Culture
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Quand les théâtres se mettent en cuisine

Le café-restaurant de la MC93 à Bobigny / © MC93
Le café-restaurant de la MC93 à Bobigny / © MC93

Du théâtre La Piscine à Châtenay-Malabry en passant par la MC93 à Bobigny ou le T2G à Gennevilliers, les théâtres prennent goût à la gastronomie en ouvrant leur propre restaurant. Une manière d'élargir leur public et de créer de nouveaux espaces de rencontre.

Ce n’est pas parce qu’on aime brûler les planches que l’on doit se contenter de servir des plats réchauffés. C’est en tout cas la volonté de certains théâtres publics du Grand Paris, qui n’hésitent pas à mettre à l’affiche une véritable offre culinaire. Plus question de sandwichs triangles et de sodas industriels, place à la bonne chère et au sens de l’accueil midi et soir. C’est le cas du T2G à Gennevilliers (Hauts-de-Seine) dont le restaurant Youpi au théâtre est tenu par le duo formé par Patrice Gelbart et Stéphane Camboulive, bien connus des amateurs de très bonnes tables parisiennes.

Depuis 2018, les deux amis d’enfance proposent une gastronomie saine et populaire dans ce théâtre où public et artistes peuvent se croiser. Il en est de même au théâtre La Piscine à Châtenay-Malabry (Hauts-de-seine) avec son restaurant Les Machines ainsi qu’à la Guinguette du Pavillon de Romainville (Seine-Saint-Denis) ou encore au café-restaurant de la MC93 (Seine-Saint-Denis). Alors pourquoi ce mariage entre culture et cuisine ?

Des espaces moins chers qui permettent de faire baisser les prix de la carte

L’une des raisons est économique. Grâce aux subventions perçues par les théâtres, les restaurateurs bénéficient de tarifs attractifs pour la location de l’espace. Résultat, il est plus facile de proposer des plats à des prix abordables quand on paye un loyer moindre. On peut ainsi s’offrir un menu complet pour 14 € à la Guinguette du Pavillon de Romainville ou à 20 € chez Youpi à Gennevilliers, savourer un copieux plat de lasagnes végétariennes pour 10 € à la Piscine ou déjeuner d’une formule veggie à 19 € à la MC93.

Actuel directeur du T2G de Gennevilliers, Daniel Jeanneteau souhaitait un restaurant de qualité qui reste accessible. « Daniel a fait installer un potager en permaculture sur le toit du théâtre. Nous avons répondu à son appel d’offres notamment parce que l’idée de pouvoir travailler les légumes, les plantes aromatiques, les fleurs comestibles et les fruits cultivés sur place nous a séduits », explique Patrice Gelbart.

Malgré cette production tombée du ciel, les deux acolytes doivent toutefois se creuser la tête pour garantir des prix bas sans rogner sur la qualité compte tenu de l’inflation : « Mais nous ne sommes pas ici pour gagner de l’argent. C’est un engagement de notre part. Le théâtre de Gennevilliers bénéficie des aides de l’État. C’est presque un devoir de montrer l’exemple en matière de restauration dans un théâtre public. Y servir du Coca et des plats industriels n’aurait aucun sens, tout comme y pratiquer des prix prohibitifs ! », estime Patrice Gelbart. La promesse est tenue avec au menu le jour de notre venue de la betterave fondante et sucrée en entrée suivie de généreux travers de porc accompagnés d’étonnants tubercules de capucines.

L’état d’esprit est le même à la Guinguette du Pavillon à Romainville, qui se fournit à la Cité maraîchère toute proche. « La mairie nous a demandé qu’il y ait au moins une proposition végétarienne par jour », précise Maud Desbordes, coordinatrice des lieux, qui nous recommande de « goûter ce délicieux coulis que l’on a créé avec des trognons de pommes ! »

Youpi au théâtre de Gennevilliers / © T2G
Youpi au théâtre de Gennevilliers / © T2G

Une invitation à pousser la porte des théâtres

Une autre bonne raison d’introduire la gastronomie au théâtre, c’est qu’elle est une invitation à en franchir le seuil. « Pour beaucoup, la porte du théâtre reste encore bien lourde à pousser. Le théâtre souffre encore trop de son image élitiste », constate Marc Jeancourt, le codirecteur du théâtre La Piscine. C’est pourquoi le restaurant Les Machines a été conçu comme une « place de village » où tout le monde peut se croiser. En ce mercredi où nous choisissons de nous y attabler, nous croisons d’ailleurs une myriade d’enfants venue profiter des activités proposées, une grande tablée de collègues de bureaux, un homme le nez rivé sur son écran et des retraités qui déjeunent tout en louchant sur le programme du théâtre. Pour Marc Jeancourt, « il était très important que les patrons des Machines deviennent également des programmateurs avec des dégustations, des concerts et des expositions. »

À Romainville, « le premier week-end d’ouverture de la Guinguette, les responsables du théâtre nous ont dit avoir vendu 35 abonnements », témoigne Maud Desbordes. Du côté du T2G à Gennevilliers, des offres tarifaires ont été créées pour ceux qui souhaitent dîner et aller au spectacle, tandis qu’à la MC93 un spectacle est offert au bout de dix repas au restaurant. « En plus de proposer une cuisine maison avec des ingrédients de saison issus de petits producteurs, nous souhaitons construire des ponts entre le théâtre et le restaurant », explique Laëtitia Péjoine, la responsable de la table de la MC93. C’est ainsi que sont proposés régulièrement des spécialités en rapport avec les spectacles joués.

Quand le théâtre devient tiers-lieu

« Rencontrer les spectateurs après une représentation prolonge le spectacle. Et nous, comédiens, adorons ce temps d’échange avec le public autour d’un verre ou d’un plat. Sans mauvais jeu de mots, nous nous nourrissons de ces rencontres, se réjouit Agathe L’Huillier. En banlieue comme dans d’autres villes en France, il arrive que le restaurant du théâtre soit d’ailleurs le seul endroit ouvert quand la représentation se termine ! »

En se mettant aux fourneaux, le théâtre tend donc à devenir un tiers-lieu. « Notre restaurant bénéficie de grandes baies vitrées qui donnent envie d’y entrer, décrit Maud Desbordes. Tout le monde peut ensuite y rester le temps qu’il veut. Nous voyons des assistantes maternelles qui viennent avec les enfants qu’elles gardent, des jeunes télétravailleurs, des artistes en répétition… Tout ce joyeux monde se mélange. Cela favorise les rencontres»

L’enjeu, selon Marc Jeancourt, est de faire en sorte que le théâtre ne se limite pas à sa programmation artistique. « Se rendre au théâtre ne consiste pas seulement à assister à un spectacle. C’est bien plus que cela. C’est peut-être un peu abstrait mais notre critère d’accueil est tout simplement… la vie ! Le metteur en scène Peter Brook disait qu’un bon spectacle est la quantité de vie qui passe entre la scène et la salle. » Quant à son homologue Louis Jouvet, il nous invitait à « mettre de l’art dans sa vie et de la vie dans son art ». Quoi de mieux qu’un théâtre pour nous y aider ?

Infos pratiques : retrouvez plus d’infos sur les restaurants des théâtres de Bobigny, Gennevilliers, Châtenay-Malabry et Romainville sur mc93.com, theatredegennevilliers.fr, l-azimut.fr et ville-romainville.fr

Les Machines au théâtre La Piscine à Châtenay-Malabry / © Virginie Jannière pour Enlarge your Paris
Les Machines au théâtre La Piscine à Châtenay-Malabry / © Virginie Jannière pour Enlarge your Paris

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