Culture
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Une image de la banlieue avant l’urbanisation au musée d’Orsay

Les coquelicots par Monet / DR

Jusqu'au 14 juillet, le musée d’Orsay à Paris revient sur la naissance de l’impressionnisme et sur la première exposition de peintres appartenant à ce mouvement, il y a 150 ans exactement. Une occasion de découvrir les paysages de la banlieue avant qu'elle ne soit bouleversée par l’urbanisation.

Le 15 avril 1874 s’ouvrait à Paris, boulevard des Capucines, dans l’ancien atelier du photographe Nadar, un événement historique : la première exposition des impressionnistes. Ou plutôt, car c’était alors son nom, un Salon modeste par la taille mais grand par l’ambition, organisé par la « Société anonyme coopérative des artistes peintres, sculpteurs et graveurs, etc. » Une trentaine d’artistes seulement y participaient, dont de futurs grands noms de l’art : Claude Monet, Camille Pissarro, Alfred Sisley, Edgar Degas, Auguste Renoir, Berthe Morisot, Paul Cézanne… Un critique horrifié par ce qu’il y voyait, ces peintures à la touche libre, virevoltante, ce jeu subtil avec les effets de lumière, se moqua de ce groupe trop libre en les traitant d’impressionnistes, tirant le terme du tableau Impression soleil levant de Claude Monet. Les peintres raillés adoptèrent ensuite ce nom. Ils en firent un terme de ralliement, retournant l’attaque comme dans les arts martiaux.

Le musée d’Orsay (7e) consacre jusqu’au 14 juillet une grande exposition à cette naissance de l’impressionnisme en 1874, montrant les bouleversements à l’œuvre dans Paris, les blessures persistantes de la guerre de 1870 et du soulèvement de la Commune qui s’ensuivit, et la puissance d’un mastodonte, le Salon officiel. Le « Salon » regroupait au printemps 1874, dans feu le palais de l’Industrie, 3 657 œuvres accrochées à touche-touche, alors que la frondeuse « Société anonyme » avait choisi de présenter dans l’ancien atelier de Nadar seulement 200 tableaux de façon beaucoup plus aérée. Chaque associé pouvait exposer quelques créations.

Des peintres qui s’intéressent à la vie moderne

Cette petite exposition de la « Société anonyme coopérative » eut peu d’impact à l’époque, sauf dans la presse, féroce. Près de 3 500 visiteurs seulement s’y rendirent. Mais, comme le notent Sylvie Patry et Anne Robbins, les deux commissaires, dans le catalogue de l’exposition du musée d’Orsay : « C’est alors en effet qu’est identifié par une partie des critiques et des visiteurs un « noyau » d’artistes novateurs. »

Ces jeunes peintres innovants s’intéressent à la vie moderne, notamment aux loisirs, comme le fameux Bal du moulin de la Galette de Renoir en 1876, et au réalisme. Manet est leur mentor, même si finalement il n’acceptera pas de participer à leur exposition, préférant le Salon. Plutôt que d’être les membres de la très sérieuse « Société anonyme coopérative des artistes peintres, sculpteurs et graveurs », ils font partie d’une école informelle, celle du plein air, nom que le critique Ernest Chesneau leur donne.

Une école initiée par leurs aînés, Gustave Courbet, Eugène Boudin au Havre – avec qui peignit le jeune Monet – et les peintres paysagistes de Barbizon tels Millet ou Rousseau (exposé en ce moment au Petit Palais). Ces derniers ont profité de la ligne de chemin de fer Paris–Fontainebleau inaugurée en 1849. Leurs cadets feront de même et partiront en train autour de Paris, voire plus loin, en Normandie, dont les paysages les inspireront également. Avant de vivre à Giverny et de se plonger dans l’étude des nymphéas, Claude Monet s’installe à Argenteuil avec sa famille en 1871 parce que la ville est alors à la campagne et cependant bien reliée à Paris par une ligne ferroviaire. Il se fait même aménager un bateau-atelier lui permettant de peindre la Seine au plus près.

Pontoise, vue depuis le quartier de l’écluse par Béliard / DR

L’apport décisif de la peinture à l’huile en tube

Les impressionnistes – qui ne portent donc pas encore ce nom en 1874 – se concentrent sur l’instant où ils donnent leurs coups de pinceaux, en pleine nature. Ils marchent le chevalet portatif sur le dos, se retrouvant à Auvers-sur-Oise, crapahutant à Croissy, Bougival, le long du canal Saint-Denis décrit dans une toile par Stanislas Lépine vers 1876-1882, un peintre un peu oublié qui participa à l’exposition dans l’atelier de Nadar.

Les artistes de cette « école du plein air » ou de cette « nouvelle peinture » bénéficient d’une invention brevetée en 1841 et développée en 1859 en France : la peinture à l’huile en tube. Sans elle, « il n’y aurait pas eu de Cézanne ou de Monet, de Sisley ou de Pissarro, aucun de ceux que les journalistes appellent les impressionnistes », déclare Auguste Renoir à la fin de sa vie.

Ils représentent une nature souvent encore très champêtre, mais déjà menacée, alors que la banlieue autour de Paris s’urbanise, s’industrialise : quelques-uns montrent ces changements comme Édouard Béliard dans Pontoise, vue depuis le quartier de l’écluse peint vers 1872, un paysage traversé par l’Oise et dominé au loin par une cheminée d’usine recrachant de la fumée.

Ils peignent vite, très vite même, mais reprennent parfois leurs toiles en atelier. Ils cherchent à capter la lumière du moment, comme dans Matinée de juin, Pontoise (1873) peint par Camille Pissarro ; ou le mouvement des nuages, le souffle du vent dans les herbes, l’éclat rouge sang des fleurs sauvages comme dans le très célèbre Coquelicots de Claude Monet (1873). Ils s’entraînent l’un l’autre. Paul Cézanne, au contact de Pissarro, se met à peindre sur le motif, dans la nature, et délaisse les atmosphères sombres de ses débuts. Après avoir marché, ces peintres du plein air et des alentours de Paris s’immergent dans les paysages dont ils veulent simplement rendre, sur la toile, les sensations fugitives. Sans doute auraient-ils fait de bons instagrameurs…

Infos pratiques : exposition « Paris 1874 – Inventer l’impressionnisme » au musée d’Orsay, esplanade Valéry-Giscard-d’Estaing, Paris (7e). Jusqu’au 14 juillet. Fermé le lundi. Tarif : 16€ (plein tarif), gratuit pour les moins de 26 ans. Réservation recommandée. Accès : métro Assemblée nationale (ligne 12) / gare Musée d’Orsay (RER C). Infos et réservation sur musee-orsay.fr

Le Jardin de la ville de Pontoise par Pissarro / DR
Matinée de juin par Pissarro / DR
La lecture par Berthe Morisot  / DR
La Gare Saint-Lazare par Monet / DR

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