
Bien qu'elle abrite déjà un opéra ainsi que l'une des salles de concert les plus en vue du Grand Paris avec Paul B, Massy n'est pas encore perçue comme une place forte culturelle au-delà de ses frontières. Ce que l'arrivée conjuguée des réserves du Centre Pompidou Francilien en 2026 et du métro du Grand Paris Express en 2028 devrait changer, comme l'entrevoit le maire de la Ville, Nicolas Samsoen.
En partenariat avec la Société des Grands Projets
Comment Massy est-elle parvenue à se doter d’un opéra ?
Nicolas Samsoen : Il faut rendre hommage à Claude Germon, maire de Massy de 1974 à 1995. Pour cet opéra, il voit loin et veut quasiment faire Bastille en banlieue. Sur le moment, l’accueil est mitigé. Lors de l’inauguration en 1993, Le Monde parle de la ville comme d’une « banlieue sans âme ». Il faut rappeler qu’à l’époque les intercommunalités n’existent pas. Aussi la ville finance-t-elle tout toute seule. Deux ans après l’inauguration, une nouvelle équipe, à laquelle j’appartiens, prend les manettes de la municipalité sous la houlette de Vincent Delahaye. Et ce dernier a eu l’humilité de continuer le projet de Claude Germon, alors qu’il aurait été simple d’en faire une salle de tournée. Au lieu de cela, nous avons poursuivi avec une programmation exigeante. La banlieue est une terre d’opportunité et c’est aussi la ligne de l’opéra : être une pépinière de talents.
Comment un tel équipement a-t-il transformé le rapport des habitants à leur territoire ?
Cela a pris du temps. En général, l’opéra touche davantage un public âgé que la totalité de la population. Pour autant, tous les gamins de Massy sont entrés au moins une fois dans le bâtiment. Mais oui, nous nous situons sur une ligne de crête entre ouverture et recherche d’excellence. Bien sûr, ce n’est pas simple. Mais nous assumons le fait que l’opéra soit situé au milieu d’un quartier populaire. C’est d’ailleurs une fierté pour les habitants. Et nous allons encore davantage ouvrir le lieu sur la cité. À partir de septembre, la porosité entre l’opéra et la médiathèque mitoyenne sera complète.
Dans ce contexte, que représente l’arrivée du Centre Pompidou Francilien pour la ville ?
C’est évidemment une chance extraordinaire qui doit beaucoup au partenariat et, en particulier, à Valérie Pécresse, François Durovray et, à l’époque, Michel Bournat pour l’agglomération. A mes yeux, c’est tout simplement le plus bel équipement culturel de la décennie. C’est un lieu de conservation et de réserves, mais il sera aussi ouvert au public. Il permettra de découvrir l’art contemporain de manière moins solennelle que dans les grands musées. Lesquels sont des lieux imposants qui peuvent faire un peu peur. À ce sujet, j’ai un exemple révélateur : j’ai proposé à mes cadres et mes élus de se rendre au Centre Pompidou à Paris. La moitié n’y était jamais allée. L’offre a également été faite aux agents de la Ville. Certains ont refusé arguant que ce n’était pas pour eux. Il va donc falloir travailler, faire de la médiation et envisager cet endroit avec un certain état d’esprit : celui d’accueillir tout le monde. Il me semble que la dimension patrimoniale et l’ouverture au public sont indissociables. C’est ce qui va permettre de produire des expositions à moindre coût puisqu’il suffira de sortir une toile des réserves comme on sortirait une bouteille de sa cave. De plus, être lié physiquement aux réserves permet de découvrir les coulisses de l’art.
La culture est-elle le bon levier pour changer l’image de la banlieue ?
Disons qu’elle est l’un des leviers. J’aime bien parler de « banlieue pride », de fierté banlieusarde. Et, à Massy, entre le futur Centre Pompidou, l’Opéra, le conservatoire, la médiathèque, le cinéma, la salle de concert Paul B, je pense que nous avons le plus bel ensemble culturel francilien hors Paris. Cette fierté est d’autant plus importante que le drame de la banlieue est d’être perçue comme un ensemble flou, indifférencié. Alors que des lieux singuliers y émergent. Il nous faut des points d’accroche en banlieue, des centralités qui changent le regard qu’on porte sur elle.
Mais comment développer une vraie coopération culturelle métropolitaine ?
Il y a déjà des choses qui existent. Si je prends l’exemple de l’opéra de Massy, des coopérations ont cours avec l’abbaye de Royaumont (Val-d’Oise) ainsi que d’autres lieux en banlieue. Je pense qu’en fait il n’est pas forcément nécessaire d’institutionnaliser ces partenariats. Pour moi, les bonnes coopérations sont celles qui sont librement consenties. Car, si on veut que la banlieue apporte sa force au dynamisme métropolitain, il faut lui laisser de la liberté.
Comment le Grand Paris Express peut-il participer à ce changement de regard sur la banlieue ?
De manière double. D’abord de façon pratique. Dans deux ans et demi, une partie de la ligne 18 sera ouverte (la mise en service du tronçon entre Massy-Palaiseau et Christ de Saclay est prévue au 4e trimestre 2026, Ndlr). On accédera plus facilement à l’opéra de Massy. Et le Grand Paris Express va aussi révéler le territoire. Globalement, les gens connaissent le trajet de leur lieu de vie à Paris. Mais pour le reste ? À titre personnel, je ne connais pas le Val-de-Marne pourtant tout proche. Les Massicois ne connaissent pas le MAC VAL à Vitry, pas plus que les Vitriots ne sont familiers de l’Opéra de Massy. Pour l’ouverture des lignes, je rêve de guides touristiques qui nous révèlent les richesses présentes sur ces trajets. Le Grand Paris Express va donner voix au chapitre à la banlieue dans le concert métropolitain ! Mais, pour cela, une chose me semble claire : il faudrait que l’État mette moins de moyens à Paris et plus en banlieue. A ce propos, un exemple me semble éclairant : l’Opéra de Massy bénéficie seulement de 200 000 euros de la part de l’État, contre 100 millions d’euros pour l’Opéra de Paris.. Est-il raisonnable qu’on donne 500 fois plus à celui de Paris qu’à celui de Massy ? Les acteurs de la banlieue doivent interpeller sur ce rééquilibrage. Et le Grand Paris Express peut être une bonne occasion de le faire. Il faudrait un grand plan du ministère de la Culture qui établisse comment, en dix ans, multiplier par cinq les dépenses liées à la culture en banlieue. L’État doit tirer les conséquences du Grand Paris Express pour que de nouveaux lieux culturels majeurs émergent dans le Grand Paris. Le prochain grand projet culturel d’un président de la République doit se situer en banlieue.
Vous avez publié un essai, D’excellents Français (Éd. Grasset). De quoi parle-t-il ?
J’ai commencé en politique avec Bernard Stasi. Quarante ans après son livre L’immigration, une chance pour la France, je me suis demandé comment faire de l’immigration une chance. C’est le « comment » qui m’intéresse. Comment faire pour que l’intégration fonctionne ? À l’échelle de Massy, j’ai vu comment l’immigration a changé la ville. Il faut l’envisager comme un fait et pas comme un problème. Or, en termes d’aménagement de l’Île-de-France, ce fait sociologique majeur demeure impensé. Pour moi, il convient d’abord de dire les choses : oui, l’Île-de-France se transforme. Ensuite, il faut écouter les ressentis des uns et des autres. Se mettre dans la peau des « Gaulois » comme des enfants de la diversité. Ne pas se limiter à un sentiment de domination ou de submersion. Comprendre ce que cela signifie de voir son pays changer mais aussi ce que cela implique d’arriver dans un lieu loin de chez soi où on n’est pas forcément bien accueilli. Enfin, je pense qu’il faut agir sur des leviers majeurs que sont l’école, l’emploi, la sécurité et la laïcité. Je termine avec une question centrale, qui est pour moi le drame absolu : le jacobinisme. À mes yeux, c’est à un niveau local qu’on fabrique du commun. Or on a affaibli et étouffé les communes. À Massy, nous avons encore les outils qui font vivre la mayonnaise du mélange : les colonies de vacances, les centres de loisirs, l’école des parents… Mais je crois, de façon plus globale, qu’il est fondamental de redonner de l’espoir aux communes pour réussir l’intégration.
Plus d’infos sur le Centre Pompidou Francilien sur centrepompidou.fr
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15 juillet 2021