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Le bon piéton dit toujours merci

Feu piétons à Paris / © Fabio Sola Penna (Creative commons - Flickr)
Feu piétons à Paris / © Fabio Sola Penna (Creative commons – Flickr)

Si depuis plus de 10 ans la marche est le 1er mode de transport dans le Grand Paris, les piétons peinent encore à trouver leur place en ville. Ce que nous rappelle non sans humour le journaliste Olivier Razemon.

Olivier Razemon est journaliste, auteur de « Les Parisiens », une obsession française, (éd. Rue de l’Echiquier). Cette chronique est tirée de son blog « L’interconnexion n’est plus assurée » sur lemonde.fr

Le bon piéton dit toujours merci. Quand il traverse une rue, même sur les bandes blanches, où il est prioritaire, le bon piéton sait bien qu’il dérange. Alors, le bon piéton dit merci. Il salue d’un petit signe de la main ou de la tête, tente de sourire avec les yeux (car il porte un masque) et, reconnaissant, cherche le visage du conducteur, à travers la vitre.

Il arrive que le bon piéton marche, à ses risques et périls, le long d’une rue sans trottoir. Il sait que c’est un peu de sa faute, car il ne devrait pas se trouver là. Alors, dès qu’une auto ou une moto déboule, le bon piéton se serre prestement sur le côté. Car le bon piéton est naturellement prudent. Il sait qu’un conducteur pourrait s’impatienter et klaxonner vigoureusement.

Le bon piéton a les pieds dans la boue. Il marche dans les flaques. Il est le valet des accotements poussiéreux. Le bon piéton a des souliers crottés, il change de chaussures tous les six mois.

Le bon piéton sait qu’il est intrinsèquement « un danger ». Il doit se montrer « extrêmement vigilant », comme dit la direction de la sécurité routière. Dès lors, le bon piéton s’excuse quand il est en tort, et aussi quand on pense qu’il est en tort. Le bon piéton marche dans les clous. Il est toujours dans les clous. Il respecte la loi et l’ordre.

Le bon piéton adopte l’attitude qu’on attend de lui

Le bon piéton adopte l’attitude qu’on attend de lui. Contrairement au mauvais piéton, qui répond au téléphone, parle avec d’autres piétons ou regarde ailleurs lorsqu’il traverse la rue, le bon piéton ne fait rien de tout cela. Il est concentré sur sa tâche, qui consiste à bien marcher, tout droit, pas trop lentement ni trop vite, pour ne pas surprendre les autres usagers.

Le bon piéton ne s’habille pas comme il le souhaite. Il porte des vêtement de couleurs claires, comme lui ont appris les autorités en charge de la sécurité routière. Et s’il est goth, il n’a qu’à pas être piéton.

Le bon piéton ne consulte pas son téléphone dans la rue, car cela pourrait laisser penser qu’il est distrait. Or, le bon piéton n’est jamais distrait. Il est toujours attentif au trafic, au cas où il se passerait quelque chose qui l’amènerait à se faire tout petit. Il a des yeux derrière la tête pour voir si un cycliste ou une trottinette arrive derrière lui.

Même s’il marche dans une rue piétonne ou dans un secteur à 30 km/h, le bon piéton sait qu’il se trouve « sur la route ». Il est un « usager de la route », et doit respecter le « code de la route » rédigé en 1921 pour réguler le seul trafic automobile.

Le bon piéton est aux aguets

Le bon piéton est aux aguets. Il écoute le bruit des moteurs, sait distinguer les véhicules selon les vrombissements et accélérations. Évidemment, le bon piéton n’est pas sourd. Il entend parfaitement tous les bruits, sait percevoir l’agacement d’un motard ou le ronronnement d’une camionnette. En revanche, le bon piéton n’écoute pas les paroles qu’on lui adresse à travers la vitre, « plus vite connard ». Le bon piéton sait être sourd quand il le faut.

Le bon piéton apprécie les beaux objets. Il sait reconnaître l’élégance, le prestige, la puissance d’une automobile, la finesse d’une moto. Lorsque passe devant lui un modèle séduisant ou customisé, le bon piéton le suit du regard longtemps, avec envie et jalousie. Le bon piéton aime le bruit des moteurs. Il trouve ça bien et moderne.

Le bon piéton sermonne les mauvais piétons qui donnent une mauvaise image du piéton. Il leur explique qu’ils sont inconscients et dangereux.

Le bon piéton déplore que les honnêtes gens ne puissent pas garer leur véhicule tout près de leur destination. Il sait combien il est difficile de marcher plus de 10 mètres. Comme tout le monde, le bon piéton souhaite qu’on aménage toujours plus de stationnement, quitte à ce qu’on réduise la largeur des trottoirs et qu’on transforme des places piétonnes en parkings.

Le bon piéton sait que l’éducation forge les esprits. Il est heureux que ses enfants suivent assidument les cours de sécurité routière, qu’ils passent un « permis piéton » et qu’ils apprennent à respecter la circulation motorisée.

Le bon piéton dit toujours merci.

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