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Les promenades dans le Grand Paris, un moyen d’observer le changement climatique ?

Par contraste avec la randonnée, la promenade urbaine, héritière de la tradition du flâneur des boulevards du XIXe siècle, assume son prisme citadin, et préfère les trottoirs aux sentiers ruraux. Méthode à part entière de l’analyse de la ville et de ses enjeux, elle est également au cœur d’un phénomène de société, celle d’explorations mi-esthétiques mi-touristiques des périphéries métropolitaines. En s’appropriant et en testant le territoire le temps d’une journée ou plus, la promenade urbaine permet aussi bien aux experts qu’aux habitants de questionner l'aménagement des grandes villes. Elle favorise aussi les relations entre les habitants et les différents acteurs de l'urbanisme. Une démarche désormais au cœur du projet d'Enlarge your Paris.

Pourquoi un média est-il devenu organisateur régulier de marches urbaines et de parcours entre des gares de transport en commun ? Enlarge your Paris est un journal en ligne consacré au Grand Paris et à son émergence. Il se trouve que ce territoire, au moment où nous nous sommes lancés en 2013, est entré en complète ébullition, en premier lieu avec le projet du métro du Grand Paris, dont les chiffres sont assez parlants : d’ici le début des années 2030 seront construits 200 kilomètres de lignes banlieue/banlieue, soixante-huit nouvelles gares et autant de quartiers autour d’elles, dont la superficie couvrira une fois et demie celle de Paris. Ce réseau viendra compléter et amplifier celui des 390 gares SNCF qui irriguent déjà le territoire francilien et seront accessibles en passe Navigo dézoné.

Nous avons vite perçu que ce projet de transports allait bouleverser les rapports entre l’intra et l’extra-muros parisien, mais aussi les relations entre les différents territoires de banlieue, et la carte mentale du Grand Paris. En 2015, nous avons interviewé un grand reporter, Guy-Pierre Chomette, qui avait suivi pendant trente jours le tracé de ce futur métro, et en avait tiré « Le piéton du Grand Paris », un journal de marche dont l’incipit nous a marqués : « Seule la marche est à même de rendre compte et de révéler l’espace dilaté du Grand Paris ». Nous avons repris son principe, à la différence près que nos marches durent une journée et sont collectives, les groupes allant de 70 à 100 personnes, mêlant sur un même plan experts et habitants.

C’est ainsi que, de journalistes engagés dans un territoire, nous sommes devenus des « arpenteurs du Grand Paris », pour reprendre le nom que nous a donné Frédéric Gros, l’auteur de Marcher, une philosophie. Aujourd’hui, ces promenades urbaines font partie intégrante de la programmation culturelle de la Société du Grand Paris, et nous ont permis de marcher avec des centaines d’habitants et d’acteurs de la « fabrique urbaine » à travers des territoires souvent inconnus ou connus par le prisme déformant du cliché sur la banlieue ou plus simplement de l’habitude…

À cela s’est ajoutée une autre manière de comprendre, connaître, faire l’expérience de notre territoire : lors de nos marches, nous avons pu partager des éléments qui seraient des indicateurs de l’anthropocène, du changement climatique. Aujourd’hui, marcher nous dit aussi que les territoires urbains ne sont pas faits pour le corps du piéton en raison de l’urbanisme des cinquante dernières années, qui ont fait la part belle à l’automobile, notamment. Mais aussi parce que des territoires denses, artificialisés, bétonnés sont source de souffrance lors des épisodes de chaleur dont on sait qu’ils seront de plus en plus fréquents.

À titre d’exemple, la première marche collective que nous avons faite sur le tracé du futur métro s’est déroulée par une chaude journée de juin 2017, avec un parcours de 20 km le long de la ligne 15, entre Noisy–Champs et Saint-Maur-des-Fossés, dans l’Est parisien. Nous avions conçu un parcours patrimonial très complet, tout en « collant » au plus près du tracé de la ligne : le cluster universitaire avec ses nombreuses réalisations de grands architectes, la ligne des forts de 1870, le parc paysager du Plateau et la cité-jardin de Champigny, les îles-guinguettes de la Marne, les jolies petites rues de Saint-Maur-des-Fossés où Jacques Tati a tourné Mon oncle. Sans oublier les nombreux ouvrages de chantier du métro dont la récurrence – un tous les 800 mètres – constituait un étonnant paysage éphémère qui agissait en surface comme un signal de l’ampleur du chantier souterrain.

Ce parcours d’une grande richesse, entre cœurs villageois, zones périurbaines commerciales et grands parcs urbains, offrait un long travelling avec une alternance de paysages sur un tempo curieusement régulier : toutes les 15 à 20 minutes, nous changions d’ambiance urbaine. Avec les dizaines de marcheurs présents qui étaient venus de tout le Grand Paris, nous avons parlé de paysages, de gentrification, de mobilité, de récit métropolitain… Mais le vrai sujet qui nous a sauté aux yeux, c’est que le territoire traversé était très mal préparé pour les canicules. Bref, nous étions morts de chaud… Après vérification, il est apparu en effet que la métropole du Grand Paris est à 80 % un îlot de chaleur. Nous le vivons désormais été après été. 

Pour penser l’anthropocène – cette ère climatique marquée par la détérioration du climat et l’effondrement de la biodiversité -, le point de vue du piéton est à la fois un outil d’observation et de diagnostic pertinent, car à hauteur d’homme. Les randonnées urbaines permettent d’en faire l’expérience collective, notamment lorsqu’habitants et experts prennent le temps de croiser leur ressenti et leurs expertises. La marche urbaine est donc dans ce sens une forme essentielle de vie sociale et culturelle pour penser l’habitabilité de nos métropoles. 
 
Cela fait plusieurs décennies que la marche urbaine est entrée dans la panoplie des urbanistes et des sociologues notamment dans le cadre des projets de rénovation urbaine. Dans la perspective de la transition ou de l’adaptation au changement climatique, ce que ressent et voit le piéton devrait être pris en compte dans toute politique d’aménagement urbain. Et au moment où la crise du modèle immobilier dans les métropoles rejoint la crise de l’effondrement du vivant et du climat, le point de vue du piéton semble pertinent, et nécessaire dans la recherche de nouveaux modèles, et de nouveaux récits.

Des randonneurs confrontés aux coupures urbaines du Grand Paris lors du Tour piéton du Grand Paris organisé du 19 au 30 août par Enlarge your Paris et la Société du Grand Paris / © Jérômine Derigny pour Enlarge your Paris
Des randonneurs confrontés aux coupures urbaines du Grand Paris lors du Tour piéton du Grand Paris organisé du 19 au 30 août par Enlarge your Paris et la Société du Grand Paris / © Jérômine Derigny pour Enlarge your Paris
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© Jérômine Derigny pour Enlarge your Paris
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Un participant du Tour piéton du Grand Paris en 2021 en train de marquer ses coups de coeur / © Jérômine Derigny pour Enlarge your Paris
Un participant du Tour piéton du Grand Paris en 2021 en train de marquer ses coups de cœur / © Jérômine Derigny pour Enlarge your Paris
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Les berges de la Marne à Maisons-Alfort / © Jérômine Derigny pour Enlarge your Paris
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Repos entre deux arbres dans le Grand Paris / © Jérômine Derigny pour Enlarge your Paris

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