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La Ceinture verte d’Île-de-France, 15 000 hectares de nature préservée et méconnue

La butte d'Orgemont à Argenteuil / © Steve Stillman pour Enlarge your Paris
La butte d’Orgemont à Argenteuil, l’un des sommets des buttes du Parisis qui s’insèrent dans la Ceinture verte d’Île-de-France / © Steve Stillman pour Enlarge your Paris

Située entre 10 et 30 kilomètres du centre de Paris, la Ceinture verte d'Île-de-France, dont le but est de préserver les espaces naturels et agricoles de l'urbanisation, célèbre cette année son 40e anniversaire. À cette occasion, Enlarge your Paris s'est entretenu avec Christophe Maillet, directeur général d'Île-de-France Nature, une agence publique engagée dans la préservation de ce corridor vert.

Qu’est-ce que la Ceinture verte d’Île-de-France, dont on fête cette année la 40e année de la création ?

Christophe Maillet : C’est une « ceinture écologique » située entre 10 et 30 kilomètres du centre de Paris, une zone tampon naturelle entre la grande couronne francilienne, très agricole, et le cœur de l’agglomération, très bétonné. L’objectif de cette Ceinture verte est de lutter contre la pression foncière sur les espaces naturels en préservant une continuité de forêts, de parcs et de terres agricoles de tailles variables, mais qui tous ont une vraie valeur environnementale et sociale. L’idée de constituer une ceinture naturelle autour de la banlieue est née dans les années 1970, lors de la construction de villes nouvelles et d’importantes infrastructures de transports (aéroport d’Orly, Orlyval, autoroute A6…). Le terme apparaît pour la première fois dans un document administratif en 1983, il y a effectivement 40 ans. La Région Île-de-France a alors confié à la toute jeune Agence des espaces verts (AEV) – devenue Île-de-France Nature à l’automne 2022 – une mission de préservation, de valorisation et d’ouverture au public des espaces naturels de la Ceinture verte menacés par l’urbanisation.

Concrètement, qu’est-ce cela représente aujourd’hui ?

En plus de 45 ans, nous avons acheté, aménagé, renaturé ou parfois créé, et aussi ouvert au public, plus de 15 000 hectares dont 11 000 ha de forêts et 2 300 ha de terres agricoles, auxquels s’ajoutent 1 700 ha d’espaces paysagers comprenant des parcs, des étangs et des mares, qui ont une très forte valeur ajoutée en termes de biodiversité. Pour cela, nous surveillons 40 000 ha de terres franciliennes, répartis dans 56 périmètres régionaux, au sein desquels nous pouvons acheter pour le compte de la Région les espaces naturels, agricoles et forestiers menacés. Il faut imaginer un collier de perles de zones naturelles depuis les grandes forêts de l’Est francilien jusqu’au plateau agricole de Saclay, en passant par les lisières forestières de la ville nouvelle de Cergy, les buttes d’Orgemont et du Parisis, les berges de la Seine entre Fontainebleau et Paris ou encore les terres agricoles de l’Essonne. Cette ceinture verte, même si on ne la connaît pas toujours, ou pas sous ce nom, on y est forcément passé un jour…

Dans cette ceinture verte, on trouve aussi du gris, des zones bétonnées…

C’est vrai qu’elle n’est pas continue. C’est parce qu’elle a été créée là où on a construit tous les grands aménagements des Trente Glorieuses : les villes nouvelles, le marché de Rungis, les grands aéroports parisiens, le réseau des grandes rocades autoroutières… Notre mission est de limiter cet étalement urbain et d’offrir aux habitants un cadre de vie de qualité, tout en favorisant la biodiversité.

La carte de la Ceinture verte francilienne / © INSTITUT PARIS REGION – ÎLE-DE-FRANCE NATURE

Vous évoquez la notion de qualité de vie pour les habitants de la banlieue parisienne. À partir de quand est-ce que la biodiversité est devenue un sujet ? Et n’est-ce pas désormais une priorité alors que, selon l’ONU, on est entrés dans l’anthropocène, qui se définit comme une « nouvelle époque géologique se caractérisant par l’avènement des hommes comme principale force de changement sur Terre » ?

Il ne faut pas sous-estimer la conscience écologique des années 70 et 80, où justement on engage les premières grandes opérations de compensation écologiques des projets urbains. C’est aussi à cette époque que l’on a créé les parcs naturels dans la région Île-de-France en grande couronne. Il y en a quatre aujourd’hui, et un cinquième est à l’étude. Les élus ont ensuite créé l’Agence des espaces verts de la Région Île-de-France en même temps que le Conservatoire du littoral. On peut dire que ce sont nos cousins ! Nous avons en tout cas les mêmes objectifs, les mêmes actions : acquérir des espaces naturels menacés pour les protéger et les ouvrir au public.

On peut quand même dire que votre vision de l’environnement évolue au sein d’Île-de-France Nature…

L’agence n’a de cesse de s’adapter, depuis 45 ans, aux évolutions sociétales et environnementales propres à l’Île-de-France. Dans les années 1970, nous étions très concentrés sur le sauvetage des forêts franciliennes, publiques et privées. À l’époque, il n’était pas rare de construire des logements dans des massifs forestiers. Aujourd’hui, cela ne se conçoit plus du tout, et on peut dire que notre action a été une réussite sur ce plan. Dans les années 1990, on s’est rendu compte que les espaces agricoles franciliens n’étaient pas assez protégés du mitage et de l’étalement urbain. On s’est alors beaucoup intéressé au plateau de Saclay, clairement sous pression foncière et très menacé par l’urbanisation. Aujourd’hui, il est préservé par une loi extrêmement stricte, qui a été votée par le parlement. Nous n’y sommes pas pour rien ! Nous maintenons une activité agricole périurbaine sur près de 2 300 ha de terres agricoles à l’échelle régionale, notamment à travers l’installation de 140 agriculteurs. Enfin, et pour vous répondre, dans les années 2000 a commencé à se développer une vision un peu différente : celle de la protection de la biodiversité, dans le cadre d’une prise de conscience globale de sa dégradation et de l’observation de son appauvrissement en France et en Île-de-France. Le contexte actuel de dérèglement climatique, avec notamment de longues périodes de sécheresse qui fragilisent nos espaces naturels, est au cœur de nos préoccupations.

Cette Ceinture verte fait bien le tour de l’agglomération parisienne, mais elle a tout de même quelques trous ainsi que des zones fragiles…

C’est vrai. Justement, l’un de nos objectifs pour les prochaines années est de relier entre eux nos espaces naturels, mais aussi de les connecter avec les autres espaces ouverts franciliens. La création de corridors écologiques, de chemins de randonnée et autres circulations douces contribuent à la fois à l’amélioration de la qualité de vie des Franciliens, mais aussi au renforcement de l’écosystème naturel pour l’aider à s’adapter au changement climatique. Cet enjeu de continuité écologique et piétonne est aujourd’hui au premier plan. Les espaces verts et naturels, nous les avons préservés un peu partout dans cette fameuse ceinture verte. Il faut maintenant passer d’une logique d’archipel à une continuité renforcée. Nous avons d’ailleurs vu notre mission d’agence environnementale évoluer fin 2022, avec la mission d’accompagner les communes à renforcer la place de la nature dans les cœurs urbains et à mieux se connecter à leurs espaces naturels.

Les Franciliens ont-ils suffisamment connaissance de l’existence de la Ceinture verte d’Île-de-France et ont-ils conscience de son rôle social et environnemental ?

Ceux qui vivent à proximité de nos espaces naturels les pratiquent. C’est vraiment intégré à leur cadre de vie. En revanche, on s’est rendu compte que ceux qui habitent dans le cœur de l’agglomération parisienne ne connaissaient pas la Ceinture verte et les espaces naturels qui s’offrent à eux. Ou alors ils ne savent pas comment y accéder. Pourtant, et la crise du covid l’a souligné, de nombreux métropolitains vivent dans des territoires très carencés en espaces verts, qui, nous le savons, participent grandement au bien-être. Nous avons donc une réflexion sur la manière de favoriser l’accès à la Ceinture verte grâce aux mobilités douces et les transports en commun. Nous voulons aussi développer des trames écologiques qui connectent le cœur métropolitain et les forêts et parcs de la Ceinture verte, que l’on pourrait parcourir à vélo ou à pied. La Végétale, qui relie les lacs de Créteil (Val-de-Marne) à la plaine briarde (Seine-et-Marne), ou encore la promenade régionale de l’aqueduc de la Dhuis, depuis Le Raincy (Seine-Saint-Denis) jusqu’à Dampmart (Seine-et-Marne) sont de bons exemples de ce que nous voulons multiplier. Nous voulons y voir des randonneurs qui viennent avec leur passe Navigo profiter de ces espaces uniques tout en apprenant à les connaître et à les respecter.

Depuis le covid, on a vu une explosion de la fréquentation des espaces naturels : les urbains ont besoin de se mettre au vert régulièrement. Ce phénomène n’exerce-t-il pas une pression sur les espaces naturels ?

Si, bien sûr, il y a des incivilités, des dépôts sauvages d’ordures, des loisirs – notamment motorisés – illégaux, qui fragilisent nos espaces. C’est pour cela que nous menons un travail de pédagogie, de préservation, de sécurisation, d’éducation et de sensibilisation. Nous proposons chaque année de nombreuses sorties nature gratuites au sein de nos espaces naturels régionaux. Elles portent sur des thématiques différentes et ont pour but de sensibiliser les Franciliens à la nature pour mieux la protéger. Car notre première mission est d’accueillir le public, mais sans que cela se fasse au détriment de la biodiversité. C’est un vrai défi que les équipes d’Île-de-France s’efforcent de relever, au quotidien.

Infos pratiques : en octobre dernier est sorti un nouveau topoguide pour parcourir la Ceinture verte d’Île-de-France à pied. Plus d’infos sur iledefrance-nature.fr

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