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Le Potager du Roi, héritage du passé tourné vers l’avenir

Le Potager du Roi / © Jean-Fabien Leclanche
© Jean-Fabien Leclanche

A quelques encablures du château de Versailles, le Potager du Roi est une curiosité à visiter où l’on expérimente des techniques de culture tout en bannissant les produits chimiques. Rencontre avec son responsable, Antoine Jacobsohn.

Quelle est l’ambition de Louis XIV lorsqu’il fait aménager ce potager ?

Antoine Jacobsohn : Son ambition est la même que pour la totalité du site de Versailles et se résume en un mot : impressionner. Dès le début, la mission du potager est de produire fruits et légumes pour garnir la table du roi tout en offrant un lieu de promenade unique en son genre. Bien entendu, seuls les plus beaux produits étaient servis au roi et à sa famille. S’organisait aussi une revente aux portes du palais. Quant aux produits trop moches, ils étaient distribués à la population de Versailles. Sur les plans du parc, on retrouve d’ailleurs indiqué “la porte de distribution aux pauvres”. Créé par Jean-Baptiste de La Quintinie (1626-1688), ce jardin était doté d’une douzaine de jardiniers permanents.

Cherchez-vous à conservser l’héritage de La Quintinie ou à le faire évoluer ?  

L’enjeu ici est de maintenir les acquis de l’histoire du jardin tout en évoluant vers une association des plantes ligneuses (arbres et arbustes) et herbacées (plantes). Ces deux dernières années, nous avons redécouvert l’héritage agroforestier du potager. Nous possédons un plan d’origine des jardins datant de 1690. Il montre qu’aux côtés d’espaces spécialisés comme la figuerie ou la melonnière se trouvaient des zones de cultures mélangées. Un autre plan datant de la fin du XIXe siècle, réalisé par l’éminent paysagiste Edouard André, témoigne à l’inverse d’une spécialisation nette des espaces du site, chaque jardin étant alors dédié à une  production unique : un jardin pour les poiriers, un autre pour les rosiers, une serre pour les pêches… Aujourd’hui, on tente non pas de remonter mais d’avancer dans le temps. L’agroforesterie nous réapprend à moins contraindre nos plantes, à faire avec ce que la nature nous donne. Les plantes sont moins malades puisqu’elles ont de meilleures conditions de pousse. Après une longue période de monoculture intensive, on évolue vers la permaculture où les espèces partagent le même espace et s’auto-nourrissent, permettant ainsi de produire plus sur une moindre surface. En ce sens, le Potager du roi renoue avec son passé profond et ressemble de plus en plus à ce qu’il était au XVIIe siècle.

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Le potager du Roi à Versailles / © Jean-Fabien Leclanche pour Enlarge your Paris
© Jean-Fabien Leclanche pour Enlarge your Paris

Quel est l’enjeu majeur du Potager du roi aujourd’hui ?

Le Potager du roi a un devoir de transmission : nous cultivons le vivre-ensemble et non le “vivre aux dépens de”. Il est géré par l’Ecole nationale supérieure du paysage et revêt donc une dimension pédagogique. Nous essayons de relancer une filière de jardiniers bien informés afin de pousser la réflexion sur la ville et l’agriculture de demain. Cela choque certains mais si la préservation du patrimoine signifie perpétuer des techniques destructrices, alors je m’y oppose. Cela vaut pour toute notre société, et c’est en cela que le potager me semble être un laboratoire intéressant, reflétant l’évolution de notre rapport à la nature. Le Potager du roi n’est pas qu’un lieu de production, c’est aussi un espace de promenade. Il est temps de réunir l’agrément et l’utile de façon plus durable. Regardez les parcs parisiens héritiers du XIXe siècle, ils excluent presque totalement les arbres fruitiers. C’est tellement dommage… Sortir du jardin à la française bien ordonné est loin d’être évident pour tout le monde. La vision du beau, propre et net de nos grands-parents n’a d’ailleurs rien à voir avec le fouillis et l’état sauvage de la nature qui persistait encore un peu au XVIIe siècle. L’innovation aujourd’hui n’est pas nécessairement high tech et rutilante. Ici, nous travaillons à modifier notre rapport à l’environnement. Un environnement sain n’est pas toujours propre mais doit être varié. 

Au coeur des principes de la permaculture, il y a le respect du sol. Est-ce simple de produire sur des sols urbains ?

Le sol n’est pas qu’un support à la production d’aliments. C’est là que reposent nos routes, nos bâtiments, tout notre environnement en fait. Le sol est un tout et non un simple support ou substrat. Le Graal du jardinier c’est de réussir à créer une machine perpétuelle, suffisamment productive mais sans détruire l‘écosystème en place. Concernant la dépollution du sol urbain, il faut accepter que cela prenne du temps. Et surtout relativiser : si l’on considère la vie entière d’un sol, mettre 5 ans à le refaire c’est en fait très rapide. Il existe plein de techniques pour cultiver sainement et efficacement en ville : à même le sol en protégeant les cultures par des techniques de paillage ou même hors-sol dans des bacs ou jardinières. En France, nous consommons bien plus que ce que nous produisons. C’est seulement en parvenant à plus d’équilibre que nous pourrons parler de croissance.

Infos pratiques : Le Potager du roi, 10 rue du Maréchal-Joffre, Versailles (78). Ouvert à la visite tout au long de l’année. Tarifs : 7€ le week-end, 4,5€ en semaine. Plus d’infos sur potager-du-roi.fr

Dans le cadre des Rencontres agricoles du Grand Paris, conférence « Penser le sol urbain et son usage agricole » le mecredi 22 mai de 17h à 21h au Potager du roi. Plus d’infos sur Facebook

Le potager du roi (Versailles, 78) © Jean-Fabien Leclanche
© Jean-Fabien Leclanche pour Enlarge your Paris

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