Culture
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Aubervilliers, la culture sous toutes ses coutures

La Villa Mais d'Ici / © Chris Perraudin
La Villa Mais d’Ici / © Chris Perraudin

A Aubervilliers, il y a la scène In avec notamment le théâtre de la Commune ou le cirque Zingaro, et il y a le off incarné par des collectifs d'artistes tels que Carbone 17 et Lazer Quest. Un melting pot culturel que nous raconte le journaliste Arnaud Idelon.

 

Si elle a inspiré de longs vers à Prévert, des scènes mémorables à Marcel Carné et des complaintes aigres-douces à Mano Solo, c’est peut-être parce que la ville d’Aubervilliers est une source d’inspiration inépuisable pour nombre d’artistes attentifs à son patrimoine industriel, sa mémoire ouvrière et le multiculturalisme qui se fait sentir ici à tout coin de rue. Celle qui reste l’une des communes les plus pauvres de l’Hexagone n’en est pas moins une place forte de la culture sous toutes ses formes dans le 93 et n’a que très peu à envier à ses voisins de l’autre côté du périph’ : les 18e et 19e arrondissements parisiens. “Aubervilliers possède une vie culturelle riche et dynamique, je ne sais pas où donner de la tête. Le tissu associatif y est extraordinaire”, confie Samia Khitmane, responsable cinéma et patrimoine au sein de la Ville. C’est qu’aux nombreux équipements culturels et à la vie associative qui s’épanouit à Aubervilliers répond une scène culturelle alternative bouillonnante et sans complexe, qui fait bouger les lignes (et les nuits) du paysage culturel du Grand Paris.

Mais avant d’évoquer cette face B, il convient de s’intéresser d’abord à la face A, même si à Aubervilliers scènes officielles et scènes alternatives ont tendance à se frotter. A l’image du dernier Festival des Solidarités en décembre dernier, qui a vu la Maison des associations prendre possession de l’antre indé de la Station – Gare des Mines porte d’Aubervilliers (19e), jusqu’alors plutôt connue pour ses concerts pointus, ses projections en plein air de films d’auteurs et ses afters interminables. Avec l’incontournable théâtre de la Commune, le très convivial Espace Renaudie, le CAPA dédié aux arts plastiques et la salle de concerts l’Embarcadère, facilement reconnaissable avec sa carapace de verre et d’acier, Aubervilliers se donne les moyens côté culture.

Une offre qui ne se limite pas aux équipements municipaux avec en figure de proue le cirque Zingaro, installé en lisière du fort d’Aubervilliers depuis 1989. A quelques dizaines de mètres, les Laboratoires sont un ovni de la scène culturelle francilienne. Ce centre de création dédié à l’art contemporain et aux enjeux sociétaux est mu par la volonté d’inclure les habitants dans sa programmation. Raison pour laquelle il multiplie rencontres, ateliers et conférences tout en veillant à s’inscrire dans le long terme avec des projets artistiques sur trois ou quatre ans qui explorent une thématique contemporaine (le monde du travail, la médicalisation de la société, etc.) au gré de résidences transdisciplinaires d’écrivains, de chorégraphes ou encore de photographes. Ce n’est pas tout. Les Laboratoires hébergent aussi l’un des projets les plus singuliers d’Aubervilliers : le jardin participatif porté par l’association La Semeuse qui n’en finit plus de susciter des vocations de jardiniers.

Les Laboratoires d'Aubervilliers / DR
Les Laboratoires d’Aubervilliers / DR

 

La Villa Mais d’Ici, l’antithèse de la Villa Médicis de Rome

Passons maintenant à la Face B en commençant par la Villa Mais d’Ici, antithèse de la Villa Médicis de Rome, s’est installée dans une ancienne usine de charbon. En poussant la porte rouge vif de la cour, on pénètre dans une cour ornée de fresques où trône un grand hangar qui abrite une quinzaine de compagnies en résidence. La Villa Mais d’Ici est toute entière dédiée aux arts vivants (théâtre, cirque, fanfares, etc.) et ouvre régulièrement ses portes au public pour des spectacles en tous genres. C’est un peu la même histoire du côté des Poussières, association culturelle hyperactive qui s’est créé un lieu magique, aux allures d’atelier à la Jules Vernes. Les Poussières appartiennent à ces structures qui font bouger les lignes et réaffirment le rôle de la culture et de l’artiste dans la ville. Dès qu’elle le peut, l’association s’exporte hors-les-murs avec entre autres son projet « Lanternes, lumières sur la ville » centré sur la construction participative de lanternes par les habitants et qui donne lieu chaque année depuis 2012 à une déambulation nocturne pleine de poésie dans les rues d’Aubervilliers.

Nouveau venu depuis juin 2016, le collectif MU a pris place porte d’Aubervilliers (18e) dans la Station – Gare des Mines, ancienne gare à charbon devenue entre-temps boîte de nuit caribéenne puis squat, avant que SNCF Immobilier, propriétaire du site, ne lance son appel à projets “Sites artistiques temporaires” . Depuis, la porte d’Aubervilliers est devenue un haut lieu de la culture indé. Après une première saison de concerts en extérieur qui a vu défiler plus de 500 artistes et 30.000 visiteurs, le collectif a pris possession des espaces intérieurs en 2017 pour y développer des soirées électro. Forts du prolongement de leur bail avec SNCF Immobilier, les maîtres des lieux remettent le couvert en 2018 avec comme nouveautés des résidences d’artistes, des projections ainsi que des débats.

Une ville prisée par les collectifs d’artistes

Dans la même veine que la Station – Gare des Mines, moult initiatives portées par de jeunes collectifs d’artistes viennent se nicher dans les interstices laissés vacants dans cette ville au riche passé industriel. De son poste de responsable cinéma et patrimoine au sein de la mairie, Samia Khitmane est une observatrice attentive de cette effervescence. “Je sens depuis deux ou trois ans qu’énormément de collectifs d’artistes souhaitent s’installer à Aubervilliers. Les rendez-vous n’en finissent plus. Tous ces collectifs ont une volonté de travailler main dans la main avec la ville. Aujourd’hui, on compte plus de 200 artistes installés à Aubervilliers.” Parmi eux, la vingtaine d’artistes fraîchement sortis des Beaux-Arts regroupés au sein du Houloc, un lieu qui mêle ateliers, espaces de création et d’exposition. Mis à part que l’on s’y caille franchement en hiver, comme le confesse l’un des résidents, l’endroit est devenu le point de chute des aficionados d’art contemporain et de friches culturelles. Une dynamique qui verra prochainement la très pointue revue LeChassis, dédiée à la jeune création, s’installer à Aubervilliers.

Plus underground encore, on trouve les siamois de Carbone 17 / Lazer Quest sis rue des Postes, à deux pas de la station de métro Aubervilliers – Pantin – Quatre Chemins (ou Quatre fromages selon les indications des maîtres des lieux). Carbone 17 est un squat géré par une communauté d’artistes qui ont fait leur atelier de cet ancien centre de Protection maternelle et infantile incendié. Un lieu qui s’ouvre régulièrement au public au gré de la programmation du collectif Lazer Quest qui organise expositions, concerts, soirées electro, performances ou encore séances collectives de tatouage, lancements de fanzines et défilés de vélos tunnés. Et lorsque l’on demande à Iris et Mike, les fondateurs de Lazer Quest, ce qui fait leur ligne artistique, les deux compères résument la chose ainsi : “on n’est pas des galeristes, on ne met pas de tableaux aux murs. C’est pas notre travail, et d’autres le font bien mieux que nous. Nous, on fait en sorte que les scènes artistiques transpirent, se touchent, se troublent entre elles”. Une invitation à venir s’immerger dans ce lieu toléré par la mairie mais totalement indépendant et où priment la débrouille, le Do It Yourself et l’envie de surprendre à chaque fois un public toujours plus nombreux. Un public ouvert et varié selon Iris et Mike. “En passant le périph’, on avait peur de perdre ceux qui nous suivaient à Paris. C’est la fameuse barrière mentale qui fait dire « ah ouais non, c’est trop loin ». Mais en vrai, les jeunes artistes n’ont pas de problème avec ça, les fidèles restent, et on a des gens vraiment intéressés qui font la démarche de se déplacer. Alors on a sans doute moins de Parisiens qu’avant, mais on a gagné un public de quartier, des gens d’Aubervilliers ou de Pantin qui sont ravis de découvrir ce qu’il se passe près de chez eux. On a aussi des curieux qui viennent de loin. On a de tout en fait car tout le monde est en demande ! Et puis avec le Grand Paris, il y a cet état étrange où tout semble en friche, sur le point de se construire. Ici, à Aubervilliers, on a la chance d’être toléré. C’est vraiment rare. C’est assez excitant cet état de grâce où on te laisse agir.

Impossible donc de s’ennuyer à Aubervilliers. D’autant plus qu’une nouvelle friche verra le jour cet été lorsque seront désignés les lauréats qui auront la charge d’animer la Halle 1 du fort d’Aubervilliers durant la phase précédant les travaux. On parie sur une belle surprise. 

In Situ Art festival au fort d'Aubervilliers en 2014 / © Lionel Belluteau
In Situ Art festival au fort d’Aubervilliers en 2014 / © Lionel Belluteau

 

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