Il y a quelque chose de curieux avec le château de Vincennes (Val-de-Marne) : il abrite un donjon en pierre blanche de 52 mètres de haut, le plus haut d’Europe. Les Écossais pleurent dans leur whisky, les Italiens dans leur grappa et les Allemands dans leur schnaps de ne pas en avoir d’aussi grand. Mais, quand vous sortez de la bien nommée station de métro Château de Vincennes, le mur d’enceinte est tel qu’il masque en partie le donjon.
Pour vraiment se rendre compte, il faut oser franchir les douves en empruntant le pont-levis. Ça ne coûte pas un centime et vous pénétrez ainsi dans l’enceinte du château. Vous aurez quand même un portique de sécurité à passer mais la billetterie (pour entrer dans la Sainte Chapelle et le donjon) se trouve plus loin. Vous êtes ici dans le plus grand château fort royal de France. Enfin, on dit « château » mais il s’agit en réalité d’une cité fortifiée. Au Moyen Âge, il y avait toutes sortes de bâtiments et ça grouillait de monde : plusieurs milliers de personnes vivaient sur place. Aujourd’hui la cour intérieure est plutôt vide.
En avançant tout droit, vous allez voir sur votre gauche la splendide Sainte Chapelle, de style gothique flamboyant et qui servit d’écrin à l’une des reliques rapportées de Terre sainte par Saint Louis : une épine de la couronne du Christ, perdue à la Révolution. À droite, c’est le donjon : massif, très haut, majestueux. Sa construction est l’œuvre de trois générations de rois. Philippe V construit ses fondations (admirablement costaudes) vers 1340, au début de la guerre de Cent Ans. Son fils, Jean le Bon, bâtit les deux premiers étages. Et son petit-fils, Charles V, s’y installe avec sa femme Jeanne, qu’il a épousée quand ils avaient tous les deux 12 ans. Ils y vivent alors que les travaux continuent aux troisième, quatrième et cinquième étages. C’est sans doute ce roi Charles qui a le plus laissé sa marque sur le château de Vincennes, qui l’a le mieux aimé, le mieux habité.
Une salle du trésor qui contenait quelque 20 % de l’or du royaume
Pour pousser la visite un peu plus loin, et surtout un peu plus haut, il vous en coûtera 13 €. Mais ça vaut le coup. On peut monter jusqu’au deuxième étage. Et si vous réservez votre place sur le Net pour la visite guidée de 11 h le dimanche, vous aurez le droit de monter tout en haut, jusque sur le toit panoramique.
Une fois franchi le châtelet (passage fortifié), on grimpe un étroit escalier en colimaçon qui mène à l‘enceinte du donjon. Ici, Charles a fait construire la « promenade du Roi », une galerie qui fait tout le tour du donjon. C’est ici aussi qu’il a installé son cabinet de travail. Charles V était surnommé « Charles le Sage ». Il allait à la messe tous les jours (c’est lui qui a fait construire la Sainte Chapelle) et lisait la Bible au moins une fois par an. C’était un savant. Il était passionné d’astronomie et de philosophie. Il a fait traduire les œuvres d’Aristote. Au Louvre, il a fait construire une « Bibliothèque royale », ancêtre de la Bibliothèque nationale. On l’imagine bien écrivant dans ce petit cabinet de travail en pierre. Petit parce que plus facile à chauffer. Petite pièce donc depuis laquelle il dirigeait la France.
C’est par l’enceinte du donjon qu’on accède au donjon proprement dit. Par un pont-levis comme il se doit. On y découvre dans les tourelles d’angle une petite chapelle, un bureau pour étudier, une garde-robe, des latrines et une salle du trésor (qui contenait quelque 20 % de l’or du royaume). Comme dans tant de châteaux, châteaux forts surtout, qui ne sont plus habités depuis longtemps, les intérieurs sont vides. Pas de meubles ou de tapisseries pour donner un peu de couleur, un peu de vie. Mais, sur le mur de la chambre où dormait le bon roi Charles, on compense avec un joli diaporama où quelques pages des Très Riches Heures du duc de Berry sont à l’honneur : celles qui montrent ce château et la Cour du roi. Les Très Riches Heures, c’est l’une des choses les plus belles et les plus colorées que nous a laissées le Moyen Âge. Acheté par le duc d’Aumale au XIXe siècle, ce manuscrit enluminé est conservé au château de Chantilly (Oise).
Des graffitis historiques
Sur l’une de ces pages magnifiques projetées sur le mur de la chambre du roi, on peut voir une scène de chasse dans une clairière pleine de couleur et, au loin, au-dessus d’une forêt très dense, se dessine le donjon ainsi que les autres tours de la forteresse de Vincennes d’un blanc superbe dans un ciel bleu éclatant. Si elles sont dénuées de meubles, les pièces du château portent d’autres témoignages du temps passé. Elles sont tatouées d’inscriptions sur les murs, souvent d’une très belle écriture, et souvent portant des dates. 1687, 1756… Ce sont des graffitis de détenus. Car à partir de la fin du XVe siècle, la forteresse est transformée en prison.
Elle fut, au début du moins, réservée aux prisonniers de marque. Le futur Henri IV par exemple y fut incarcéré pour avoir participé à la conjuration des Malcontents. Plus tard, Diderot, le créateur de l’Encyclopédie, le fut pour ses écrits sur la non-existence de Dieu. C’est ici aussi qu’a été emprisonné le marquis de Sade. Le libertin, athée, pornographe et philosophe connaissait très bien la prison. Il y a passé 28 de ses 66 années sur cette Terre. Son premier séjour fut de 15 jours pour « comportement excessif en maison close ». La seconde fois, il fut enfermé à vie à la demande de sa famille pour le protéger de la condamnation à mort après l’empoisonnement d’une prostituée. Il reste 7 ans à Vincennes. En 1784, il est transféré à la Bastille avant d’être libéré en 1790. Pendant ses années au donjon, il entretient une correspondance avec son épouse, rédige le Carillon de Vincennes et la première version de Justine, ou les malheurs de la vertu.
Une vue à 360 degrés sur le Grand Paris
En plus de ne pas être avare en histoires, le donjon se montre aussi généreux en panoramas avec, lorsqu’on grimpe à son sommet, une vue à 360 degrés sur le Grand Paris et le bois de Vincennes. En redescendant, on s’arrête devant un pilier au 4e étage. Du graffiti encore, mais plus moderne. Pendant la Seconde Guerre mondiale, les Allemands y enfermaient les mutins et les prisonniers de guerre. Les graffitis sont en plusieurs langues. Tout en haut du pilier est inscrit « Sterner, USA 1944 » de la main d’un des libérateurs.
Dernière anecdote et je vous libère moi aussi. En cas de crue de la Seine et si l’eau venait à monter jusqu’au palais de l’Élysée (8e), il existerait un « plan Escale » pour faire du château un lieu de repli pour le chef de l’État. Le château de Vincennes n’en a pas fini avec l’Histoire…
Infos pratiques : Visite du donjon du château de Vincennes, avenue de Paris, Vincennes (94). Ouvert tous les jours de 10 h à 17 h. Tarif visite libre (comprenant également la visite de la Sainte Chapelle) : 13 € (plein tarif), gratuit (moins de 26 ans) / Tarif visite privilège des parties hautes du donjon chaque dimanche à 11 h : 15 € (plein tarif), 10 € (enfants). Réservation uniquement en ligne. Accès : métro Château de Vincennes (ligne 1) / gare de Vincennes (RER A). Plus d’infos sur chateau-de-vincennes.fr
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20 novembre 2024 - Vincennes