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La Ferme du bonheur en lutte pour ne pas se retrouver sans terre à Nanterre

La Ferme du Bonheur / © Ferme du Bonheur
La Ferme du bonheur à Nanterre / © Ferme du bonheur

A bientôt 30 ans et menacée de fermeture, la Ferme du bonheur, friche "agriculturelle" à Nanterre, a lancé une pétition qui a déjà recueilli plus de 11 000 signatures. Enlarge your Paris est parti à la rencontre du fondateur de ce lieu précurseur dans le Grand Paris, Roger des Près, à qui les Bérurier noir rendaient hommage dans leur chanson Salut à toi.

Comment est née la Ferme du bonheur ?

Roger des Prés : À l’hiver 1992/93, je viens jouer les deux premiers actes de mon spectacle Paranda Oulan – « Cœur aux vents » en tamoul – sous un chapiteau voisin. Or, deux jours avant la générale, j’apprends que je dois vider l’usine où j’avais entreposé tout mon barda. Me voilà donc à faire des allers-retours entre l’usine et le chapiteau. Il s’avère alors que Claude Quémy, le directeur de la culture de la ville de Nanterre flashe sur mon univers. Il me propose de m’installer sur ce terrain qui deviendra la Ferme du bonheur. À l’époque, il s’agit de l’ancienne cour d’une école du début du XXème, démolie depuis peu. Il y a là un vieux saule et c’est un peu le coin où les gens de passage viennent se soulager. Qu’à cela ne tienne, je m’installe avec des tentes militaires récupérées au théâtre de Gennevilliers et deux caravanes. En mai 1993, un petit endroit est en train de naître où je mets ma jument et quelques chèvres.

Comment les choses démarrent-elles ?

En juillet 1993, je lance un premier festival, « Le monde entier est à Nanterre ». Il y a de la danse, de la musique, du théâtre… Pour la journée de clôture, avec un budget équivalent à 4 000 euros, je propose 15 spectacles ; 800 personnes viennent. L’élu aux associations en est et me propose alors de débloquer une subvention exceptionnelle. Je poursuis mes activités publiques et, sous les tentes militaires, les gens assistent à des lectures, des saynètes, mangent de la soupe… Je récupère un bouc qui fait son affaire avec les chèvres. Et ce qui était une blague – « cest la ferme du bonheur, ici ! » – devient tout simplement le nom de l’endroit. Je peux embaucher mon premier salarié en contrat aidé : Orlando, un gars en or massif. Un jour, il m’appelle : « eh, patron ! ». Il avait récupéré 40 poteaux télégraphiques ! C’est ce qui nous a permis de construire notre Favela-théâtre. Je vais y jouer tous les soirs durant un an et demi Le Rêve d’un homme ridicule de Dostoïevski. René Solis, le critique théâtre de Libération y consacre un article. Je me souviens encore de ce qu’il a écrit : « À la Ferme du bonheur, entre poules et chèvres, Roger des Prés revit « Le Rêve d’un homme ridicule ». Rassérénant. » C’est exactement ça : dans le maelström contemporain, on crée des moments de sérénité. Après cet article, étrangement, la commission de sécurité passe. Puis on reçoit la visite des architectes Patrick Bouchain et Jean Nouvel.

Pour vous, quels sont les moments emblématiques de ces trente ans de Ferme du Bonheur ?

Des temps forts, il y en a eu tellement… Plus que de moments, je préférerais parler de sentiments. Parce que la Ferme, c’est un État dans l’État. Une parenthèse dans l’espace et le temps. Malgré l’A86, l’A4, malgré les nationales, la prison toute proche, le couloir aérien au-dessus de nos têtes, on a réussi à créer un endroit où l’on propose du théâtre, du cinéma, de la musique, de l’action sociale, de la pédagogie, de la formation, des sciences, et où se croisent des publics qu’on ne verrait jamais se mélanger ailleurs. Et, ce qui est béni, c’est que tous réclament de l’altérité. Il y a aussi la puissance poétique d’un paysage. On a quand même réussi à créer un poumon vert en ville ! En 2008, en plus de la Ferme, nous prenons l’autorité – c’est-à-dire la responsabilité, pas le pouvoir ! – sur ce que nous allions appeler le Champ de la Garde : quatre hectares qui constituent la dernière parcelle libre de l’Opération d’intérêt national (OIN) Seine-Arche. Tous les dimanches, le public peut venir nous aider à y travailler, ressusciter cette terre meurtrie. Cette même année 2008, nous entamons les Rendez-Vous au jardin avec balades, théâtre, conférences… Il y a des gens qui me disent : « Quand je suis ici, j’ai comme un flash. J’ai l’impression d’être chez ma tante dans le Périgord» Ou bien : « Venir ici, c’est un moment d’optimisme» Vous vous rendez compte ? On m’intime une responsabilité sacrément grave !

La mairie vous a retiré votre autorisation pour accueillir du public, ce qui fragilise considérablement la survie de la Ferme. Vous avez lancé une pétition pour sauvegarder le lieu. Pourquoi faut-il que cet endroit continue selon vous ?

Ce serait prétentieux de répondre soi-même à cette question. Une chose est sûre : la fin de la ZAC Seine-Arche a un impact sur la Ferme et le Champ de la Garde. Le maire dit, en gros, que la Ferme a été visionnaire, a préfiguré un mouvement, mais que, maintenant, il faut être sérieux (sic !). Un appel d’offres devait être lancé pour un projet alliant agriculture et culture… Ce qui est précisément ce qu’on fait depuis trente ans ! Moi, je ne veux pas de mobilier urbain, je veux un jardin en mouvement. Parce que la seule révolution qui vaille, c’est la révolution permanente. Ici, je ne rêve pas, je travaille ! Alors oui, cela donne un tout qui peut sembler un peu incompréhensible mais qui, pourtant, est d’une cohésion folle. Et surtout, il en résulte un lieu atemporel. Cela me rappelle ce que m’avait dit une visiteuse une fois : « La Ferme du bonheur, je n’y vais pas tout le temps. Mais je sais qu’elle est là. C’est l’essentiel ! »

Infos pratiques : la Ferme du bonheur, 220, avenue de la République, Nanterre (92). Accès : gare de Nanterre-Université (RER A). Plus d’infos sur lafermedubonheur.fr

Vous pouvez rejoindre les 11 000 signataires de la pétition pour sauver la Ferme du bonheur sur mesopinions.com

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