Culture
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« En 25 ans, le hip-hop a acquis une reconnaissance considérable »

Les Forains, choregraphiépar Anthony Egéa / © Planchenault
Les Forains, spectacle de hip-hop choregraphié par Anthony Egéa au programme de Surenses Cités Danse / © Planchenault

Du bitume aux scènes des théâtres, le hip-hop s'est imposé comme un art à part entière célébré depuis un quart de siècle par le festival Suresnes Cités Danse, qui se déroule du 6 janvier au 5 février. Son fondateur, Olivier Meyer, revient sur cette histoire.

L’origine du hip-hop en quelques mots ?

Olivier Meyer : La pratique a émergé en marge des grandes villes, dans les quartiers défavorisés, comme le Bronx à New York. C’était une danse de performance, éminemment masculine. Ce mouvement de rue cherchait à transformer la violence sociale en propositions artistiques. La danse ne doit pas être isolée de la musique hip-hop et du street-art, c’est un tout. Les performeurs sont dans une volonté de “vivre-ensemble”. Les origines américaines remontent à plus de trente ans. La France s’est réveillée quelques années plus tard. C’est grâce à son exception culturelle puissante qu’elle est entrée dans le jeu. Dès les années 80, notamment grâce à la politique novatrice de Jack Lang, l’émergence de nouvelles expressions artistiques a été favorisée.

En 1993, qu’est-ce qui vous pousse à créer le premier festival de hip-hop en France ?

C’est avant tout l’histoire de deux rencontres : à Montpellier, avec les danseurs du quartier de la Paillade et le chorégraphe Doug Elkins, puis à New-York bien sûr, avec le Rock Steady Crew et la star du voguing Willy Ninja. A l’époque en France, il n’y avait pas de spectacles de hip-hop susceptibles d’occuper une scène de théâtre, d’animer toute une soirée. Des initiatives existaient mais elles n’étaient pas promues par les médias ni regroupées lors d’un temps fort. Les danseurs ne s’organisaient pas en tant que compagnies, la pratique était encore très individuelle. C’est pourquoi nous avons créé le festival. En vingt-cinq ans, ce qui est peu dans l’histoire de la danse, le hip-hop a acquis une reconnaissance institutionnelle considérable.

 Concrètement, comment le festival a-t-il permis à cette pratique de rue qu’est le hip-hop de prendre une autre dimension ?

Dans les années 90, il y avait de nombreux danseurs mais très peu de chorégraphes. La marque de fabrique du festival fut donc d’initier des temps de rencontres entre les chorégraphes contemporains et les danseurs hip-hop. Je me suis donné comme défi d’introduire le hip-hop sur scène avec les moyens de production dont disposent les théâtres. Il s’agissait de donner droit de cité à de nouvelles formes de danse. On assistait à des chocs d’univers lors des premières auditions. Les danseurs hip-hop devaient accepter de pratiquer sur la musique classique que chérissaient les chorégraphes. C’étaient de véritables interprètes. Nous souhaitions faire vivre le hip-hop dans sa diversité. C’est en réinventant et en renouvelant perpétuellement notre programmation que nous avons tenu vingt-cinq ans. Progressivement, les danseurs sont devenus chorégraphes, directeurs de compagnies et même directeurs de centres chorégraphiques nationaux si l‘on prend les cas de Mourad Merzouki ou Kader Attou.

Que pensez-vous de cette polémique encore existante sur le manque de parité au coeur dans le hip-hop ?

Le talent des danseuses a toujours existé, encore fallait-il l’exposer. A Suresnes, nous avons toujours mis un point d’honneur à mettre les femmes en avant. Des artistes comme Laura Scozzi ou Blanca Li ont chorégraphié des oeuvres sublimes à nos côtés, diffusées ensuite sur d’autres grandes scènes. Aujourd’hui, les femmes sont de plus en plus nombreuses mais elles n’ont pas la même façon de s’engager dans le mouvement. Il est difficile de comparer leur technique à celle des hommes. Elles apportent autre chose. Cependant, on peut trouver de l’acrobatie chez les danseuses et de la fantaisie chez les danseurs. Quoi qu’il en soit, fille ou garçon, peu importe. La particularité de cette danse réside dans le fait que les danseurs ont envie de partager leur plaisir, comme une urgence à la générosité.

En 2007 vous lancez « Cités danse connexions » avec pour objectif de mettre en avant les danseurs émergents. En quoi est-ce un complément du festival ?

L’idée première est de faire perdurer les échanges initiés lors du festival, de tisser un réseau et d’alimenter une créativité en ébullition tout au long de l’année. Le centre est un lieu d’accueil permanent, d’accompagnement et de professionnalisation. Il mène également des actions de sensibilisation auprès des scolaires. Enfin, il nous permet d’identifier de nouvelles personnalités afin de nourrir le festival. C’est un moteur indispensable.

Le spectacle Pixel de Mourad Merzouki, crée en 2014, a fait sensation. L’intégration de l’art numérique au spectacle vivant est devenue une tendance forte. Est-ce une évolution souhaitable selon vous ?

Mêler la technologie à la chorégraphie est une opportunité formidable. L’art numérique permet d’amplifier l’émotion et l’énergie du mouvement des danseurs. Néanmoins, cela doit rester un moyen et non un objectif en soi. Il ne s’agit pas de faire du spectacle son et lumière mais de créer des histoires spectaculaires par le biais du numérique. Aujourd’hui il faut aussi savoir revenir à des choses simples. Le critère digital est devenu central pour toute production contemporaine mais ne fonctionne pas toujours. Pour Pixel, Mourad a fait appel à une équipe d’artistes numérique. C’est une réalisation à part entière et c’est pour cela que le résultat est bluffant !

 Pouvez-vous dire un mot sur le spectacle coordonné par Farid Berki qui fera l’ouverture du festival ce week-end ?

Le spectacle est une commande du théâtre de Suresnes. Le pari est fou : 25 ans donc 25 danseurs sur le plateau, après seulement cinq répétitions. L’idée est de présenter un panorama de ce qui a fait connaître le festival durant toute son histoire. Il y aura différentes séquences et des styles musicaux très différents (électro, jazz, classique etc). Malheureusement, je n’ai pas obtenu la parité dont nous parlions précédemment puisqu’il n’y a que neuf filles… C’est une fête dont Farid est le chef d’orchestre, et non une chorégraphie. Nous célébrons la joie de danser ensemble, en se remémorant notre parcours et en partageant nos ambitions futures.

Infos pratiques : Festival Suresnes Cité Danse, du 6 janvier au 5 février. Plus d’informations sur suresnes-cites-danse.com