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« Les Saveurs du béton » raconte la banlieue en BD

Dans Les saveurs du béton, la dessinatrice Kei Lam raconte son enfance à Bagnolet / © Kei Lam
Dans Les Saveurs du béton, l’autrice et illustratrice Kei Lam raconte son adolescence à Bagnolet / © Kei Lam

Parce qu'elle éprouvait un certain ras-le-bol à voir la banlieue caricaturée, l'autrice et illustratrice Kei Lam a choisi de partager sa vision des choses dans « Les Saveurs du béton », où elle raconte son adolescence à Bagnolet. Un album lauréat du prix de la BD du musée de l'Histoire de l'immigration.

Le sentiment de ne pas être assez représentée dans la fiction et l’insatisfaction de voir souvent la banlieue portraiturée de façon stéréotypée « avec de la violence, de la délinquance » ; tels sont les deux moteurs qui ont poussé l’autrice et illustratrice Kei Lam à se lancer dans l’écriture de sa nouvelle bande dessinée, Les Saveurs du béton. Elle y raconte une adolescence passée à l’ombre des tours de la résidence du parc de la Noue, à Bagnolet (Seine-Saint-Denis). Pour qui ne connaîtrait pas le quartier, Kei Lam pose le décor : « Ce sont des grands ensembles des années 70 posés sur une dalle de béton, en haut d’une colline. Sur ce site qui surplombe Paris, on se trouve à dix minutes de la station de métro Gallieni. On pourrait le comparer aux Olympiades, dans le 13e arrondissement, pour la densité de logements. Ce n’est pas pour rien qu’on l’appelle « la forteresse ». Même si la dalle va être démolie et des escaliers construits pour désenclaver un peu l’endroit… »

Née à Hong Kong, Kei Lam arrive en France à l’âge de six ans. Après quelques années à Paris, ses parents achètent en 1995 un appartement dans la fameuse résidence du parc de la Noue. « C’était plein de promesses, se souvient Kei Lam. On évoquait un prolongement de la ligne de métro. On se disait : « demain, tout va changer ». Sauf qu’il a fallu 25 ans avant que quelque chose se passe. 25 ans, c’est une vie ! » Dans son récit, la jeune femme dépeint le destin de nombreuses copropriétés privées. Des propriétaires fragiles à qui banques et agents immobiliers  peu scrupuleux n’ont pas parlé du montant des charges. « Les victimes, ce sont des gens comme mes parents qui ne savent pas et qui, à un moment, ne peuvent plus payer… » Lesdites charges s’accumulent et la copropriété se dégrade. « Les boîtes aux lettres sont défoncées, il n’y a plus d’ampoules aux lampadaires. À Bagnolet, le prix au mètre carré a flambé partout sauf à la Noue », raconte Kei Lam dont les parents habitent toujours le quartier. On lui rappelle ce passage de la bande dessinée où, alors qu’elle les enjoint de déménager, ceux-ci refusent de partir. « Mais mes parents ont-ils le choix de penser autrement ? Est-ce une vraie décision ou de la résilience ? »

Un voisin prix Nobel de littérature

Sans doute les sentiments sont-ils mêlés. Car, si elle ne jette pas le voile sur les problèmes qui minent la résidence, Kei Lam décrit aussi un environnement attachant. Elle raconte la rencontre avec la culture R’n’B, le hip-hop, la diversité de ses camarades. Elle évoque aussi un prestigieux voisin : l’écrivain Gao Xingjian, prix Nobel de littérature en 2000. « La banlieue, c’est comme la relation avec ses parents finalement, résume-t-elle. On s’adore ou on se déteste selon les moments. Ce n’est pas du noir et blanc, c’est tout en nuances. Il y a aussi de la beauté dans le béton, dans ces paysages. En banlieue, il y a des espaces de liberté qu’on ne peut pas avoir à Paris. Cela offre un sacré terrain de jeux pour une ado ! » Avec aussi, en filigrane, la question de la filiation. Les Saveurs du béton propose un magnifique portrait de mère qui se bat pour joindre les deux bouts, court de la préfecture à l’école et cherche à donner toutes les chances à sa fille. « J’ai fait une rencontre récemment à Stains avec des femmes qui me disaient, les larmes aux yeux : « cette maman, c’est moi ! » Or, les femmes comme ma mère, il n’y a pas beaucoup d’espaces pour en parler ; ne serait-ce que parce qu’il n’y a pas encore assez de place pour les femmes en littérature. »

Dans Les Saveurs du béton, Kei Lam analyse aussi ce que signifie être enfant d’immigrés. Ce n’est sans doute pas un hasard si elle choisit de devenir ingénieur urbaniste. « Enfant, quand tu vois que l’endroit où tu habites dysfonctionne, tu te dis : « pour résoudre tout ça, il suffirait de faire ça et ça… » Mais, une fois dans le métier, j’ai pu réaliser qu’il fallait aussi prendre en compte les contraintes budgétaires, politiques… Le rôle de l’artiste m’a semblé plus intéressant. »

Il lui aura fallu un peu de temps pour sauter le pas. « C’est dur de faire la part des choses entre ce qu’on fait pour soi et ce qu’on fait pour ses parents. Or, quand j’ai eu mon métier, mon CDI, que j’ai voyagé, je me suis dit : « tout ça pour ça ? » ». À 30 ans, elle prend donc un an pour étudier le dessin à l’école de Condé. Suivent une première BD, Banana Girl, puis Les Saveurs du béton, lauréat du prix de la BD du musée de l’Histoire de l’immigration. Mais, pour elle, la question de transfuge de classe demeure : « Ce n’est pas évident de savoir qu’on a une vie confortable alors que ses parents sont dans la précarité. Comment ne pas culpabiliser ? Ma solution, c’est de parler de ces gens qui, comme mes parents, sont invisibilisés. Ainsi, je sais pourquoi je fais ça. »

Infos pratiques : Les Saveurs du béton, de Kei Lam. Éd. Steinkis. 20 €. Disponible en librairie ou sur parislibrairies.fr, librest.com, fnac.com et amazon.fr

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