Culture
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Pour un grand musée d’art et d’histoire de l’Afrique Noire en banlieue

Avec une forte présence d'habitants ayant des racines en Afrique Noire, l'Île-de-France est tout indiquée pour accueillir un musée d'art africain selon le géographe Laurent Chalard.

Masque Nimba - Guinée / © John Atherton - Flickr

 

Laurent Chalard, géographe à l’European Centre for International Affairs

La France dispose de la plus grande diaspora d’Afrique Noire sur le continent européen. Une présence difficile à chiffrer étant donné l’absence de statistiques officielles détaillées sur l’origine des populations dans notre pays, mais qui doit comprendre entre 1 et 2 millions de personnes selon les données les plus fiables, la majorité d’entre elles étant concentrées en Île-de-France. Cette présence ancienne (il suffit de contempler les tableaux que nous a légués l’Ancien Régime pour s’en rendre compte), qui s’est fortement développée depuis les années 1980, est l’héritage de son ex-empire colonial, qui couvrait une large partie de l’Afrique subsaharienne, en particulier à l’ouest et au centre du continent africain.

Pourtant, la part consacrée à l’art et à l’histoire de cette partie du monde dans les collections artistiques françaises apparaît relativement négligeable si on la rapporte à sa population, près d’un milliard d’habitants en 2015, et sa superficie, 23,675 millions de km2, soit 17,6 % des terres émergées. L’Afrique Noire occupe une place importante dans l’Histoire de l’humanité et mérite que le milieu artistique français lui accorde une plus grande place.

En effet, il n’existe aucun grand musée spécifiquement consacré à cette région du monde sur le territoire français, le seul d’importance se situant dans sa périphérie proche, à Tervuren, dans la banlieue de Bruxelles. Les autres musées qui présentent exclusivement des œuvres d’art africaines sont peu nombreux et se caractérisent par la faiblesse de leur collection. Par exemple, le musée Dapper dans le 16e arrondissement de Paris ne propose pas de collection permanente mais seulement des expositions temporaires. Le musée africain de Lyon a du mal à survivre, tout comme d’ailleurs le musée africain de Namur en Belgique, dont l’avenir ne préoccupe guère la municipalité. Le musée africain de l’île d’Aix se présente plutôt comme une annexe du musée napoléonien voisin plus important. Enfin, le musée de Madagascar à Montélier dans la Drôme est privé.

En finir avec l’appellation « arts premiers »

La plupart des collections d’art africain se retrouvent dans des musées qui couvrent un territoire géographique plus large. Par exemple, sans prétendre à l’exhaustivité, le musée du quai Branly à Paris et le musée des arts africains, océaniens et amérindiens de Marseille les mélangent avec l’art d’Amérique Latine et d’Océanie, alors que le musée d’arts d’Afrique et d’Asie à Vichy, comme son nom l’indique, les mêlent avec l’art asiatique. Cette situation témoigne de l’incapacité de la France à se débarrasser des vieux schémas coloniaux, qui distinguent un « art primitif », que l’on dénomme désormais « art premier », de l’art des autres civilisations, censé être supérieur car issu de peuples ayant acquis un niveau de développement plus élevé (écriture, urbanisation, architecture en pierre…). A une époque où la lutte contre le racisme est omniprésente dans nos sociétés, il est assez surprenant que personne dans des élites prétendues ouvertes au reste du monde ne s’offusque guère plus du maintien de cette distinction.

En conséquence, il convient de remédier à cette situation car la France mérite de disposer d’un musée d’art africain digne de ce nom, qui soit une référence artistique et scientifique de renommée internationale, montrant que notre pays n’a pas honte de son passé, mais, au contraire, s’inscrit dans une démarche de valorisation des autres civilisations. L’Afrique Noire a une histoire, n’en déplaise à certains, comme en témoignent les murs de terre de la ville de Benin City au Nigéria, parmi les plus importantes structures humaines du passé. L’analyse de cet art ne peut se faire uniquement sous l’angle du primitivisme.

Dans ce cadre, le grand musée que nous appelons de nos vœux devrait s’efforcer de montrer la diversité des cultures d’Afrique Noire, car, encore plus qu’en Europe, il n’existe aucune unité culturelle (ni génétique par ailleurs !) sur l’ensemble de l’Afrique subsaharienne, les différences d’une région à l’autre étant considérables. En effet, il serait bien compliqué pour les chercheurs de trouver une quelconque relation entre les arts éthiopien, yoruba, bantou ou malgache !

Une implantation en banlieue pour favoriser le développement culturel du Grand Paris

Etant donné le peu de connaissances qu’ont les français, mais aussi les personnes issues de la diaspora subsaharienne, de l’histoire et de l’art du continent, les concepteurs du musée devraient suivre un modèle pédagogique, présentant les collections de manière géographique et chronologique et non par objet comme c’est, à l’heure actuelle, le cas au musée du quai Branly. Il est effectivement difficile pour le visiteur d’acquérir une vision claire d’une culture sans repères dans le temps et dans l’espace. Le principal objectif serait de donner à l’art d’Afrique Noire ses lettres de noblesse auprès du public français, en espérant que ce dernier sorte du musée avec une moindre condescendance. Il s’agit aussi de permettre aux membres de la diaspora de se réapproprier leur histoire.

Concernant sa localisation, la logique voudrait qu’il soit implanté en Île-de-France compte tenu de la concentration d’habitants ayant des racines en Afrique Noire.  Et dans l’optique du développement culturel du Grand Paris, il conviendrait de le construire dans une commune de banlieue comme Bobigny, Cergy, Evry ou encore Montreuil.