Société
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Avec le premier Atlas des environs de Paris, le Grand Paris joue cartes sur table

1919. Le plan de Paris et de ses environs de l’architecte et urbaniste Léon Jaussely

La région Île-de-France est elle née de l'imagination des urbanistes et des politiques du XXe siècle ? Depuis quand parle-t-on de banlieue ? D'où viennent les départements ? Des questions qui trouvent leurs réponses dans le tout premier "Atlas des environs de Paris" sorti fin 2018 et dont l'un des auteurs, Philippe Montillet, nous livre un aperçu.

Aussi invraisemblable que cela puisse paraître, il n’existait pas jusqu’à présent d’Atlas historique de la région Île-de-France. Un vide désormais comblé grâce à trois grands connaisseurs de la région capitale : Hervé Blumenfeld, architecte – urbaniste qui a longtemps travaillé au sein de l’Institut d’aménagement et d’urbanisme d’Île-de-France, Philippe Montillet, juriste et historien ayant notamment planché au cours de sa carrière sur l’identité francilienne, et Pierre Pinon, historien spécialiste de la période haussmannienne. « Avec cet Atlas des environs de Paris, composé de 125 cartes choisies parmi plus d’un millier, nous avons voulu montrer comment l’Île-de-France a émergé comme territoire singulier, alors qu’au Moyen Âge on ne parlait que de Paris, détaille Philippe Montillet. Nous avons aussi voulu montrer que l’Île-de-France était un territoire nourricier indispensable au développement de Paris. » Une relation au long cours que M. Montillet a accepté de nous résumer en huit cartes.

L’invention de la banlieue 

« Dès le XIIIe siècle, la notion de banlieue existe pour parler des villages des alentours de Paris. Elle commence à être dénommée ainsi sur les cartes dès le début du XVIIe siècle. Donc, contrairement  à ce que l’on dit souvent, la banlieue n’est pas née à la fin du XIXe siècle. Elle est alors définie de manière précise. il s’agit du « ban » de Paris, c’est-à-dire du territoire géré par les autorités parisiennes. A La fin du XVIe siècle est éditée la première carte du gouvernement de l’Île-de-France. Il ne s’agit bien évidemment pas des prémices de la région, au sens actuel du terme, mais d’une carte du gouvernement militaire d’un territoire qui était alors très axé vers le Nord de Paris, c’est-à-dire vers la frontière ».

1590. Description de la ville de Paris / DR
1640. Carte de Jean Boisseau. Description de la banlieue de Paris / DR
1598. Carte de François de la Guillotière. L’Île-de-France

Création des départements avec la Révolution 

« En 1790, la Révolution française institue les départements, cassant ainsi les structures administratives de l’Ancien Régime. Paris et ses environs sont répartis en trois départements : le département de la Seine, qui dans un premier temps s’est appelé département de Paris, le département de Seine-et-Oise, initialement désigné comme le département de Versailles, et le département de Seine-et-Marne. Le département le plus riche est alors la Seine-et-Marne, dont les produits, essentiellement agricoles, étaient facilement transportés à Paris par la Seine et par la Marne. Pour la Seine-et-Oise, qui est à cours remontant de la Seine, la situation était moins favorable. Ce n’est en effet qu’à partir du milieu du XIXe siècle que la navigation fluviale à contre-courant pourra se généraliser. Ce sont en tous cas deux départements importants, agricoles, nourriciers, alors que le département de la Seine est quasiment réduit à Paris. Il faut dire que les élus craignaient les agitations parisiennes – nous sommes quelques mois après la chute de la Bastille – et ont souhaité limiter l’influence administrative de la capitale ».

1790. Carte du département de Paris

Des cours d’eau à l’essor des routes et des chemins de fer 

« On voit apparaître sur les cartes des XVIe et XVIIe siècles les rivières illustrées d’une manière extrêmement fine. Les rivières fournissaient l’eau des cultures, mais servaient aussi pour le transport. Par exemple, la Bièvre permettait de convoyer les pierres avec lesquelles on a construit Paris, bien avant que les tanneurs du XIXe siècle n’en fassent leur égout. La Seine et ses affluents structurent un territoire autour de Paris. Au XVIIe siècle, les routes se multiplient et commencent à figurer sur les cartes au moment où la paix revient en France avec Henri IV, qui créé la fonction de « grand voyer », ou responsable des routes. On voit se dessiner une nouvelle géographie régionale, celle des voies routières, infrastructures dominantes avant l’émergence au XIXe siècle des chemins de fer. Puis ce sera au XXe siècle l’invention des autoroutes et des routes touristiques. Chaque nouvelle infrastructure rejouant l’usage et la lecture des territoires ».

1933. Carte Michelin / DR

Le XXe, le siècle de l’aménagement du territoire

« Les cartes réunies dans l’atlas montrent deux grandes tendances : la constante croissance de Paris et de ses alentours et, à partir du XXe siècle, la volonté d’aménager le territoire, de penser et de contrôler cette croissance. C’est que dès le XIXe siècle, le département de la Seine s’était révélé trop petit pour accueillir les nouvelles usines et leurs ouvriers venus de toute la France et au-delà. Quant à la banlieue parisienne, éclatée entre des dizaines de communes, son administration était très compliquée. A partir des années 1910, on réfléchit donc à la manière d’organiser tout cela. C’est à cette époque qu’apparaît le terme de « région parisienne ». Le premier plan d’aménagement date de 1919, il s’agit du plan Jaussely, conçu dans le prolongement de la Commission d’extension de Paris qui avait été créée en 1910. C’est alors un exercice intellectuel et non pas une commande publique destinée à être réalisée. On voit sur cette carte des cités jardins, des autoroutes urbaines, et la création de ports modernes, comme celui de Gennevilliers ».

1919. Port de Gennevilliers / DR

De la région parisienne à la région francilienne 

« En 1964, l’Etat provoque une révolution administrative avec la création de la région Île-de-France, qui englobe les départements de 1790. Des départements qui sont d’ailleurs réorganisés entre départements de la petite couronne – issus de l’éclatement du département de la Seine – et de la grande couronne. L’ancienne Seine-et-Oise est divisée entre Essonne, Yvelines et Val-d’Oise. Alors que la Seine-et-Marne, qui a perdu beaucoup de son importance économique, est laissée telle quelle. Cette nouvelle région est le socle des développements des infrastructures contemporaines (RER, aéroports, autoroutes…) ».

Le Schéma directeur de la région Ile-de-France, 1993

La métropole, entre région et cœur urbain

« Notre Atlas historique des environs de Paris permet à la fois de voir l’émergence d’un territoire, la région parisienne, mais aussi de penser son avenir. Depuis des siècles, on voit émerger un grand territoire, qui va de Dreux à La Ferté-sous-Jouarre, de Pontoise à Étampes. Ce territoire s’est organisé car il formait un système au service de Paris. Le débat actuel est de savoir si l’on conçoit un Grand Paris centré sur son cœur urbain ou développé en s’appuyant sur un périmètre plus large, celui de la région.« 

 

2016. La Métropole du Grand Paris

Propos recueillis lors d’une soirée de présentation de l’atlas à la librairie Zenobi (Malakoff)

Infos pratiques : Les environs de Paris : Atlas des cartes du XVIe siècle à nos jours 
de Hervé Blumenfeld, Philippe Montillet et Pierre Pinon. Editions Dominique Carré / La Découverte. Prix : 39€. Disponible sur editionsladecouverte.fr

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