Société
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Les Parisiens du mois d’août, par Stéphane Mercurio

Cet été, la cinéaste Stéphane Mercurio, réalisatrice de "A l’ombre de la République" et de "Siné, mourir ? plutôt crever !" (elle en était la fille), a arpenté le Nord de la capitale pour y glaner des tranches de vie, transformées en séquences de quelques minutes diffusées sur le web. Elle dresse dans ce texte le "bilan" de ces "vacances à Paris".

Je suis partie le 1er août pour une balade documentaire d’un mois à la rencontre des Parisiens. J’ai publié quotidiennement sur Facebook, un texte, une photo ou un court montage. Quinze impressions fugaces filmées et publiées. De belles rencontres avec un grand sentiment de liberté. Les vidéos ont été partagées, atteignant parfois plus de 100 000 vues.

 

Pendant ce mois-là, j’ai éteint radios et télé, je n’ai pas ouvert les journaux, je n’ai pas vu mes amis, je suis restée dans cette jolie bulle. Mes Parisiens du mois d’août étaient drôles, poétiques, généreux, imaginatifs, souvent préoccupés par leur avenir, seuls parfois. Ils avaient du mal à se loger. Mais ils avaient envie de légèreté, de parler, d’être ensemble. Au bal de Paris Plage, juifs musulmans, asiatiques, hommes, femmes, jeunes et vieux se mélangeaient et c’était délicieux.

 

À Stalingrad, des bénévoles tentaient de rendre la vie moins dure aux réfugiés, n’hésitant pas à les héberger chez eux. À La Villette, un pêcheur me racontait son bonheur d’avoir enfin rencontré l’amour alors qu’il arrivait à la retraite. Elle est chinoise. Ce couple improbable va partir en Chine en voyage en septembre. Au Skate Park, deux jeunes femmes prenaient sur leur temps libre et sur leurs deniers pour repeindre avec de belles couleurs vives cet endroit qu’elles aiment. C’était le 15 août. Devant Notre-Dame, le veilleur de nuit s’est offusqué quand je lui ai demandé s’il était déjà entré dans une église. Il était musulman « mais c’est le même Dieu madame ! »

Bien entendu les débats nauséabonds m’ont rattrapée, pendant que je filmais des gens sympa, drôles, touchants, généreux, dont la vie n’est pas toujours facile. Et j’ai été prise de vertige, de rage, d’impuissance.

 

Les gens ont regardé et aimé ces rencontres, plus que je ne l’avais imaginé au départ, car elles sont loin de la petitesse, de la mesquinerie, de l’égoïsme et du racisme que vous nous répétez à l’envi. Depuis des années. À force de nous rappeler toute la noirceur dont nous sommes capables nous risquons de devenir les monstres que vous fabriquez. À force de dire aux uns et aux autres qu’ils ne peuvent cohabiter, que l’autre est un danger, un restaurateur a viré des femmes voilées de son restaurant, des Corses se sont presque entretués, etc.

Je suis sûre que la rancune et la haine se fabriquent. Elles ne sont pas seulement le fruit de la crise, elles sont aussi attisées par les discours des politiques et relayées sans fin par les médias. On raconte, au Rwanda, que si l’on n’avait pas répété des années durant que les Tutsis étaient des cancrelats et autres joyeusetés, le génocide n’aurait sans doute pas eu lieu. Le conditionnement de l’opinion, ce n’est pas rien. Je ne dis évidemment pas que nous risquons un génocide. La France d’aujourd’hui n’est pas le Rwanda des années 90.

Mais nous devons nous méfier du miroir que nous tendons aux hommes et aux femmes. Ce miroir déformant et grimaçant ne ressemble pas aux humains que je croise. Si on renvoyait aux gens leur capacité à être généreux, altruistes, nous les embarquerions loin de la haine.

J’écris ce texte parce que je me suis étonnée de l’émotion témoignée par ceux qui ont regardé mes images. Je me suis interrogée. Pourquoi ? Que racontent-elles ? Juste un peu de bienveillance. Cette balade m’a fait du bien. Je commençais à croire ce que l’on me répétait sans fin.

[Ce texte, qui nous a touchés, a été initialement publié sur Siné Mensuel et nous le reproduisons ici avec l’accord de son auteur. Vous pouvez retrouver ici toutes ses vidéos]