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Raphaëlle Butteau, caviste : « Je reste optimiste quant à l’acceptation des femmes dans le monde du vin »

Raphaëlle Butteau a ouvert sa cave « Elle a du vin » en 2019 à Cachan dans le Val-de-Marne / © Raphaëlle Butteau / Elle a du vin

Alors que « Les Trinqueuses », le premier Salon des vigneronnes, ouvre ses portes à Paris le 13 avril, une étude universitaire a montré que les consommateurs souhaitaient payer moins cher les bouteilles produites par des femmes. Qu’en pensent-elles ? Enlarge your Paris est allé prendre le pouls des femmes dans le monde du vin auprès de Raphaëlle Butteau, caviste à Cachan.

Avez-vous le sentiment qu’il est plus difficile de vendre du vin produit par des femmes ?

Raphaëlle Butteau : Non. C’est même souvent l’effet inverse chez « Elle a du vin ». Mais j’ai évidemment tendance à penser que les habitués de mon enseigne sont déjà sensibilisés à la présence des femmes dans le milieu de l’œnologie. Il faut aussi reconnaître que les femmes ont déjà fait beaucoup de chemin dans le monde du vin : nous sommes loin du temps où leur présence était interdite dans le chai sous prétexte que leurs menstruations pouvaient faire tourner le vin ! Par ailleurs, cette joie de voir évoluer le monde du vin ne doit pas cacher qu’il subsiste de nombreuses violences sexistes dans ce milieu, comme ailleurs ! Mais le vin reste a fortiori un milieu traditionnellement très masculin, ce qui n’aide pas. La vigneronne Isabelle Perraud entend dénoncer le harcèlement, le sexisme et les violences sexuelles dans le monde du vin avec « Paye ton pinard », le compte Instagram et l’association du même nom.

Vous-même, vous êtes-vous sentie bien accueillie dans ce milieu ?

J’ai peut-être eu de la chance, je ne sais pas, mais j’ai toujours été très bien reçue chez les vignerons. En revanche, je ne peux pas cacher que, lorsque j’ai débuté, à 27 ans, j’ai pu faire les frais d’accueils plutôt mitigés lors de deux ou trois dégustations dans des salons… Mais cela dépasse le monde du vin, le sexisme est quand même encore assez courant ! Les médias, eux, parlent désormais davantage des femmes dans le monde viticole, et il existe de plus en plus de femmes cavistes et œnologues. Les résultats de l’étude sur les vins produits par des femmes ne sont pas si étonnants mais je reste optimiste pour l’acceptation des femmes dans ce milieu. Ce Salon des vigneronnes est une bonne nouvelle, comme le succès en librairie de In vino femina d’Alessandra Fottorino et Céline Pernot-Burlet (éd. Hachette), un ouvrage qui compte dans la mise en lumière de femmes dans ce milieu. C’est un travail global qui aide à la reconnaissance des femmes : les multiples initiatives comme le Salon, le roman graphique que je viens d’évoquer, le travail de l’association Paye ton pinard… sans oublier les médias qui aident énormément à faire bouger les choses en mettant en lumière ces initiatives.

Dans votre pratique de caviste, mettez-vous plus volontiers en valeur les productrices plutôt que les producteurs ?

Je ne fais pas de discrimination positive, ni négative d’ailleurs ! En réalité, il est rare qu’un vin soit produit par une personne seule. C’est bien souvent une affaire de famille ou de couples, à la tête des domaines. Il y a quelques années, on ne voyait que le nom de l’homme sur les étiquettes, c’est moins le cas. Certes, c’est encore assez lent mais le phénomène est là. Cela s’explique aussi parfois parce que les femmes souffrent plus facilement du fameux syndrome de l’imposteur, et pas uniquement dans le vin ! Je pense notamment au Domaine de l’étranger tenu par le couple formé par Laura Rebessi et Paulo Almeida. Laura a longtemps hésité à accoler son nom à celui de Paulo Almeida sur les bouteilles car elle doutait de sa légitimité à le faire…

Le vin produit par des femmes possède-t-il néanmoins quelques spécificités ?

Je voudrais surtout donner un grand coup de pied aux fesses aux préjugés autour des fameux vins prétendument masculins ou féminins. Je connais énormément de femmes qui aiment les vins puissants et tanniques. On observe la même chose avec les spiritueux : les femmes peuvent apprécier des whiskys tourbés. D’ailleurs, je travaillais avec deux femmes auparavant très calées en spiritueux. En réalité, tout cela n’est que travail ; il faut juste s’exercer le palais pour apprécier certaines saveurs.

Que pensez-vous des Trinqueuses, ce Salon des vigneronnes à Paris ?

On va évidemment reprocher aux organisatrices la non-mixité, mais c’est aussi grâce à ce genre d’événements que les femmes peuvent sortir de l’invisibilité. Je trouve donc qu’il est très important que ce Salon existe.

Pourriez-vous nous conseiller votre top 3 des vins de femmes ?

J’aime beaucoup le vin de Julia Joyandet, du domaine de la Pâturie, un IGP Pays de Franche-Comté avec des cépages de pinot noir, pinot gris et chardonnay. C’est très bourguignon dans le style et très réussi. J’aime aussi un Morgon qui provient du domaine de la Bonne Tonne, un domaine familial tenu par Anne-Laure et Thomas Agatensi. Anne-Laure Agatensi a vinifié des parcelles qui ont été léguées par ses grands-mères, ce qui a donné naissance à une cuvée d’une grande finesse appelée « Dames de cœur ». Enfin, je conseillerais les champagnes de Laetitia Torchet, blanc de blanc ou brut nature.

Infos pratiques : Elle a du vin, 5-7, rue Guichard, à Cachan (Val-de-Marne). Ouvert du mardi au samedi. Tél. : 09 88 06 38 61. Accès : gare d’Arcueil-Cachan (RER B). Plus d’infos sur elleaduvin.fr.

« Les Trinqueuses », Salon des vigneronnes, au Ground Control le samedi 13 avril de 12 h à 00 h 30, 81, rue du Charolais, Paris (12e). Métro : Gare de Lyon (lignes 1 et 14), Reuilly-Diderot (lignes 1 et 8) ou Montgallet (ligne 8). Plus d’infos sur groundcontrolparis.com