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Le secteur culturel représente 300.000 actifs en Île-de-France

Le Kilowatt à Vitry, friche culturelle qui accueillera la clôture du Grand Tour du Boulevard des Arts entre Paris et Orly / © Le Kilowatt
La friche culturelle du Kilowatt à Vitry / © Le Kilowatt

Co-auteures d’une étude sur la place de la culture dans l'économie francilienne, Carine Camors et Odile Soulard, de l'Institut Paris Region, suivent de près les évolutions du secteur depuis plus de 10 ans. Enlarge your Paris s'est entretenu avec elles alors que le Conseil d'Etat doit se prononcer sur la fermeture des lieux culturels mercredi 23 décembre.

Quel est le poids de la culture dans l’économie francilienne ?

Carine Camors : Le secteur culturel représente 300.000 actifs en Île-de-France dans des domaines comme l’audiovisuel, le cinéma ou les jeux vidéos. Parmi eux, on compte entre 60 et 100.000 intermittents du spectacle, soit la majorité des intermittents français. Il faut également considérer les professions culturelles et créatives exercées en dehors des domaines de la culture comme les designers qui travaillent dans l’automobile ou les graphistes qui évoluent dans de nombreuses entreprises. Ils sont environ 100.000 dans l’ensemble des secteurs de l’économie.

Odile Soulard : Aujourd’hui, la culture représente 10% des emplois de la région, c’est plus que l’automobile, l’aéronautique et la pharmacie réunis, qui représentent 7% de l’emploi. Pourtant, ce sont ces fleurons industriels qui sont davantage aidés aujourd’hui. Par ailleurs, les chiffres liés à la richesse créée par les entreprises culturelles sont incomplets car ces entreprises sont souvent internationales. Ce qui est sûr, c’est qu’en 2015, les entreprises culturelles qui réalisaient 90% de leur chiffre d’affaires en Île-de-France ont contribué à hauteur de 21 milliards d’euros au PIB de la région. 

Quels sont les secteurs les plus dynamiques ?

Carine Camors : Le spectacle vivant et l’audiovisuel représentent 50% des emplois de l’industrie culturelle en Île-de-France. L’édition de jeux vidéos est aussi un secteur porteur. C’est d’ailleurs en regardant la façon dont les Anglo-Saxons considèrent la création et la diffusion des jeux vidéos que nous les avons inclus dans les industries créatives.

Odile Soulard : Il existe des liens très forts entre ces trois secteurs car les actifs travaillant dans la culture passent très facilement de l’un à l’autre, comme les graphistes par exemple, voire exercent plusieurs activités en parallèle. Enfin, il ne faut pas oublier la presse et l’édition de livres. L’Île-de-France compte 80% des maisons d’édition françaises ! Mais aussi la publicité, l’architecture, les musées…

Comment se répartissent les entreprises culturelles sur le territoire ?

Carine Camors : Les grands groupes de médias se sont progressivement installés dans les Hauts-de-Seine, dans la continuité du 15e arrondissement parisien. Depuis 10 ou 15 ans, on voit aussi émerger un pôle important dans le nord-est parisien avec davantage de petites structures, des indépendants, des entreprises du cinéma.   

Odile Soulard : La culture a toujours été produite et diffusée depuis Paris, c’est historique. Puis les Hauts-de-Seine ont lancé une politique volontariste afin d’attirer les industries créatives et culturelles. En Seine-Saint-Denis, ce sont plutôt les opportunités foncières, liées notamment aux anciennes friches industrielles, qui ont guidé l’installation des entreprises et des artistes. Mais la grande couronne n’est pas en reste avec des institutions comme la scène nationale de la Ferme du Buisson à Noisiel (Seine-et-Marne) ou encore le Fonds régional d’art contemporain au château de Rentilly (Seine-et-Marne).

Dans l’étude que vous avez menée conjointement avec l’Insee, vous parlez de la culture comme d’un levier de développement stratégique pour la métropole parisienne. De quelles manières ?

Carine Camors : La culture permet d’abord d’accroître l’attractivité et le rayonnement de l’Île-de-France par le biais du tourisme culturel. Mais c’est aussi un formidable vecteur de diffusion de la créativité dans toute l’économie francilienne du fait de la porosité entre les secteurs.

Vous avez constaté une augmentation rapide du nombre d’emplois culturels entre 2008 et 2013 en Île-de-France. Comment l’expliquez-vous ?

Odile Soulard : Cette tendance à la hausse du nombre d’emplois s’est avérée notable dans l’audiovisuel car c’est un domaine intégrateur de technologies. Une importante part de cette croissance est aussi portée par l’augmentation des emplois créatifs hors de la culture.

Carine Camors : La post-production et l’animation 3D ont également connu un véritable boum. C’est une compétence reconnue dans le monde entier.

Vous parlez aussi de la prépondérance des indépendants et du statut de micro-entrepreneur, avec un revenu mensuel de 1.800€ en moyenne. Le monde culturel reste-t-il donc précaire ?

Carine Camors : Cette précarisation peut découler d’une volonté d’indépendance. Mais elle est aussi subie. Ces professionnels ont souvent moins de droits que les salariés, sont embauchés sur la base de CDD d’usage et ne cotisent pas ou peu au chômage ni à la retraite.

Odile Soulard : Pour ce qui est des intermittents, nous sommes en présence d’un système unique au monde qui montre qu’il permet d’amortir les conséquences des crises. Les règles pour bénéficier du chômage ont d’ailleurs été assouplies pour faire face à la crise du Covid-19. A l’étranger comme par exemple au Royaume-Uni, il y a une vraie crainte de perdre des talents du fait de l’absence de filet de sécurité assuré par l’Etat.

Comment le secteur de la culture fait-il face à la crise sanitaire ?  

Odile Soulard : La réponse est notamment venue de l’offre en ligne, par le biais de visites virtuelles, d’événements, d’applications… Globalement, depuis 2005, la culture s’adapte, se numérise. C’est aussi une industrie qui a l’habitude des activités cycliques et qui sait rebondir rapidement. Elle est très résiliente.

Carine Camors : Chaque crise accélère les mutations à l’œuvre. On le voit cette fois avec la numérisation massive des acteurs culturels. Ce n’est pas toujours évident pour les plus petites structures, mais elles s’y mettent tout de même.

Odile Soulard : L’enjeu est d’aider les structures qui ne sont pas encore numérisées à trouver des moyens de l’être et de se rémunérer par ce biais.

Comment les Franciliens peuvent-ils soutenir les acteurs de la culture ?

Odile Soulard : En consommant de la culture ! Il est difficile de savoir comment les secteurs vont réagir après cette année noire. Les habitudes seront-elles les mêmes ? En Île-de-France, j’ai tendance à répondre oui car les pratiques en matière de sorties culturelles sont très ancrées.

Carine Camors : On a besoin de culture. Elle nous permet de supporter ce qui se passe. Créer un futur désirable, nous faire rêver, c’est ce qu’on attend des artistes. Les Franciliens, comme le reste des Français, n’en peuvent plus de ne plus pouvoir chanter, danser ! Le public est là, il consommera de nouveau de la culture et pas qu’en ligne. Et peut-être que cette numérisation permettra de s’adresser à un autre public. La crise crée des opportunités.

Infos pratiques : L’étude « L’Île-de-France, première région française de l’économie culturelle » réalisée par l’Institut Paris Region et l’Insee est à télécharger gratuitement sur institutparisregion.fr

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