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« La ferme sera un nouveau repère métropolitain »

La ferme urbaine de Saint-Denis / ©  Sylvain Gouraud
La ferme urbaine de Saint-Denis / © Sylvain Gouraud

Avec près de 50% de terres agricoles, l'Île-de-France n'est pas celle que l'on croit. Ce qu'illustre parfaitement l'exposition "Capital agricole" au Pavillon de l'Arsenal à Paris et dont nous parle son concepteur, l'architecte Augustin Rosenstiehl. Le 24 janvier, il sera l'animateur d'un débat sur le thème "Inventer la ville du futur à partir des champs".

Comment faire pour sensibiliser les urbains aux enjeux de l’agriculture ? 

Augustin Rosenstiehl : Il est dangereux d’opposer la nature, comme lieu de jouissance et de liberté, et l’agriculture comme lieu de production. Le citadin doit réaliser que la question environnementale est une question agricole. C’est méconnaître l’agriculture que de la ramener sans cesse à son business plan. Dès que l’on parle d’agriculture, tout le monde se permet de juger les projets, de débattre de leur nature. Il faut replacer les multiples initiatives existantes dans leur contexte. L’exposition « Capital agricole » s’appuie pour cela sur les portraits photo et audio de sept agriculteurs franciliens rencontrés par Sylvain Gouraud. Ils permettent de rendre compte de la richesse et de la diversité des initiatives locales. 

Quelles mesures faudrait-il prendre pour aider les agriculteurs franciliens à s’installer durablement ?

C’est une vraie question politique. L’agriculture française est subventionnée, ce qui nous déconnecte du vrai coût des aliments et nous conforte dans l’idée que la grande distribution est généreuse puisqu’elle nourrit tout le monde à bas prix. Ceci masque l’énorme gaspillage que cela entraîne, le doute sur la qualité des produits et la déconnexion ressentie par le consommateur. C’est à l’Etat qu’il revient de valoriser l’ensemble des services rendus par nos agriculteurs : retisser du lien social, sécuriser l’alimentation, refabriquer du paysage, protéger la biodiversité et la biomasse. Quelle est la valeur de tout cela face à l’urgence de la crise environnementale mondiale ? L’agriculteur, comme l’architecte, suit le cahier des charges qu’on lui impose. Certains parviennent à s’en extraire, en particulier ceux qui arrivent sans racines dans le milieu et ont plus de facilité à faire autrement. 

La ferme urbaine de Saint-Denis / ©  Sylvain Gouraud
La ferme urbaine de Saint-Denis / © Sylvain Gouraud

En tant qu’architecte, quel regard portez-vous sur le concept de « nature en ville » ?

Ce terme ne me parle pas du tout. C’est un concept illusoire et dépassé. Notre rôle en tant qu’architectes est de reconnecter les immeubles aux champs, en créant les espaces publics entre ces deux milieux. En cela, la ferme constitue un nouveau repère métropolitain, une sorte de porte d’entrée où peut s’imaginer une programmation variée. 

Les circuits courts ne cessent de se développer en Île-de-France et répondent à une demande de plus en plus forte. Le locavorisme est-il une utopie ?

Ce n’est pas une utopie, c’est notre système actuel qui marche sur la tête. En 1891, 80% de ce qui est vendu aux Halles de Paris provient de l’agriculture francilienne. En 1930,  le pourcentage était encore de 60%. A l’échelle mondiale, l’histoire agricole de l’Île-de-France est exceptionnelle, à l’image de celle du croissant fertile au Moyen-Orient ou des terres incas. Cet âge d’or de l’agriculture francilienne fut possible grâce à l’accompagnement de l’Etat, qui a formé et soutenu une élite agricole. Et c’est bien là le problème de nos jours face à un gouvernement visiblement peu convaincu de la cohésion sociale que cela génère. Pourtant ce qu’il se passe autour d’une table et dans les assiettes est le carburant de la société.

Infos pratiques : Exposition “Capital agricole” au Pavillon de l’Arsenal, 21 boulevard Morland, Paris (4e). Jusqu’au 10 février. Ouverture du mardi au dimanche de 11h à 19h. Entrée libre. Visites guidées gratuites tous les samedis et dimanches à 15h. Ateliers « Réveil agricole » les samedis 19 et 26 janvier à 14h30 pour les 6-14 ans (tarif : 7€). Le jeudi 24 janvier à 19h, débat « La ville par la terre ». Entrée libre dans la limite des places disponibles. Plus d’infos sur pavillon-arsenal.com

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