drogues. Certains friches comme le Péripate ou la Gare des mines à Paris sont aussi devenues des espaces safe pour des communautés issues de minorités et plus spécifiquement les communautés LGBTQ+.

A quoi ressemblera le monde de la nuit post-Covid selon vous ?

En 2020, j’ai accompagné Technopol, le syndicat des musiques électro, sur leur livre blanc Danser demain. L’objectif était d’imaginer des futurs plausibles, souhaitables après l’épidémie de Covid et d’utiliser ce temps retrouvé pour se poser des questions sur l’impact écologique de la fête, sur son inclusivité… Des pistes de réflexions en sont sorties mais on navigue vers un horizon incertain. Je note qu’à Berlin, les clubs sont vraiment intégrés à la vie culturelle. Ils ont été très soutenus, y compris financièrement, durant les confinements de 2020, notamment via le programme United We Stream. À Paris, les clubs sont moins inscrits dans la vie quotidienne. Cela reste une expérience de consommation. A l’inverse, certaines friches ont montré leur caractère communautaire en multipliant les initiatives solidaires : accueillir des SDF, apporter de l’aide alimentaire… Elles seront au rendez-vous au moment de la reprise, surtout celles en extérieur, car les lieux intérieurs rouvriront en dernier.

La Ville de Paris a répertorié 60 lieux en plein air pour organiser des concerts et des soirées cet été. Qu’en pensez-vous ?

C’est une solution d’urgence qui va permettre de refaire la fête, de faire jouer des artistes, de mettre en avant des clubs et des collectifs. On en a bien besoin ! Mais ça pose plein de questions. Est-ce qu’il y aura la même liberté ? Ces espaces deviendront-ils mainstream ? Comment encourager ce qui appartient aux marges sans normaliser ? Jusqu’où s’adapte-t-on pour faire la fête en période de crise sanitaire ? Nous verrons quelles visions de la fête peuvent être défendues.

Infos pratiques : Nuits d’Achille (Ed.Librinova) d’Arnaud Idelon. 15,90€ (version papier), 2,99€ (version numérique). En commande sur librinova.com

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