
Jusqu'au 13 juin, la Philharmonie de Paris consacre une exposition au chef-d’œuvre de Maurice Ravel, le Boléro. Un tube planétaire qui a vu le jour en banlieue dans la maison du compositeur ouverte à la visite à Montfort-l'Amaury. John Laurenson en a poussé les portes.
Depuis 2023, le journaliste et correspondant pour la BBC John Laurenson partage avec nous son regard sur la banlieue à travers la série « Le Grand Paris est une fête », en hommage au Paris est une fête d’Ernest Hemingway.
Pénétrez dans cette maison et vous le sentirez tout de suite : ceci n’est pas un musée. Pas un musée normal en tout cas. Les visites, uniquement guidées et pour un maximum de six personnes, se font sur rendez-vous. Mais surtout, passé la porte, vous êtes transporté un siècle en arrière. Rien, ou si peu, n’a été touché depuis la mort de Ravel. On se surprend à chuchoter comme s’il était en train de composer dans la pièce d’à côté.
Maurice Ravel (1875-1937) était, avec Claude Debussy (1862-1918), l’un des grands compositeurs français du siècle dernier. Tout le monde ou presque connaît le Boléro, cette œuvre orchestrale irrésistible d’un seul et long crescendo. Ce tube, c’est à Montfort-l’Amaury (Yvelines) qu’il l’a composé, tout comme ses pièces pour piano à l’instar de la Pavane pour une infante défunte ou Gaspard de la nuit. Des œuvres que vous n’écouterez plus de la même façon après avoir visité sa maison.
« Elle possède deux visages. L’extérieur est un peu sombre, un peu raide, mais l’autre côté, côté jardin, c’est un balcon ouvert sur la forêt, sur un paysage infini. Ravel lui-même était d’extérieur un peu raide, un peu mystérieux, mais quand on pénètre dans cette maison et qu’on ouvre les fenêtres sur la campagne, on découvre, je crois, l’esprit de Maurice Ravel », confie la conservatrice des lieux Anne Million, dont le nom de jeune fille, Anne Fontaine, est le même que celui de la réalisatrice du film Boléro sorti l’an dernier et dont une grande partie a été tournée au Belvédère.
Ravel, « enlargeur » avant l’heure
Ravel a grandi à Paris. Il a vu la tour Eiffel sortir de terre. Longtemps, il est resté avec ses parents et son frère dans la maison familiale. Quand la Première Guerre a éclaté, il s’est porté volontaire et a servi comme camionneur dans un régiment d’artillerie, acheminant des munitions aux troupes. Le Tombeau de Couperin, l’une de ses compositions pour piano les plus jouées, est une suite de pièces dont chacune est dédiée à un ami mort au front.
« Enlarge your Paris ? C’est ce qu’a fait Ravel ! », s’amuse Anne Million. Peu après sa démobilisation, il voulait la paix et fuir les distractions parisiennes pour se concentrer sur son travail. Il souhaitait une maison à moins de 40 kilomètres de Paris. Il tombe sur la jolie petite ville de Montfort-l’Amaury et, à 46 ans, quitte la demeure de ses parents. Il n’a jamais possédé d’autre maison que le Belvédère, et y a mis son âme. Au Belvédère, on voit Ravel partout, dans tout.
On le retrouve ainsi dans l’attention très précise qu’il a mise dans le choix et l’agencement de ses meubles et dans la décoration que, sortant pinceaux et couleurs, il faisait souvent lui-même. Il peint sur ses murs, ses chaises, et même sur la cheminée de son salon. C’est un homme petit de taille et gracieux ; il aime danser sur le jazz mais aussi s’en inspirer dans sa musique. Jazz est d’ailleurs le nom qu’il a donné à son fox-terrier. On l’imagine bien se faufiler dans cette demeure tout en petites pièces et en couloirs et escaliers étroits.
Le compositeur n’a vécu aucune histoire amoureuse documentée. Un vieux garçon à la sexualité refoulée ? Vraisemblablement pas puisque, me glisse Anne Million, on sait qu’à Paris il allait voir les filles. Mais c’est un homme seul qui vit dans une foule d’objets parfois un peu étranges qu’il trouve beaux ou amusants : des tasses à café trouées, un Chinois qui tire la langue, un petit oiseau en cage mécanique qu’il remonte et pose sur son piano pour qu’il chante pendant qu’il joue.
Un promeneur solitaire (et nocturne)
Anne Million a laissé échapper qu’elle jouait du piano ; quand nous rentrons dans la salle de composition, avec son bel Érard en palissandre et sa fenêtre qui offre une vue splendide sur la vaste forêt de Rambouillet, je lui demande si elle ne pourrait pas me jouer quelque chose. Elle va chercher une partition, revient, se pose, prend une inspiration et entame le mouvement lent du Concerto en sol que Ravel a écrit ici. C’est un moment sublime : ces harmonies, son jeu, le son très rond et chaleureux qui remplit ce petit salon… « Ce morceau, dit Anne, me fait penser à Ravel qui était insomniaque et qui adorait marcher dans la forêt de Rambouillet, même la nuit. » Le rythme, en effet, c’est celui des pas de la marche. L’air est une mélodie d’errance. Un peu comme dans un morceau de jazz, on ne sait pas où l’on va.
Et la musique ne fait que commencer. Le jour de ma visite, le 7 mars dernier, il s’agissait de l’anniversaire de Ravel. Événement que l’on célèbre depuis un certain temps ici par un concert sur le balcon. L’auditoire se rassemble dans le petit jardin en contrebas où l’artiste a fait planter des arbres nains. À l’époque, il faisait venir ici des amis dont les compositeurs anglais et russe Vaughan Williams et Prokofiev. Il leur offrait à dîner les légumes de son potager. Il n’est plus là, mais son hospitalité demeure…
Infos pratiques : maison-musée Maurice Ravel, 5, rue Maurice Ravel, Montfort-l’Amaury (78). Visites guidées exclusivement. Réservation via tourisme@montfortlamaury.fr. Tarifs : 11 € (plein tarif), 5 € (12 à 18 ans), gratuit pour les moins de 12 ans. Plus d’infos sur montfortlamaury.fr / Samedi 25 janvier, la maison Ravel accueille la pièce de théâtre « Votre dévoué, Maurice Ravel » qui trace un portrait de Maurice Ravel à travers sa correspondance avec la violoniste Hélène Jourdan-Morhange. Tarif : 15€, gratuit pour les moins de 18 ans. Réservations au 01 34 86 14 70
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5 janvier 2025 - Montfort-l'Amaury