
Planqué derrière une vieille grille à Montreuil, Là-Bas est une table qui refuse les codes du gastro guindé. Une bonne raison pour ne pas la snober selon la journaliste d'Enlarge your Paris Joséphine Lebard.
« On avait envie de quelque chose à mi-chemin entre le resto, la maison d’hôtes et le gastro. Un lieu où on casse la distance entre le client et nous. » Si Anthony Chouchan avait prononcé cette phrase avant que nous ayons franchi les portes de Là-bas, on aurait sans doute eu du mal à réprimer un petit sourire ironique. « Mais bien sûr ! », aurait-on pensé in petto, tant la feuille de route nous aurait semblé raide et la formule digne d’un communiqué de presse.
Mais voilà, il l’a prononcée après qu’on a testé sa table. Et, disons-le : celui à qui on doit l’excellent Des Terres dans le 10e a visiblement réussi son pari. Pour Là-bas, il a franchi le périph et s’est installé dans une petite rue à la limite entre Vincennes (Val-de-Marne) et Montreuil (Seine-Saint-Denis). Une fois passé une grille qui en a visiblement vu d’autres, nous voilà dans une petite cour ombragée où les chaises en fer forgé blanc attendent le chaland. La salle hésite entre la maison de famille – avec portrait de Mamie jeune trônant au-dessus de cheminée – et le nid de copains – tommettes au sol et piano qui attend d’être taquiné. On repasse une autre porte : un vaste patio aux murs ocre se profile, ombragé par la ramure d’un figuier.
« On voudrait que les clients prennent le temps »
Pour nous, ce sera la cour à l’avant de la bâtisse. Le service est avenant, détendu sans tomber dans le travers de la connivence forcée. Le midi, la formule entrée/plat/dessert s’affiche à 30 €. « Si on ne veut pas d’entrée ou de dessert, la formule passe à 25 €, explique Anthony Chouchan. Mais bon, on aimerait que ce ne soit pas l’endroit où on déjeune en une heure. On voudrait que les clients prennent le temps… » Le soir, le menu à 70 € se compose de plein d’assiettes presque sur mesure : « On demande aux gens de quoi ils ont envie. Végétal ? Viande ? Poisson ? On s’adapte. L’idée est de goûter plein de petites assiettes et de lâcher prise. »
Retour au déjeuner du midi. Le chef Cody Lean (passé par chez Jean-François Piège et David Toutain) ouvre les hostilités avec, au choix, un velouté froid de petits pois au chèvre frais et huile de sauge ou une salade de navets, choux-raves, oranges et pistaches avec sa vinaigrette d’orange. Avant, en amuse-bouche, on aura eu droit à une huître au tamarin. Délicieux. Ensuite, c’est le printemps qui s’éclate dans l’assiette. Croquant de la pistache, acidité sucrée de l’orange et légère astringence du navet : ça fonctionne ! On poursuit avec un lieu jaune accompagné de fenouil rôti, de kasha de sarrasin et d’une sauce à l’oseille. Personnellement, j’aurais bien aimé que l’oseille fasse un peu plus entendre sa voix – les autres convives pour leur part n’ont rien trouvé à y redire. Quant au poisson et au kasha à la cuisson réputée délicate, ils sont parfaits et laissent le fenouil les chahuter de sa pointe anisée.

Une table enthousiasmante
Pendant que l’on savoure nos assiettes, on voit Thierry Breton (un homonyme, pas l’ancien commissaire européen) apporter lui-même son pain au restaurant sur son vélo aménagé. Et voici maintenant les desserts : une rhubarbe pochée avec sa ricotta sucrée et riz noir soufflé, ainsi qu’un gâteau aux fraises avec son coulis et sa chantilly à la vanille. Il n’en est pas resté une miette, ni de l’un ni de l’autre. Le déjeuner se conclut sur une infusion : de la nepita [plante proche de la marjolaine ou de la menthe sauvage, Ndlr] récoltée par Anthony Chouchan lui-même dans sa Corse natale. « Mais ne le dites pas trop, il ne m’en reste plus beaucoup ! » Pas d’inquiétude : il y a plein d’autres propositions et surtout pas de tristes sachets exhumés d’une boîte poussiéreuse où visiblement personne n’a pioché depuis longtemps.
On va devoir quitter les lieux à regret, non sans noter que Là-bas est l’une des tables les plus enthousiasmantes que l’on ait testées depuis le début de cette année. Tant pour les délices de la cuisine que de l’accueil. On regarde sa montre : il est plus de 15 heures. Que disait Anthony Chouchan, déjà ? Ah oui : « On voudrait que les clients prennent leur temps. » De ce point de vue là aussi, la mission est remplie.
Infos pratiques : Là-bas, 1, rue du Sergent-Godefroy, Montreuil (93). Ouvert du mercredi au samedi de midi à 14 h et de 18 h à minuit. Menu du midi à 30 €, menu du soir à 70 €. Accès : métro Croix de Chavaux (ligne 9) ou gare de Vincennes (RER A). Plus d’infos sur Instagram
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4 juin 2025 - Montreuil