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« Notre conversion aux joies du voisinage recèle de nombreux bienfaits »

Applaudissements à 20h à Bagnolet / © Jérômine Derigny pour Enlarge your Paris
Applaudissements à 20h à Bagnolet / © Jérômine Derigny pour Enlarge your Paris

A l'heure où le confinement génère de nouvelles interactions dans les villes, l'urbaniste Jérome Baratier s'est intéressé à ce qu'il désigne comme un "art de faire la résilience".

Jérome Baratier, urbaniste, professeur affilié à l’Ecole urbaine de Sciences Po et directeur de l’Agence d’urbanisme de Tours

A l’origine, urbanisme et santé ont entretenu des liens très étroits, l’approche hygiéniste ayant structuré l’idée même d’un développement urbain planifié. Ce lien, qui s’est depuis fortement distendu, risque de revenir en force tant la ville apparaît à la fois comme le problème et la solution de nombreuses questions de santé publique, Covid-19 compris. Un lien semble par exemple s’établir entre l’apparition de nouveaux virus et l’atteinte à la biodiversité à laquelle participe l’urbanisation. Cette causalité actualise la liste des méfaits de l’asservissement de la « nature » et du déni de l’entrelacement du vivant, deux postures « modernes » sous-jacentes à l’urbanisme qu’il conviendrait d’abandonner à l’heure de l’anthropocène.

Si la ville doit participer de la solution de la crise actuelle et de celles qui ne manqueront pas d’advenir, elle doit augmenter sensiblement sa résilience. Définissons ce terme piégeux comme la mesure de la capacité des systèmes à aborder et à absorber un choc. Précisons qu’il n’y a pas forcément de retour à l’état d’origine une fois le choc passé. Cet article repose sur l’idée que la pandémie met à l’épreuve nos territoires et active de nouveaux ressorts de résilience. En ce sens cette crise donne matière à débattre des inflexions ou des basculements que nous devons opérer dans la manière de concevoir l’aménagement et le développement des villes.

« De nouveaux élans de solidarité et de bienveillance naissent entre des vies jusqu’alors juxtaposées »

A première vue, la stratégie d’amortissement de la crise sanitaire réside aujourd’hui dans le rétrécissement de l’espace de vie de tout un chacun. Confinement oblige, les mobilités sont empêchées et l’hyper-proximité élevée au rang d’acte citoyen (il serait d’ailleurs intéressant de savoir comment ce périmètre de 1km autour du domicile a été déterminé). Cette subite conversion aux joies du voisinage recèle de nombreux bienfaits. De nouveaux élans de solidarité et de bienveillance naissent entre des vies jusqu’alors juxtaposées. Les grandes surfaces ancrent davantage leur politique d’achat dans le local. L’agriculture de proximité et sa chaîne logistique sont soutenues par la puissance publique. On peut se féliciter de cette résilience du proche, il faut cependant se garder d’en faire LA parade aux menaces actuelles et futures. En effet, ériger l’autonomie voire l’autarcie dans une petite communauté au rang de solution durable, comme n’hésitent pas à le faire certains collapsologues ou les tenants du discours anti-urbain, reviendrait à occulter une part de la réalité.

« L’autonomie se construit sur la dépendance aux autres ». Par cette phrase Cynthia Fleuryk nous invite à penser aux femmes et aux hommes mobilisés, mais aussi réseaux et relations qui traversent notre confinement. Si nous n’y prenons pas garde, la situation exceptionnelle que nous vivons risque de nous faire céder « à l’idéologie fallacieuse du localisme » justement dénoncée par Jean-Marc Offner. Car elles sont nombreuses les connexions qui, aux différentes échelles, augmentent notre résilience territoriale. Les lignes à grandes vitesses mobilisées pour désengorger les hôpitaux du Grand Est, les médecins cubains au chevet de l’Italie, le milliard de masques commandé à la Chine, les données compilées chaque jour par l’université Johns-Hopkin, autant de liens et de relations qui participent de notre capacité de résistance.

Où l’on voit que la résilience nécessite l’activation de systèmes territoriaux multi-échelles et l’invention de nouvelles proximités articulant le proche et le lointain. Tâchons de nous en souvenir quand nous retournerons dans nos « périmètres » respectifs.

« La situation exceptionnelle que nous vivons risque de nous faire céder « à l’idéologie fallacieuse du localisme » »

Avec l’annonce du Président de la République du 16 mars au soir, et son application le lendemain à 12h, nos administrations ou entreprises n’ont disposé que d’une dizaine d’heures pour s’organiser. Il apparaît que les organisations qui se sont montrées les plus agiles, et donc les plus résilientes, sont celles qui avaient déjà mis en place le télétravail. La mise en place d’un système managériale fondé sur un rapport de confiance entre les acteurs donnait ici un avantage comparatif indéniable. Tout le monde ne peut évidemment pas télétravailler mais certaines entreprises, parce qu’elles n’ont pas su sortir de la verticalité et du contrôle, ont pris du retard et sont aujourd’hui en plus grande difficulté. La résilience passait ici par une intelligence collective fondée sur la confiance.

On observe également une myriade d’initiatives décentralisées et collaboratives qui participent de la résilience globale. Le stock national de masque n’est pas suffisant ? Qu’à cela ne tienne, un patron type est diffusé sur les réseaux sociaux et des centaines de machines à coudre s’enrôlent spontanément (sans préjuger de l’efficacité du résultat). Il en va de même pour le détournement astucieux de masques de plongée, ou encore la conversion de lignes de production pour combler le manque de gel hydroalcoolique.

Citons enfin l’engagement de la Région Grand Est qui s’est affirmée comme l’ajusteur en chef de la résilience locale. On voit ici se développer un « art de faire » la résilience qui ne repose pas sur des mots d’ordre centralisés mais sur de multiples initiatives proches ou lointaines, le plus souvent connectées. Soulignons l’importance du numérique dans cette mise en relation, Internet jouant un rôle équivalent à celui de la canalisation d’assainissement au temps des hygiénistes.

« La liste des secteurs d’activités qui nécessiteraient de ne pas être régis par le seul jeu du marché s’allonge »

La crise que nous traversons remet profondément en cause certains ressorts de notre développement. La question de la relocalisation des moyens de production de biens essentiels est d’ores et déjà posée. Les logiques d’optimisation et de concentration des services urbains dans de grandes infrastructures pour chercher des économies d’échelle est également réinterrogée. Le maillage en offre de soin ne saurait obéir à une seule logique de massification. N’est-il ainsi pas préférable pour une métropole de province de bénéficier d’un CHU multisites plutôt que de tout concentrer au même endroit ? Il est probable que cette pandémie nous fasse voir avec de nouvelles lunettes des projets qui, à force de sembler évidents, n’étaient plus regardés.

Enfin, la liste des secteurs d’activités qui nécessiteraient de ne pas être régis par le seul jeu du marché s’allonge. Après l’eau, la culture, l’éducation, la biodiversité et l’énergie, la santé, la recherche, l’alimentation, et le numérique semblent devoir émarger dans cette liste. Gageons que nous saurons traduire dans l’organisation de nos territoires ces pivots de notre résilience.

La pandémie qui touche l’ensemble de la planète ne manquera pas de susciter de nombreux débats et remises en cause. L’urbanisme ne saurait esquiver ces questionnements et devra prendre sa part dans les mises à jour qui doivent advenir. Le risque est grand en effet de repartir comme avant, emplis de soulagement, et de se contenter de saupoudrer un peu de résilience de-ci de-là sans un examen approfondi de ses ressorts territoriaux, aux différentes échelles. Nous n’aurions alors rien appris de la crise que nous traversons.

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