Alors qu'au Japon, pays où l'on pratique le « bain de forêt » depuis une cinquantaine d'années, il existe des prescriptions de fréquentation de nature, l'ethnobotaniste Ramona Strachinaru plaide pour que l'on s'inspire de la démarche en France. Il est en outre déjà possible aux soignants et aux travailleurs sociaux des Yvelines d’offrir une « prescription muséale » dans le cadre d’un accompagnement thérapeutique ou social.

Depuis la crise du covid, on entend dire que la forêt fait du bien. Est-ce une pensée magique ou est-ce prouvé scientifiquement ?
Ramona Strachinaru : Je pense que cette idée existe depuis toujours, mais le covid a peut-être renforcé cette perception. Aller en forêt est simple, surtout en Île-de-France où elles sont nombreuses à être accessibles en transports en commun. Scientifiquement, il est prouvé depuis quelques années que la forêt améliore le bien-être, la santé physique et mentale, et permet même une « détox numérique ». En forêt, on peut mettre son portable en mode silencieux, activer ses sens et se reconnecter de manière sensorielle.
Quelle est la « posologie » de forêt pour les urbains ? Combien de temps doivent-ils y passer ?
Il suffit d’aller en forêt et de pratiquer des activités simples comme la marche lente. Les Japonais pratiquent le shinrin-yoku (bains de forêt) depuis environ 50 ans. Georges Plaisance [Ingénieur agronome, docteur en écologie et ingénieur des Eaux et Forêts, auteur de nombreux ouvrages sur la forêt, le sol et les paysages, NDLR] a parlé de sylvothérapie dans les années 80, formalisant la thérapie par la forêt.
Est-ce une pratique inspirée par la science ?
Absolument. Les médecins japonais ont constaté que la vie urbaine causait de nombreux problèmes de santé. Ils ont recommandé les bains de forêt pour réduire la tension et le cholestérol, et améliorer le métabolisme. Au Japon, il y a 64 forêts labellisées avec des parcours adaptés et un accompagnement médical. Les médecins peuvent prescrire des bains de forêt, et des guides shinrin-yoku aident les patients.
Pourquoi en Europe la forêt n’est-elle pas vue comme une source de soin ou de prévention ?
En Europe, la relation avec la forêt est complexe et a changé avec l’urbanisation. Nous avons colonisé et exploité les forêts pour l’agriculture et la construction ou l’aménagement, notamment routier. Aujourd’hui, il ne reste que quelques forêts primaires en Europe, essentiellement en Pologne et en Biélorussie. En France, toutes les forêts sont depuis longtemps maîtrisées et gérées par les humains, même si à ce stade il faut différencier la gestion des forêts publiques (environ 20 % du domaine forestier national) et celle des forêts privées dont certaines, très petites, ne sont ni exploitées ni entretenues. On peut aussi remonter aux contes de fées et aux légendes urbaines qui ont entretenu l’idée que la forêt était dangereuse. Cela fonctionne d’autant plus que les urbains ont peu de contact avec la forêt et qu’ils ne la connaissent pas. Bien souvent, en zone périurbaine, elle est une sorte d’espace vert XXL où l’on vient souvent en voiture pour pratiquer du sport, se détendre, sortir les chiens. C’est un décor pour notre vie quotidienne de citadins !
Aujourd’hui, la majorité des gens vivent en effet en ville et n’ont plus de parents ou de grands-parents originaires du monde rural. D’une certaine manière, le lien naturel avec les espaces non urbanisés est rompu, ou à recréer…
Exactement. Notre rapport à la nature a changé. Jusqu’aux arbres en ville qui sont vus comme du mobilier urbain, et non comme du vivant. Bien souvent, les gens se demandent si la forêt est sale ou dangereuse. Il faut réapprendre à prendre soin de la forêt pour prendre soin de soi. Les humains ne peuvent pas vivre sans le monde végétal, c’est scientifiquement prouvé (production d’oxygène, etc.)
Au Japon, que vous évoquez, on peut donner des prescriptions de fréquentation de nature. Est-ce que l’on peut imaginer qu’un jour soient délivrées en France des ordonnances de balade en forêt ?
En effet, dans certains pays comme le Japon, on peut établir des prescriptions médicales pour fréquenter les espaces naturels. Dans d’autres pays plus proches de notre culture comme le Québec, les médecins peuvent délivrer des ordonnances pour aller au musée, là aussi pour recréer du lien, apaiser l’anxiété et la dépression. Des effets bénéfiques sont constatés dans les cas de pathologies liées au stress, aux troubles de la personnalité et chez les personnes devant faire face à des douleurs physiques ou morales. En fin d’année dernière, le département des Yvelines a décidé de s’en inspirer et de créer une prescription de fréquentation des musées départementaux via le Centre départemental de médecine qui regroupe des soignants et des travailleurs sociaux ayant le pouvoir de rédiger ces ordonnances [plus de 700 prescriptions muséales ont ainsi été établies, NDLR]. On peut imaginer que l’objectif est aussi de soutenir la fréquentation des musées, mais ce principe de prescription – non reconnue par la sécurité sociale, il faut le préciser – repose sur des études qui ont démontré que la fréquentation des musées avait un effet apaisant sur l’anxiété. Je suis certaine qu’un jour prochain nous aurons des ordonnances de nature.
Voir : La carte des forêts d’Île-de-France accessibles en train
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23 janvier 2025