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« La ville ne facilite pas l’accès à la forêt »

La signalétique grand-parisienne 2020 indique de nombreuses forêts accessibles en transports en commun depuis Paris / © Steve Stillman pour Enlarge your Paris
La signalétique grand-parisienne installée en 2020 par Enlarge your Paris et les Magasins généraux pour indiquer notamment les forêts accessibles en transports en commun depuis Paris / © Steve Stillman pour Enlarge your Paris

Comment démocratiser l'accès à la forêt pour ceux qui ne vivent pas à proximité ? Directeur territorial adjoint Seine-Nord de l'Office national des forêts, Sylvain Ducroux considère qu'une réflexion doit être menée pour mieux articuler ville et forêt.

Au départ, les forêts, qui sont des domaines royaux, étaient-elles vouées à accueillir du public ?

Sylvain Ducroux : En un sens, oui. Elles constituaient en effet des domaines royaux et elles avaient une vocation de loisir puisque le roi et sa cour y pratiquaient la chasse. Mais on va dire qu’à l’époque, le public en question y était très VIP ! L’élargissement de l’accueil est concomitant à la hausse du temps de loisirs. Au XIXe siècle, les bois accueillent un tourisme bourgeois, grâce notamment au chemin de fer qui dessert Fontainebleau (Seine-et-Marne) ou Saint-Germain-en-Laye (Yvelines). A partir de la seconde moitié du XXe siècle, le tourisme devient plus populaire. Dans une région où il n’y a ni la mer ni la montagne, la forêt incarne le lieu d’évasion par excellence.

Aujourd’hui, combien de personnes visitent annuellement les forêts franciliennes ?

On recense entre 80 et 100 millions de visiteurs par an. Ce qui est compliqué pour nous, c’est d’accueillir du public tout en préservant le caractère naturel des lieux. Si nous laissions la forêt complètement à l’état sauvage, il serait très difficile de s’y promener. Donc, la gageure c’est d’avoir cette dimension naturelle mais travaillée par l’homme, pour la rendre accessible. Nous affirmons notre vocation d’accueil du public mais elle ne doit pas éclipser les autres : l’approvisionnement en bois et la protection environnementale.

Et ça, le public le comprend ?

Dans les forêts franciliennes, ce ne sont pas les attentes principales, la valeur loisir domine. Et, effectivement, quand nous procédons à des coupes, l’usager n’en voit pas l’intérêt. Il est important de lui rappeler que la récolte n’est pas synonyme de déforestation. Qu’elle fait partie du travail des forestiers quant au maintien de la forêt.

Vous évoquiez la protection environnementale. Celle-ci est-elle compatible avec la présence du public ?

La biodiversité en forêt se porte moins mal qu’ailleurs. Elle sert d’ailleurs de refuges à des espèces qui n’en sont pas originaires mais qui s’y replient parce que les zones agricoles ou urbaines leur sont encore moins favorables. Je pense par exemple à l’alouette lulu qui va trouver refuge dans les landes forestières et les zones ouvertes. La stratégie repose donc sur une canalisation du public, via des chemins, des sentiers. C’est facile dans les grandes forêts, plus compliqué dans les petites.

Quelles problématiques liées à la fréquentation rencontrez-vous ?

Pour ce qui est des déchets, les usagers de la forêt sont assez respectueux. Les papiers gras, les canettes ne représentent pas grand chose par rapport aux gravats issus des travaux du BTP. Dans ce cas, ce n’est pas le fait de notre public, mais de gens qui savent qu’ils pourront déposer des déchets à l’abri des regards. Les départs de feu ont tendance à diminuer. Pas tant parce qu’il y en a moins mais parce que les moyens de lutte se sont améliorés et que la téléphonie mobile a fait baisser le temps d’intervention. Une érosion des sols peut en outre résulter de la hausse de la fréquentation. Ils deviennent alors moins propices à la végétation, voire stériles. Enfin les chiens non tenus en laisse constituent une autre problématique : non seulement c’est insécurisant pour les autres promeneurs, mais ils peuvent retrouver leurs instincts de prédateurs et mettre à mal des couvées d’oiseaux au sol ou de jeunes faons.

On peut imaginer que les confinements successifs ont eu un effet sur la fréquentation des forêts franciliennes…

Effectivement, il y a même eu un effet de saturation lors de la levée du premier confinement. Toute la difficulté a été de canaliser les gens pour diluer cette surfréquentation. Prendre l’air au milieu de 10.000 personnes, ce n’est pas franchement ce qu’on attend d’une balade en forêt. Or certains sites très connus tels Apremont ou les Gorges de Franchard à Fontainebleau ont connu de fortes affluences. Notre rôle a été de rappeler qu’il existait d’autres endroits. De rappeler les autres offres qui existaient.

Dans les années à venir, la forêt francilienne est-elle appelée à recevoir encore davantage de visiteurs ?

Une chose est sûre : si nous faisons des aménagements plus ludiques, nous allons attirer des gens venus de plus loin. Dans les années 60, la politique d’aménagement allait dans ce sens : on mettait en place des pataugeoires, des aires de jeux, des toilettes. Un rétropédalage s’est produit dans les années 80. Le niveau d’installations a diminué pour que l’espace ne soit pas trop dénaturé. D’ailleurs, quand nous recevons des délégations internationales à Fontainebleau, elles sont très souvent étonnées par le faible taux d’équipement rapporté au nombre de visiteurs : nous n’avons pas de parcours d’accrobranches ou ce genre de choses.

Qui sont aujourd’hui les visiteurs des forêts franciliennes ?

Quand on regarde le public, on est loin de l’image du citadin en mal de vert. Nos visiteurs ont déjà fait le choix de la grande couronne et vivent en maisons individuelles. Ils appartiennent aux catégories CSP et CSP+. En fait, toute une partie de la population francilienne vit loin de la forêt et n’y met pas les pieds. En Île-de-France, l’inégalité environnementale se superpose à d’autres facteurs d’inégalités. La Seine-Saint-Denis et le nord de l’Essonne par exemple ont peu de bois.

Y’aurait-il alors un travail à mener sur la démocratisation de l’accès à la forêt ?

En tous les cas, il y a une réflexion à mener sur l’articulation ville/forêt. La ville ne facilite pas l’accès à la forêt à ceux qui n’en sont pas les voisins. Il y a donc un travail à faire sur la fluidification de la circulation entre la forêt et le milieu urbain. Longtemps, à l’ONF, nous avons été dans une logique défensive. Nous tournions le dos à la ville. Aujourd’hui, nous considérons que la forêt est un lieu qui doit être desservi au même titre que les autres.

Cette interview a été réalisée dans le cadre des Rencontres de l’arbre, un cycle de webinaires, de balades et de plantations conçu par le média Enlarge your Paris avec la Métropole du Grand Paris et l’Office national des forêts

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